La surconsommation des serveurs de l’internet en électricité et eau n’est pas prête de s’arrêter

La demande pèse sur le réseau qui devrait déjà connaître des pénuries d'électricité et des coupures de courant régulières dans les années à venir

Par Kevin Stocklin
19 avril 2024 15:49 Mis à jour: 19 avril 2024 15:54

Les centres de données, l’un des secteurs les plus dynamiques de l’économie mondiale, vont générer une forte hausse de la demande d’électricité, et vont mettre nos infrastructures énergétiques, déjà sous tension, à rude épreuve.

Les centres de données, que l’on considère comme les « cerveaux de l’internet », sont des entrepôts industriels remplis de rangées de serveurs. Ils traitent, transfèrent et stockent les données qui sont à la base de tout: relevés bancaires, vente en ligne, plateformes de réseaux sociaux mais également les programmes vidéos comme ceux de Netflix ou les vidéos personnelles que l’on regarde sur son téléphone.

Dans un article du magazine Science, les centres de données sont décrits comme étant la « colonne vertébrale de l’information d’un monde de plus en plus numérisé » : en d’autres termes, ils sont essentiels à l’internet d’aujourd’hui et de demain.

Les analystes savent que les centres de données sont l’un des secteurs connaissant la croissance la plus rapide sur le marché de l’immobilier. Pourtant, l’industrie pourrait être sur le point de se heurter à un mur, car les communautés locales s’y opposent de plus en plus et lui reprochent notamment son appétit apparemment insatiable en matière d’énergie et d’eau.

« Alors que d’autres secteurs de l’immobilier commercial connaissent une baisse des projets de construction, le développement des centres de données a atteint un niveau record », selon un rapport publié en janvier par Newmark, une société de conseil en immobilier commercial.

« Cependant, sa croissance est de plus en plus souvent limitée par la disponibilité des terrains et de l’énergie, les défis de la chaîne d’approvisionnement et les retards de construction, sans parler de la résistance croissante de certaines juridictions locales. »

Le rapport indique que la croissance rapide de l’intelligence artificielle (IA) et d’autres technologies est au coeur de cette demande.

Le secteur est dirigé par les mastodontes de l’informatique en nuage que sont Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure, Google Cloud ou Meta (Facebook). On y trouve également des propriétaires numériques, appelés sociétés de colocation, qui louent des espaces de stockage à des tiers, notamment d’Equinix, de Digital Realty et de CyrusOne.

La demande d’électricité liée aux serveurs devrait doubler d’ici à 2030

Les entrepôts de données aux États-Unis ont consommé 17 gigawatts d’électricité en 2022, soit environ 4 % de la consommation totale du pays. Cette consommation devrait doubler pour atteindre 35 gigawatts en 2030.

Eric Woodell, titulaire d’un doctorat en sciences des systèmes d’information et de communication et fondateur d’Amerruss, une société de gestion d’infrastructures technologiques, reconnaît que les centres de données sont de plus en plus « gourmands » en énergie.

Il gère des centres de données depuis 25 ans, auparavant pour Vanguard, le deuxième plus grand gestionnaire d’actifs au monde.

Selon lui, un espace d’un mètre carré dans un centre de données moyen consomme environ 10 fois plus d’électricité qu’une maison moyenne.

(Haut) Le centre de collecte de données de la NSA dans l’Utah, avec Salt Lake City en arrière-plan, à Bluffdale, dans l’Utah, le 17 mars 2017. Ce centre de données, d’une valeur de 1,5 milliard de dollars, est considéré comme le plus grand au monde. (En bas à g.) Câbles et serveurs dans la salle des ordinateurs d’un centre de données, à Saint-Ouen-l’Aumône, en France, dans le Val d’Oise, le 9 juillet 2021. (En bas à d.) Google a déclaré avoir consommé 21 milliards de litres d’eau en 2022, principalement pour refroidir ses centres de données. (George Frey/Getty Images, Alain Jocard/AFP via Getty Images)

« Alors que les centres de données conventionnels consomment déjà une énorme quantité d’énergie, l’informatique de l’IA n’utilise pas de CPU [unités centrales de traitement], mais plutôt des systèmes basés sur des GPU, car les GPU [unités de traitement graphique] sont conçus pour mieux gérer les fonctions mathématiques complexes », a-t-il déclaré. « Mais il y a un hic : ils consomment entre cinq et dix fois plus d’énergie que les systèmes CPU équipés de la même manière. »

Cette forte augmentation de la demande d’électricité met à rude épreuve un réseau dont on prévoit déjà qu’il engendrera des pénuries d’électricité et des coupures de courant régulières dans les années à venir. Cette situation s’explique par le fait que le réseau est davantage sollicité maintenant que les gouvernements ferment leurs centrales au charbon et au gaz pour passer à l’énergie éolienne et solaire.

Selon une étude de cas réalisée en février par Quanta Technologies sur une grande compagnie d’électricité américaine, PJM, les prochaines années seront marquées par « des saturations des équipements qui déclencheront jusqu’à 6826 MW de délestage lors des pics de demande hivernaux moyens ».

Le délestage consiste à couper l’électricité aux consommateurs afin d’éviter une panne du système.

Le PJM dessert une douzaine d’États de l’est du centre du littoral atlantique en tant que fournisseur d’électricité en gros.

« L’analyse révèle la surcharge prévue de 30 installations de transport en vrac (230 kV et plus) au cours de l’été 2028, principalement en raison d’une forte croissance de la charge associée surtout à de nouveaux centres de données », indique le rapport.

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Un homme est assis à l’ombre de son parapluie tandis que des chiens jouent dans le parc sous des lignes à haute tension à Redondo Beach, Californie, le 16 août 2020. La Californie a ordonné des coupures de courant en continu alors que la vague de chaleur met à rude épreuve son système électrique. (Apu Gomes/AFP via Getty Images)

Cette situation est d’autant plus préoccupante que dans certains endroits, qui sont souvent parmi les plus gros consommateurs, l’utilisation du gaz naturel a été interdite pour toute nouvelle habitation, obligeant les ménages à se tourner vers l’électricité.

PJM prévoit que la charge des centres de données augmentera de 7500 MW d’ici 2028, alors que 11.100 MW de production de combustibles fossiles seront désactivés, soit un écart de 18,6 gigawatts entre la nouvelle demande et l’offre restante dans ce secteur, selon M. Woodell.

« Ces 18,6 gigawatts permettraient d’alimenter environ 3 millions de foyers ou trois fois la ville de New York », a-t-il déclaré. « Les ramifications sont énormes. »

« L’allée des centres de données »

Selon Ryan Yonk, économiste à l’American Institute for Economic Research, les centres de données consomment globalement environ 3 % de l’électricité mondiale. Cette consommation a tendance à être soutenue et prévisible, et les services publics parviennent à suivre, explique-t-il.

Mais des problèmes se posent lorsque les centres se concentrent dans une seule zone, en particulier si cette zone est en train d’abandonner les combustibles fossiles.

« Pour les communautés individuelles, les centres de données posent de vraies questions, en particulier s’ils sont regroupés, ce qui est souvent le cas », a déclaré M. Yonk à Epoch Times.

La région couverte par PJM et l’étude de Quanta est importante parce qu’elle comprend le plus grand centre de données du monde, où se trouvent environ la moitié de tous les centres de données américains et par lequel transite environ 70 % du trafic internet mondial.

Toute personne effectuant une recherche sur Google ou un achat sur Amazon verra probablement sa transaction traitée dans ce qui est communément appelé la Data Center Alley, et qui abrite environ 150 entrepôts de données dans le nord de la Virginie.

Data Center Alley, (l’allée des centres de données) a vu le jour dans les années 1980, lorsque America Online (AOL) y a installé son siège social. Elle a rapidement attiré d’autres entreprises en raison de sa proximité avec Washington, de la construction du réseau de fibres optiques « le plus dense du monde », de l’approvisionnement en électricité relativement bon marché et d’incitations fiscales.

« C’est la zone où l’on veut s’installer pour se connecter à tout le reste », selon Julie Bolthouse, directrice de l’aménagement du territoire au Piedmont Environmental Council (PEC), à Epoch Times.

« Tout le monde se construit à partir de ce que les autres ont fait dans ces centres de données ; il faut y voir un réseau géant qui communique avec tous les autres », a-t-elle ajouté.

« Ce qui s’est passé entre les années 90 et aujourd’hui, c’est que nous les avons surdimensionnés. Nous sommes passés d’un petit bâtiment qui faisait partie d’un grand campus d’entreprises et qui ne consommait que cinq mégawatts, à ces bâtiments de type entrepôt à grande échelle qui font maintenant près de 20.000 mètres carrés et qui utilisent jusqu’à 90 mégawatts par bâtiment ».

À titre indicatif, 90 mégawatts correspondent à la consommation électrique de 22.000 foyers, selon un rapport de PEC.

Ce réseau en Virginie s’est étendu en 2022 pour inclure un projet appelé Digital Gateway, un groupe de taille à peu près égale à Digital Alley, situé dans un lieu voisin. Ce nouveau développement comprend 37 bâtiments et 14 sous-stations de 20.000 mètres carrés chacune, selon Mme Bolthouse, et d’autres développements sont en cours dans toute la région.

Les centres de données actuels et futurs devraient augmenter la consommation d’électricité de plus de 20 gigawatts, indique le PEC dans son rapport. Actuellement, la plus haute demande enregistrée pour cette zone est de 23 gigawatts, ainsi ces centres de données en particulier sont amenés à quasiment doubler la demande d’électricité, et consommeront autant que 5,5 millions de foyers.

(Sean Gallup/Getty Images)

Le problème pour les communautés locales est qu’une fois que la municipalité a approuvé un projet de développement, la compagnie d’électricité doit construire de nouvelles lignes de production et de transport d’électricité pour desservir ce développement. Le coût de cette nouvelle infrastructure est en grande partie supporté par la communauté sous la forme de factures d’électricité plus élevées pour tout le monde.

« Lorsque les Américains payent leurs factures d’électricité chaque mois, ils subventionnent de façon très importante les entreprises multimilliardaires que sont Amazon, Google, Microsoft et Apple », indique le rapport de la PEC.

En conséquence, les centres de données doivent faire face à une résistance locale croissante lorsqu’il s’agit de construire de nouvelles installations.

L’un des groupes de résistance est la Virginia Data Center Reform Coalition, qui regroupe une quarantaine d’organisations, dont des associations de propriétaires, des groupes de protection des ressources naturelles, des groupes de préservation historique et des militants pour le climat.

Cette organisation, au sein de laquelle Mme Bolthouse joue un rôle de premier plan, s’efforce de faire adopter des lois au niveau local pour bloquer ou ralentir l’expansion des centres de données.

À la recherche de nouveaux lieux de construction

En conséquence, les promoteurs ont commencé à chercher des terrains ailleurs, de l’énergie bon marché et des nappes phréatiques abondantes.

Les développeurs de centres de données recherchent également des sites à l’étranger. A titre d’exemple, la BBC a rapporté en juin 2023 que les centres de données consommaient environ un cinquième de toute l’électricité en République d’Irlande, soit l’équivalent de l’électricité utilisée dans toutes les zones urbaines du pays réunies.

La consommation d’énergie en Irlande par ces entrepôts de données a augmenté de 31 % entre 2021 et 2022, et de 400 % depuis 2015, selon la BBC.

Il avait même été envisagé à un moment donné, avant que la Russie n’envahisse l’Ukraine, d’installer des centres de données dans des endroits glacials comme la Sibérie, dont certains disposent également d’un approvisionnement abondant en énergie nucléaire, a déclaré M. Woodell. « Mais il est évident que cela n’est plus d’actualité en raison de considérations géopolitiques ».

À terme, il pense que les gouvernements interviendront pour imposer des limites à l’industrie, car les réseaux électriques sont de moins en moins capables de répondre à la demande publique, ce qui oblige les pays à choisir entre les données et les besoins essentiels tels que le chauffage ou l’alimentation des hôpitaux.

« Je pense qu’il y aura des moratoires », a-t-il déclaré. « En Europe et au Royaume-Uni, des moratoires ont été décrétés sur la construction de nouveaux centres de données, car il n’y a tout simplement pas assez d’électricité. »

La ponction sur les ressources locales ne se limite pas à l’électricité, elle concerne également l’utilisation de l’eau.

Les centres de données concentrent une quantité importante d’énergie dans un espace réduit, générant plus de chaleur et le seul refroidissement de l’air ne peut en atténuer les effets. Par conséquent, ils consomment d’énormes quantités d’eau souterraine pour empêcher les serveurs de surchauffer.

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Un nouveau centre de données Facebook est en construction à Eagle Mountain, dans l’Utah, le 7 novembre 2019. L’installation est un bâtiment de 95.000 mètres carrés et s’étend sur 200 hectares (George Frey/AFP via Getty Images).

Google, par exemple, a déclaré avoir consommé 21 milliards de litres d’eau en 2022, principalement pour refroidir ses centres de données, soit une augmentation de 20 % par rapport à sa consommation de 2021.

Le rapport de la Fed indique que l’industrie des centres de données se classe parmi les 10 industries les plus consommatrices d’eau en 2021.

Selon Owen Williams, directeur technique de Subsea Cloud, un fabricant de « pods » de données submersibles, lorsque de l’énergie est injectée dans une machine industrielle, dans une voiture ou dans un avion, cette énergie est convertie en mouvement physique, également appelée « travail ».

« Dans le cas des centres de données, il n’y a absolument aucun travail qui se produit dans un ordinateur », a déclaré M. Williams à Epoch Times. « Et lorsque de l’énergie est injectée dans une machine et qu’il n’y a pas de travail dans cette machine, chaque parcelle d’énergie injectée doit ressortir sous forme de chaleur », a-t-il ajouté.

« Cent pour cent de l’énergie que vous laissez entrer dans un serveur doit en ressortir », a déclaré M. Williams. « Avec l’augmentation de la densité des ordinateurs, la demande d’évacuation de cette chaleur est devenue extrême. »

Selon lui, en plus de l’électricité utilisée pour alimenter les ordinateurs, il faut en moyenne 40 % d’électricité en plus pour les refroidir, ce qui met à rude épreuve les réseaux électriques et consomme d’énormes volumes d’eau souterraine locale.

Les centres de données peuvent-ils se développer en milieu sous-marin ?

Des entreprises comme Microsoft, Subsea Cloud et certains concurrents chinois pensent avoir trouvé une solution : faire descendre les centres de données en mer à l’intérieur de nacelles en eaux profondes.

Ces entreprises ont mis au point de nouvelles technologies capables d’héberger des centres de données dans les eaux côtières, à des milliers de mètres de profondeur.

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Le fondateur et PDG de Stimergy, Christophe Perron, pose devant la chaudière numérique de son entreprise installée dans une piscine municipale, qui utilise sa chaleur, à Paris le 18 avril 2018. (Eric Piermont/AFP via Getty Images)

La température normale de fonctionnement d’une puce d’ordinateur est supérieure à 70 degrés Celsius, ainsi même dans les eaux tropicales « vous avez toujours une différence entre l’eau et la puce qui est très grande, et donc cette chaleur va être évacuée hors de la puce sans dépense d’énergie », explique M. Williams.

Microsoft a donc construit des réservoirs de données avec des parois en acier d’environ 13cm d’épaisseur pour prévenir l’écrasement des réservoirs par la pression des eaux profondes, quant à Subsea Cloud, ils remplissent leurs réservoirs d’un fluide non corrosif breveté et utilisent des disques durs à semi-conducteurs qui peuvent fonctionner en environnement liquide. Cela permet de remplir deux fonctions.

« Premièrement, cela transfère la chaleur de manière très efficace », explique M. Williams. « Deuxièmement, cela maintient à l’intérieur de la capsule une pression égale à celle de l’extérieur ». Pour ce faire, les parois des nacelles sous-marines ne doivent pas dépasser 6 ou 7 millimètres d’épaisseur.

Bien qu’il ait fallu du temps pour convaincre les entreprises technologiques d’envisager une solution sous-marine, la demande actuelle de nacelles sous-marines est « énorme en ce moment », a-t-il déclaré.

« Nous avons la chance d’être dans une situation où de très grandes entreprises nous contactent, ainsi que des gouvernements. Le fait est qu’il ne semble pas que la population mondiale soit prête à réduire sa consommation d’électronique, d’intelligence artificielle et de tout le reste. »

Les data pods submersibles peuvent contribuer à réduire les besoins en terres, en électricité et en eau souterraine pour répondre à la demande croissante des centres de données, mais en fin de compte, l’industrie mondiale des données aura toujours besoin de grandes quantités d’énergie pour alimenter sa croissance, ce qui continuera à mettre à rude épreuve les réseaux électriques.

M. Woodell estime qu’un jour prochain, l’industrie technologique devra soit innover de manière spectaculaire en matière de traitement des données, soit faire face à des obstacles pratiques et réglementaires qui entraveront la poursuite de sa croissance.

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