ANALYSES

La fiabilité du DPE en question après 4 ans et 15 milliards d’euros d’investissement

juin 9, 2025 14:48, Last Updated: juin 9, 2025 15:27
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Alors que la France vise la neutralité carbone en 2050, le diagnostic de performance énergétique (DPE), principal outil de la rénovation énergétique des bâtiments, devrait être un acteur fiable de cette révolution énergétique dans le logement.

Pourtant dans un rapport publié la semaine dernière, la Cour des comptes recommande de le fiabiliser. La Cour estime que les « mesures ou observations » dont découle l’étiquette DPE peuvent être imparfaites et « entacher le résultat d’incertitudes ».

Alors que l’indépendance des organismes de certification doit être garantie, la Cour des comptes a constaté que « nombre d’organismes de formation et de certification ont entre eux des liens structurels ou financiers », ce qui représente de « potentiels conflits d’intérêt ».

Depuis la Loi climat et résilience votée en 2021, près de 15 milliards d’euros d’aides ont été distribués pour la rénovation énergétique des logements des Français à travers MaPrimeRénov’, en se basant sur le calcul du DPE.

Une aide publique que le gouvernement vient de suspendre en raison des « incertitudes sur les dispositifs mis en place », une pause est motivée par « un encombrement (de nouvelles demandes) en ce moment et un excès des fraudes », commentait le ministre de l’Économie, Éric Lombard.

Début 2024, un rapport du Conseil d’analyse économique (CAE) concluait que l’outil de diagnostic logements, obligatoire en cas de vente, était en réalité trop théorique pour refléter la consommation réelle des ménages. La Cour des comptes pointe également la fiabilité de l’outil mais aussi celle des diagnostiqueurs. Pire, le DPE accélérerait la crise du logement au nom de la transition énergétique en retirant 565.000 logements d’un marché locatif déjà en tension, touchant essentiellement les populations à faible revenu.

DPE, une boussole énergétique sans étude d’impact

Depuis sa création en 2006, le diagnostic de performance énergétique (DPE) promettait d’être la boussole guidant les Français vers des habitats plus sobres, plus écologiques, grâce à un étiquetage de A à G (du plus efficient au moins efficient) des bâtiments. Chaque année, 4,5 millions de diagnostics sont réalisés pour un parc immobilier de 37 millions de logements, dont un tiers classés dans les pires catégories (F et G).

Avec la loi Climat et Résilience de 2021, qui bannit progressivement les logements énergivores de la location (G en 2025, F en 2028, E en 2034), le DPE est devenu l’un des outils de la politique de rénovation énergétique des bâtiments, censé pousser les propriétaires, soutenus par des aides publiques comme MaPrimeRénov’, à rénover.

Cette dernière a d’ailleurs coûté depuis près de 15 milliards d’euros à l’État (8,6 milliards jusqu’en 2023 et deux fois 3,6 milliards en 2024 et 2025) et vient d’être suspendue en même temps que la publication du rapport de la Cour des comptes. Le gouvernement a annoncé la fermeture « d’ici le 1er juillet » du guichet de dépôt des dossiers de demande d’aide pour les rénovations énergétiques globales et les travaux d’isolation et de remplacement de chaudière ponctuels.

« J’attends des acteurs et du gouvernement qu’on maintienne cette politique », a réagi le chef de l’État, insistant sur le fait que ce n’était « pas le moment de créer des incertitudes sur les dispositifs mis en place ».

Le rapport de la Cour des comptes publié le 3 juin dresse pourtant un constat alarmant et pointe des diagnostiqueurs mal formés, des logiciels mal maîtrisés et des règles mal appliquées, avec comme résultat des diagnostics parfois bancals, des copropriétaires perdus et des ménages modestes lésés.

« Un pilotage global du DPE apparaît par ailleurs nécessaire pour mieux mesurer son impact sur les travaux effectivement réalisés pour améliorer les étiquettes énergétiques et ainsi évaluer l’emploi des subventions publiques correspondantes » écrit la haute juridiction administrative, dans son rapport.

La Cour de comptes reproche, sans le nommer, au gouvernement Castex d’avoir réformé le DPE en 2021, lui donnant un poids considérable sans prendre la mesure des conséquences en chaîne de telles décisions : « Aucune étude d’impact globale préalable n’a été réalisée par l’administration sur les effets de la réforme de la transformation législative du DPE en 2021 », déplorent les sages de la Cour.

Des diagnostiqueurs formés à la hâte

Les diagnostiqueurs sont le cœur du diagnostic de la rénovation énergétique, mais aussi son talon d’Achille. Ils sont 10.000, armés de tablettes et de mètres laser, à arpenter les logements pour évaluer leurs performances énergétiques.

La réforme de 2021 avait pourtant durci les exigences : des formations obligatoires, des certifications renouvelées tous les cinq ans, des contrôles par des organismes certificateurs. Mais le rapport de la Cour des comptes est sans appel : la filière manque de rigueur.

Des erreurs persistent, souvent liées à des relevés approximatifs – une isolation mal évaluée dans des combles inaccessibles, un système de chauffage mal identifié. Ces fautes ne sont pas anodines : un logement classé E au lieu de G peut faire perdre des milliers d’euros à un vendeur ou surprendre un locataire avec des factures salées.

Le problème vient d’une formation initiale faite à la hâte et une formation continue quasi inexistante. Les diagnostiqueurs, souvent indépendants, jonglent entre pression des délais et complexité des logiciels 3CL – validés par l’État mais un véritable casse-tête pour de nombreux diagnostiqueurs. Pire, les contrôles sont rares : en 2022, seuls 5 % des DPE ont été vérifiés, un chiffre dérisoire pour un outil aussi stratégique.

Le rapport pointe aussi un manque d’anticipation pour les bâtiments complexes. Dans les copropriétés, le DPE oscille entre l’individuel (par appartement) et le collectif (pour l’immeuble), semant la confusion. Les copropriétaires, déjà réticents à financer des travaux coûteux, peinent à comprendre des rapports trop techniques. Les syndics, eux, manquent de formation pour jouer les chefs d’orchestre.

Dans les bâtiments tertiaires – bureaux, écoles, commerces –, c’est encore pire. La méthode 3CL, pensée pour les logements, patine face à des usages variés (horaires irréguliers, équipements spécifiques). Un bureau occupé à mi-temps peut être mal évalué, faussant les recommandations.

La Cour des comptes fustige ce manque de préparation, qui limite l’impact du DPE dans des secteurs clés, donne des retards dans la délivrance des certifications, avec une pénurie de professionnels qualifiés et des diagnostics parfois incohérents.

Les oubliés du DPE : les ménages modestes et les zones rurales

Le DPE ne touche pas non plus tout le monde de la même manière. Si les propriétaires urbains, mieux informés, s’en saisissent pour valoriser leur bien, les ménages modestes, surtout en zones rurales, restent à l’écart.

Le coût d’un diagnostic (100 à 250 euros) est abordable, mais il s’ajoute à des travaux souvent hors de portée – une isolation complète peut coûter 20.000 euros.

Les recommandations du DPE, bien que plus détaillées depuis 2021, restent un jargon technique pour beaucoup. La Cour des comptes déplore ce manque d’accessibilité. Les Espaces Conseil France Rénov’, censés guider les ménages, sont inégalement répartis, laissant les zones rurales démunies.

Quant aux aides comme MaPrimeRénov’, elles ne suffisent pas à compenser la complexité des démarches. Résultat : en 2022, seulement 700.000 logements ont été rénovés, loin des 900.000 nécessaires chaque année pour tenir les objectifs climatiques.

Les recommandations de la Cour

La Cour des comptes appelle à une révolution : des formations plus solides, des contrôles renforcés (10 % des DPE minimum) et une supervision plus musclée des organismes certificateurs.

La Cour recommande de « poursuivre la structuration de la filière avant fin 2026 », avec une carte professionnelle des diagnostiqueurs, l’obligation de stricte séparation entre missions de formation et de certification et l’instauration d’une « incompatibilité géographique » pour les auditeurs qui auraient exercé un autre métier dans la filière.

« Il faut mettre fin à l’endogamie dans le secteur », a affirmé M. Moscovici, appelant à « une régulation forte de l’État ». En mars, 4 ans après leur mise en place, la ministre chargée du Logement Valérie Létard avait présenté une série de dix mesures pour crédibiliser le DPE, qui sont globalement en ligne avec les constats et recommandations de la Cour des comptes.

Quant à l’interdiction progressive de louer des passoires énergétiques (étiquettes F et G), elle « n’a pas suffisamment anticipé les difficultés rencontrées par les particuliers pour s’y conformer », selon le rapport.

« L’interdiction de louer dépend directement de la mise en œuvre du DPE et a des conséquences majeures sur la situation patrimoniale et le marché immobilier en général », rappelle Pierre Moscovici.

Pour la Cour, il faut des clarifications, « voire quelques ajustements » pour faciliter la mise en œuvre de cette loi, notamment en l’articulant avec la réglementation des copropriétés et de l’urbanisme.

Pierre Moscovici déplore également qu’il n’y ait « aucune évaluation prévue sur le marché locatif et le marché immobilier » de l’interdiction progressive de louer des passoires énergétiques.

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