La popularité exceptionnelle et inhabituelle de la chanson chinoise «Raksha Haishi» reflète le profond mécontentement de l’opinion publique chinoise

Par Alex Wu
18 août 2023 01:27 Mis à jour: 18 août 2023 02:24

La nouvelle chanson de l’auteur, compositeur, interprète chinois Daolang, Raksha Haishi, est devenue soudainement une référence mondiale, alors que l’artiste avait disparu de la scène publique ces dernières années. Des observateurs chinois ont fait remarquer que la popularité croissante de cette chanson résultait de la critique sociale codée dans les paroles de la chanson, qui trouve un écho chez de nombreux Chinois. Des commentateurs pensent que ne pas interdire la chanson – du moins pour l’instant – est un stratagème utilisé par le Parti communiste chinois (PCC) pour détourner l’attention du public des scandales en cours.

La chanson a été écoutée plus de 8 milliards de fois sur les plateformes de streaming à travers le monde au cours des dix derniers jours de juillet, établissant un nouveau record mondial – et ce chiffre continue d’augmenter rapidement.

L’interprétation du sens profond des paroles et les discussions sur les hauts et les bas de Daolang sur la scène musicale chinoise sont devenues des sujets brûlants pour les médias sociaux chinois.

Combinaison de contes traditionnels chinois, d’airs folkloriques et de musique pop

La chanson Raksha Haishi est l’une des 11 chansons du nouvel album de Daolang, Folk Songs Liaozhai, sorti le 19 juillet. Il a écrit toutes les chansons, aussi bien la musique que les paroles. Les titres et les paroles des chansons de l’album sont inspirés des œuvres représentatives du romancier chinois de la dynastie Qing « Pu Songling », Contes extraordinaires du pavillon du loisir (communément appelé Liaozhai). Pu est l’un des écrivains les plus célèbres de la littérature chinoise.

Le conte de Raksha Haishi, qui figure dans le recueil Liaozhai de Pu, raconte l’histoire de Ma Ji, le beau et talentueux fils d’un marchand, qui part faire des affaires dans un petit royaume lointain d’outre-mer appelé Raksha, où la beauté et la laideur sont inversées. Plus une chose est rustre et bizarre, plus elle est considérée comme belle, prestigieuse et luxueuse à Raksha, tandis que la beauté et l’habileté sont considérées comme inférieures et sont réprimées et reléguées au bas de l’échelle sociale.

Illustration de l’histoire de Raksha Haishi. (Domaine public)

Considéré comme un monstre par les habitants de Raksha, Ma porte un masque hideux pour s’intégrer et réussit à s’imposer. Mais bientôt, il se lasse de faire semblant et se rend à Haishi, le royaume du dieu de la mer au fond de l’océan, où la vraie beauté et les talents authentiques sont reconnus et respectés. Il y trouve le succès et le bonheur, tel qu’il est vraiment, et épouse la fille du dieu de la mer, qui lui donne deux enfants. Cependant, son bonheur ne dure que quelques années, lorsqu’il est contraint de retourner chez lui, pour ne plus jamais revenir dans le royaume de Haishi. Le mot « Haishi » signifie « mirage » en chinois.

Daolang (qui signifie « l’homme à l’épée » en chinois) a respecté l’intrigue principale et les personnages de l’histoire originale, tout en y ajoutant de nouvelles créatures, en utilisant des allusions et des analogies dans une langue tantôt traditionnelle, tantôt populaire, pour faire la satire et la critique des problèmes que connaît la société chinoise et pour s’interroger sur la condition humaine. Cette œuvre trouve un écho dans le monde entier auprès de nombreux fans et a attiré l’attention du public.

Alice Weidel, chef du parti politique « Alternative pour l’Allemagne », a appris le chinois pendant six ans alors qu’elle était étudiante dans le cadre d’un doctorat. Mme Weidel a même interprété la chanson au parlement allemand et a expliqué que « Raksha Haishi » était une chanson satirique pleine d’esprit et de sagesse, qui pouvait également trouver un écho dans la société allemande.

Dans l’introduction de l’album, il est écrit que : « Le thème et le concept de cet album combinent des textes du Liaozhai et des airs folkloriques après ‘Tanci Huaben’ (l’album précédent de Daolang, sorti en 2020). Cette nouvelle série tente de construire une écologie musicale où la musique populaire et la culture folklorique traditionnelle peuvent coexister et se développer ensemble ».

Les mélodies de l’album reposent sur des morceaux de musique folklorique de l’ouest et du centre de la Chine, auxquels se mêlent des composantes de pop, de rock et de jazz. Les chansons sont entraînantes et uniques dans leur genre.

Critique sociale

La chanson a non seulement connu un succès incroyable sur les plateformes de diffusion de musique en ligne, mais elle est également devenue un sujet brûlant sur les médias sociaux, puisqu’un grand nombre de messages ont été postés pour analyser, interpréter et commenter ses références sociales et sa signification.

Parmi les allusions les plus discutées figurent les créatures dominantes, tous les animaux, du royaume de Raksha, qui feraient référence aux « quatre grands », c’est-à-dire aux quatre chanteurs pop les plus influents de l’industrie musicale chinoise continentale. Les quatre grands sont soutenus par les institutions de l’État et les organisations de propagande, et monopolisent la scène musicale. La chanson fait également la satire de la laideur et de la corruption de l’industrie de la musique et du divertissement, contrôlée par le régime communiste de la Chine continentale.

Les chansons sont aussi le fruit de l’expérience de Daolang en tant que musicien indépendant. En 2004, Daolang a sorti son premier album « The First Snow in 2002 », qui mélangeait la musique ouïghoure et les airs d’Asie centrale à la musique pop. Cet album l’a rendu célèbre dans le pays, avec un volume de ventes de 2,7 millions de copies authentiques et des dizaines de millions de copies pirates, surpassant les chanteurs grand public soutenus par l’État.

Cependant, son talent et son succès ont été ridiculisés et réprimés par les « figures d’autorité » de l’industrie musicale chinoise, comme les « quatre grands » auxquels il est fait allusion dans sa chanson. Il a même été publiquement nommé et critiqué lors du symposium 2007 sur la résistance à la vulgarité des chansons en ligne, organisé par l’industrie musicale chinoise soutenue par l’État. Il avait pratiquement disparu de la scène musicale chinoise depuis près de 20 ans.

Une personne marche dans le désert de Taklamakan près du comté de Yutian, dans la région de Xinjiang, en Chine, le 12 octobre 2006. (Guang Niu/Getty Images)

Le 1er août, Jin Yan, chroniqueur pour Epoch Times, a écrit : « Daolang utilise la musique pop pour interpréter des romans anciens et des classiques, analyser la société chinoise d’aujourd’hui et devenir ainsi la voix d’innombrables citoyens ordinaires. Son art se hisse au niveau de la philosophie, utilisant des métaphores pour dénoncer le faux, le mal et le laid, et pour promouvoir la vérité, la bonté et la beauté ».

Certains internautes ont fait remarquer que dans les paroles, la direction a été modifiée d’« Ouest » à « Est », comme dans la phrase « 26.000 li à l’Est du Royaume Raksha », qui désigne clairement la Chine continentale.

Un internaute a publié un message sur X, anciennement connu sous le nom de Twitter : « Tout le monde sait à quoi se réfère le Royaume Raksha, où le noir et le blanc sont inversés, où la laideur est considérée comme belle, et où les souris sont regardées comme des canards (en référence à l’actualité récente d’une tête de souris trouvée dans un plat servi dans une cantine scolaire chinoise, où le personnel a prétendu qu’il s’agissait d’un morceau de canard). Il a arraché la ‘peau peinte’ (un déguisement pour ressembler à des êtres humains, une référence à Liaozhai) portée par les démons et les fantômes de l’État-parti ! »

Les scandales récents de PCC : une distraction

M. Li, un intellectuel du continent qui a refusé de donner son nom complet pour des raisons de sécurité, a expliqué à Epoch Times le 30 juillet que « Raksha Haishi » est une manifestation concentrée du profond mécontentement du peuple chinois à l’égard de la réalité, « parce qu’il y a eu trop de choses qui ont été inversées en termes de bien et de mal au cours des dernières années et qui se sont accumulées – en particulier les restrictions draconiennes Covid-19 imposées par le régime pendant trois ans. De nombreuses catastrophes se produisent encore, et le gouvernement tente d’en dissimuler le plus possible, tout en accusant le peuple de répandre des rumeurs. Tout est fait pour maintenir la stabilité du régime. Dans ce contexte, de nombreuses personnes voient que cette chanson sert de satire (de la société chinoise) à plus grande échelle ».

Pour Wu Zuolai, écrivain chinois installé aux États-Unis, le régime n’interdira cette chanson que si quelqu’un la porte sur le plan politique. « Par exemple, ceux qui ont été indirectement critiqués dans la chanson, pourraient se plaindre auprès des services gouvernementaux concernés, ou si la chanson devient une force d’opposition au gouvernement, les autorités pourraient l’interdire. »

Les médias d’État chinois CCTV et « Beijing News » ont, de manière inhabituelle, fait récemment l’éloge de Daolang et de Raksha Haishi.

Le service de propagande du PCC s’est réjoui de la popularité de cette chanson, « car le ministre des Affaires étrangères Qin Gang a été récemment démis de ses fonctions et est porté disparu. Les rumeurs de corruption au sein de la direction de la Rocket Force sont nombreuses », a souligné M. Wu. Les autorités tentent de détourner l’attention du public de ces scandales, et la popularité de « Raksha Haishi » les a sauvées. Le département de la propagande du PCC a fermé les yeux sur les paroles satiriques de la chanson et a décidé de ne pas l’interdire. Il pourrait même encourager davantage de clics sur la chanson pour créer du sensationnel, et éviter ainsi que l’accent soit mis sur les scandales impliquant le PCC ».

Ning Haizhong et Luo Ya ont collaboré à cet article.

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