La Chine utilise une approche à plusieurs niveaux pour influencer les programmes de politique étrangère de l’ONU, selon des experts

Par Venus Upadhayaya
14 avril 2023 10:16 Mis à jour: 1 mai 2024 09:29

Les États-Unis et leurs alliés se sont heurtés à un blocus chinois à l’ONU le 17 mars lorsqu’ils ont tenté de mettre en lumière la situation désastreuse des droits de l’homme et la répression croissante en Corée du Nord.

La Russie a rejoint la Chine dans ce que les analystes considèrent de plus en plus comme une tendance au sabotage multiforme des Nations Unies, de ses principes, de ses pratiques et de ses institutions.

Des experts ont déclaré à Epoch Times que les opérations de la Chine aux Nations Unies constituent une stratégie bien pensée pour modeler l’organisme international à ses fins et défier le leadership mondial des États-Unis.

« En tant que pays du P-5 au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, la Chine a toujours profité de sa position pour utiliser son droit de veto, soit pour faire obstruction aux résolutions clés, soit pour les soutenir afin de tirer parti de la situation politique qui, selon elle, pourrait servir ses intérêts nationaux », a déclaré le Dr Jagannath Panda, directeur du Stockholm Center for South Asian and Indo-Pacific Affairs à l’Institute for Security and Development Policy (ISDP), en Suède.

L’épisode du veto du mois dernier n’était pas la première intervention de la Chine et de la Russie en faveur de la Corée du Nord. L’année dernière, les deux alliés ont utilisé leur droit de veto pour empêcher l’adoption d’une résolution renforçant les sanctions contre la Corée du Nord à la suite de ses récents tirs de missiles balistiques.

La Chine, deuxième donateur de l’ONU après les États-Unis, a fait la même chose dans un autre cas de figure. Ainsi, elle n’a cessé de soutenir le régime syrien et, jusqu’en 2020, elle a opposé son veto à 16 reprises aux projets de résolution les plus sévères et potentiellement efficaces du Conseil de sécurité pour dissuader le gouvernement, selon le Réseau syrien pour les droits de l’homme (SNHR).

La Russie s’est jointe à ces vetos qui, selon le SNHR, ont contribué à la mort d’un quart de million de Syriens.

Les alliés ont opposé leur veto à deux résolutions concernant la Syrie au Conseil de sécurité en juillet 2020 et ont bloqué la nomination d’un ressortissant français en tant qu’envoyé spécial pour le Soudan.

Selon les experts, ces vetos ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Les opérations d’expansion de la Chine à l’ONU comprennent une matrice complexe de facteurs tels que l’augmentation du financement chinois pour les départements, les programmes et les initiatives de l’ONU, la nomination de Chinois à des postes stratégiques de direction et le renforcement du contrôle de la direction de certaines des agences les plus influentes.

Des Sud-Coréens regardent, à la gare de Séoul, une émission de télévision rapportant la rencontre entre le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un et le dirigeant chinois Xi Jinping , le 28 mars 2018. (Chung Sung-Jun/Getty Images)

L’objectif d’ « avenir commun » de Xi

Au cœur de la dernière décennie d’activités de la Chine aux Nations Unies, se trouve une vision de la gouvernance mondiale intitulée « avenir commun », une approche sino-centriste publiée pour la première fois le 18 octobre par Xi Jinping pour une « communauté de destin commun pour l’humanité ». Depuis lors, Xi Jinping l’a exposée à diverses occasions et dans de multiples forums, y compris dans deux discours à l’ONU en 2015 et 2017.

Les analystes estiment que cette vision constitue le schéma directeur de la guerre mettant en œuvre des moyens non cinétiques (actions subversives, politiques, sociales) entre les États-Unis et la Chine dans les forums internationaux et les organisations telles que l’ONU pour un système mondial futuriste.

Les experts Courtney J. Fung et Shing-hon Lam ont alerté dans une analyse pour l’Institut Lowy à la fin de l’année dernière que la Chine utilise sa vision de la gouvernance mondiale de l’ « avenir commun » pour réformer le système des Nations Unies de l’intérieur – un programme qui, selon eux, « minimise les valeurs universelles en faveur de la promotion de la primauté des États ».

La vision de la Chine en matière de gouvernance mondiale pour un avenir commun se compose de trois propositions : l’Initiative pour le développement mondial (IDM), l’Initiative pour la sécurité mondiale (ISM) et l’Initiative pour la civilisation mondiale (ICM), selon S.E. Li Qiang, premier ministre du Conseil d’État de la République populaire de Chine (RPC).

« Ces initiatives sont les propositions de la Chine pour le développement et la gouvernance au niveau mondial », a déclaré Li Qiang lors de la séance plénière d’ouverture de la conférence annuelle du Forum de Boao pour l’Asie, le 30 mars.

Toutefois, Courtney J. Fung et Shing-hon Lam ont affirmé que, sous le couvert d’un « avenir commun », la Chine tente de mettre en œuvre son approche de la politique étrangère au cœur et dans l’ensemble du système des Nations Unies.

« Le concept d’‘avenir commun’ de la RPC est délibérément nébuleux et englobe tout, afin de démontrer la supériorité du système autoritaire de la Chine sur les systèmes démocratiques », ont déclaré les experts de l’Institut Lowy.

M. Li a parlé de l’ « initiative de la ceinture et de la route » (BRI), qu’il a qualifiée de « grande valeur » dans le contexte d’un « avenir commun », et s’est vanté d’avoir aidé les pays en développement à atteindre un « développement plus rapide » et d’avoir ouvert un nouvel espace pour la croissance de l’économie mondiale.

Rahul Sur, ancien fonctionnaire de l’ONU, a déclaré dans une interview le 20 mars que Pékin avait « arrimé » la BRI aux objectifs de développement durable (ODD) à des fins d’influence et de pouvoir.

Rahul Sur a travaillé à l’ONU pendant plus de vingt ans et a occupé des postes importants, notamment en tant que chef de l’évaluation du maintien de la paix au sein du Bureau des services de contrôle interne et chef de la déontologie et de la discipline au sein du Bureau du représentant spécial du secrétaire général (RSSG) de la mission de maintien de la paix de l’ONU en Haïti. Il a récemment déclaré, lors d’un entretien avec l’auteur Rajiv Malhotra sur « Infinity Foundation », que toutes les organisations de l’ONU se sont engagées à respecter les ODD pour que les pays progressent.

« Et la Chine affirme que si vous adhérez à l’initiative ‘la ceinture et la route’, vous progresserez plus rapidement vers les objectifs de développement durable. C’est l’argument de vente de la Chine », a affirmé M. Sur, ajoutant que dans ce contexte, la BRI bénéficie d’un soutien politique mondial, et que même le Secrétaire général a félicité Pékin pour « la coopération internationale et le multilatéralisme ».

Toutefois, l’approbation politique globale de la BRI dans le cadre de la PDS ne tient pas compte de la mise en garde du Center of Global Development et d’autres évaluations politiques d’experts sur le fait que la BRI n’est pas viable pour certains pays en raison du risque de surendettement, a déclaré M. Sur.

Il se réfère à un article (pdf) de John Hurley, Scott Morris et Gailyn Portelance qui a étudié 68 pays de la BRI et a constaté que 23 pays risquaient le surendettement au moment de l’étude, tandis que 8 pays risquaient le surendettement en raison du futur financement lié à la BRI.

Courtney J. Fung et Shing-hon Lam ont alerté que la situation globale s’oriente vers une « dépendance » croissante des États-Unis à l’égard des Chinois au sein des Nations Unies pour ce qui est des contributions générales. Dans le même temps, Pékin utilise une « combinaison de leviers » pour renforcer sa position au sein de l’organisation internationale.

Brandon J. Weichert, analyste géopolitique basé aux États-Unis et auteur du livre Winning Space : How America Remains a Superpower, a déclaré à Epoch Times que les Nations Unies étaient profondément compromises en raison de « l’influence perverse de la Chine » et que le bras de fer géopolitique entre la Chine et les États-Unis était parfaitement visible au sein de l’ONU.

« Les Chinois encerclent les États-Unis dans le cadre d’une stratégie d’endiguement inverse de celle de la guerre froide. La Chine joue le rôle des Américains et les États-Unis, malheureusement, semblent jouer le rôle de l’Union soviétique », a affirmé M. Weichert.

Il a averti que les premières batailles de cette « guerre non cinétique » entre les États-Unis et la Chine pour l’avenir du système mondial se dérouleraient dans les « salles stériles » de l’ONU et d’autres organismes internationalistes.

Des soldats de l’Armée populaire de libération de Chine (APL) d’une unité chinoise de maintien de la paix de l’ONU destinée au Darfour au Soudan se tiennent prêts à embarquer dans un avion en partance pour le Soudan à l’aéroport international de Xinzheng à Zhengzhou, dans la province du Henan, en Chine centrale, le 23 novembre 2007. (Teh Eng Koon/AFP via Getty Images)

Augmentation du financement

Selon les experts, l’augmentation du financement de l’ONU, de ses institutions et de ses initiatives par la Chine s’explique par la volonté de Pékin de jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale, alors que les États-Unis continuent de retarder le respect de leurs obligations financières à son égard.

« La Chine a dépensé beaucoup d’argent et a passé de nombreuses années à jeter les bases d’une prise de contrôle discrète des Nations Unies (et d’autres organismes internationalistes créés par les États-Unis après leur victoire lors de la Seconde Guerre mondiale) », a déclaré M. Weichert.

Étant donné que le financement des agences de l’ONU par les États membres prend la forme de « paiements accessibles et volontaires », la part de la Chine à l’ONU a rapidement augmenté, passant de 2 % en 2000 à 15,25 % en 2022, et devrait continuer à croître au cours de la prochaine décennie, selon un rapport d’Andrew Hyde pour le Stimson Center.

En vertu du droit international, les États-Unis sont tenus de payer 27,89 % de leur budget. Pourtant, cumulativement au débat interne sur cette contribution, le pays a accumulé une dette non négligeable de 1 milliard de dollars, selon un autre rapport de Hyde.

« Bien que l’administration Biden se soit efforcée, au cours de l’année écoulée, de rassembler la volonté politique nécessaire pour rembourser les dettes accumulées au titre des arriérés des opérations régulières et de maintien de la paix de l’ONU et pour effectuer les paiements complets plus tôt dans l’année financière, le Congrès américain s’est une fois de plus montré réticent à fournir les fonds nécessaires », a déclaré M. Hyde.

Dans ce contexte, si Pékin a adopté une position visant à respecter ses obligations financières, elle a également continué à critiquer les États-Unis, a ajouté M. Hyde.

M. Weichert a accusé Pékin d’utiliser l’argent pour accroître son influence et son aura et a déclaré que la réalisation de ces objectifs avait déformé les institutions construites par l’Amérique après la Seconde Guerre mondiale, de sorte qu’elles servent les intérêts de la Chine plutôt que ceux des États-Unis.

« Il suffit de voir comment l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est comportée pendant la pandémie de Covid-19 : elle a refusé de tenir la Chine pour responsable de la création potentielle de la maladie ou de la dissimulation de l’épidémie. Pourquoi ? Parce que la Chine était l’un des principaux bienfaiteurs de l’OMS et que l’organisation dépendait des largesses chinoises pour fonctionner correctement », a affirmé M. Weichert.

Selon M. Hyde, la Chine a également appris rapidement des États-Unis la valeur stratégique et pratique du financement volontaire dans les domaines critiques.

En 2016, Pékin s’est associé à Ban Ki-Moon, alors secrétaire général de l’ONU, pour créer le Fonds d’affectation spéciale des Nations Unies pour la paix et le développement (FDPNU), en acceptant de le financer à hauteur de 200 millions de dollars de contributions volontaires supplémentaires sur une période de dix ans. Cette somme a été répartie équitablement entre un sous-fonds pour la paix et la sécurité, destiné à financer les projets et activités de l’ONU liés au maintien de la paix et de la sécurité internationales, et un sous-fonds pour l’Agenda 2030 pour le développement durable.

« Le FDPNU a été perçu par beaucoup comme une déclaration forte du soutien de la Chine à l’ONU », a déclaré M. Hyde.

Outre le chef de cabinet du secrétaire général de l’ONU, le comité directeur du Fonds est composé de l’ambassadeur de Chine auprès de l’ONU, de représentants des ministères chinois des affaires étrangères et des finances, et du secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales de la Chine.

« Des doutes ont été émis quant aux objectifs et à la viabilité à long terme des projets du Fonds. Remettant en cause la transparence et la responsabilité du Fonds, certains observateurs considèrent le FDPNU comme un moyen flagrant pour Pékin d’acheter de l’influence au plus haut niveau de l’ONU », a indiqué M. Hyde.

Selon M. Panda, la Chine a également utilisé son poids économique à l’ONU comme tactique opérationnelle pour détruire de nombreuses procédures de l’ONU et d’autres instances multilatérales.

« Elle a soutenu ou entravé de manière sélective les résolutions qui étaient plus proches de ses intérêts globaux. L’image de la Chine en tant que puissance mondiale est discutable dans de nombreux forums internationaux, y compris dans les agences des Nations Unies, car elle est en contradiction avec les idéaux et les principes démocratiques », a déclaré M. Panda.

Et pourtant, la Chine a réussi à contourner ces institutions internationales. Rahul Sur en donne un exemple : le soutien structurel de l’ONU à la BRI chinoise provient du Département des affaires économiques et sociales (DESA), et ce département est dirigé par la Chine depuis 2007.

« Quatre sous-secrétaires généraux successifs ont été des ressortissants chinois. Pourquoi est-ce important ? C’est important parce que, dans n’importe quel département où il y a un changement de direction, le successeur n’est jamais du même pays », a constaté M. Sur.

Selon lui, la raison en est que l’ONU est une fonction publique internationale et qu’aucun pays n’a le monopole de la direction. Malgré cela, la direction du DAES est monopolisée par les Chinois parce qu’elle est liée à la BRI, a affirmé M. Sur.

« Une fois qu’il est sous le contrôle de la Chine, nous voyons diverses choses se produire. Qu’est-ce qui se passe ? Tout d’abord, vous aurez des déclarations politiques faites par ces sous-secrétaires généraux, affirmant que l’initiative ‘la ceinture et la route’ conduira à une meilleure mondialisation, plus inclusive, équitable et durable », a déclaré M. Sur, ajoutant que ce récit entier fonctionne comme un effet d’entraînement dans les couloirs et les rangs de l’ONU, ainsi que dans les médias.

« Ils font également des remarques très peu critiques en faisant l’éloge de la Chine, avec abondance en ce qui concerne les résultats de l’initiative ‘la ceinture et la route’. Il semble donc que le système des Nations Unies soit entièrement acquis à l’initiative de la ceinture et de la route – en vantant les mérites de la Chine. »

M. Weichert a déclaré que la Chine utilise des opérations d’influence similaires pour atténuer le risque que pourrait poser une discussion mondiale sur ses violations des droits de l’homme sur la stabilité et le pouvoir à long terme que le PCC détient dans le pays – et pourrait potentiellement avoir à l’étranger.

« Tout se résume à une question d’argent. La Chine a besoin de manipuler l’opinion mondiale pour la détourner des horreurs qu’elle a perpétrées contre les ‘déviationnistes idéologiques’ dans son propre pays (les Falun Gong, les Tibétains, les Ouïghours, les chrétiens évangélistes, les groupes non-chinois-Han, etc.) parce que Pékin perçoit à juste titre que c’est la voie la plus facile pour un adversaire (tel que les États-Unis) de défier la Chine sur la scène mondiale », a-t-il déclaré.

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