L’ambassadeur de Chine en France remet en question la souveraineté des États qui formaient l’ex-Union soviétique, exaspérant les dirigeants européens

Par Alex Wu
24 avril 2023 19:03 Mis à jour: 26 avril 2023 09:52

L’ambassadeur du régime communiste chinois en France a affirmé publiquement vendredi que « la Crimée était tout au début à la Russie » et que les pays qui faisaient partie de l’ex-Union soviétique « n’ont pas le statut effectif dans le droit international », exaspérant les dirigeants européens.

Lu Shaye, le diplomate du régime chinois du genre « loup combattant », qui tient souvent des propos agressifs et controversés, a été l’invité du plateau de Darius Rochebin sur la chaîne LCI. Interrogé sur sa position quant à l’appartenance de la Crimée à l’Ukraine, il a répondu : « Ça dépend de comment on perçoit ce problème. »

« Ce n’est pas si simple », a-t-il poursuivi, en déclarant que « la Crimée était, tout au début, à la Russie ».

En outre, M. Lu a nié la souveraineté des États qui formaient à l’époque l’Union soviétique. Selon lui, ces États « n’ont pas le statut effectif dans le droit international parce qu’il n’y a pas d’accord international pour concrétiser leur statut de pays souverain ».

Depuis l’effondrement de l’empire communiste de l’Union soviétique en 1991, ses anciennes républiques telles que l’Ukraine, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et autres sont devenues des États souverains indépendants. Les trois États baltes sont actuellement membres de l’OTAN et de l’Union européenne.

Les remarques de M. Lu ont suscité une vive réaction de la part des dirigeants européens.

Le 22 avril, l’ambassadeur d’Ukraine en France, Vadym Omelchenko, a répondu sur Twitter qu’il n’y a « pas de place pour l’ambiguïté. La Crimée c’est l’Ukraine ».

Il a également dressé un parallèle avec les problèmes territoriaux que la Chine a avec la Russie : « La question-test ‘À qui appartient la Crimée ?’ est révélatrice, comme d’habitude. La prochaine fois, ce sera bien d’étendre ‘à qui appartient Vladivostok ?’ » a souligné M. Omelchenko.

De son côté, Mykhaïlo Podoliak, conseiller à la présidence ukrainienne, a indiqué « qu’il est étrange d’entendre une version absurde sur l’histoire de la Crimée de la part d’un représentant d’un pays scrupuleux au sujet de son histoire millénaire ».

En fait, Vladivostok a été très longtemps connue en Chine sous le nom de Yongmingcheng. Cette ville portuaire et sa région faisaient partie du territoire chinois et figuraient en tant que telle sur les cartes officielles chinoises depuis le 13e siècle. Plus tard, cette ville a été appelée Hǎishēnwǎi – le nom qu’elle a gardé en Chine jusqu’à aujourd’hui, parallèlement au nom impérial russe de Vladivostok.

La ville et la vaste région qui l’entoure sont la terre natale de l’ethnie mandchoue qui a été au pouvoir en Chine sous la dynastie des Qing. Cependant, cette région, ainsi que tout l’immense territoire de l’angle sud-est de la Sibérie, a été annexée par l’empire russe tsariste en 1858-1860 à la suite des « traités inégaux » russo-chinois (traités d’Aigun et de Pékin) imposés à l’empire de Chine après sa défaite dans la deuxième guerre de l’opium.

En 2001, Jiang Zemin, l’ancien chef du Parti communiste chinois (PCC), a signé avec Vladimir Poutine le « Traité sino-russe de bon voisinage, d’amitié et de coopération ».

Dans ce traité, Jiang a officiellement reconnu que les territoires chinois annexés par la Russie depuis l’époque impériale appartenaient à la Russie, cédant de manière permanente plus de 1,5 million de kilomètres carrés de territoire qui appartenait à la Chine, y compris Wulianghai, l’île de Sakhaline et Vladivostok (Hǎishēnwǎi) – l’équivalent de plusieurs dizaines de Taïwan (36.000 km2).

Ces dernières années, des voix se sont élevées en Chine pour revendiquer les territoires cédés à la Russie.

Comme a indiqué à la fin de son tweet Vadym Omelchenko : « L’empire soviétique n’existe plus. L’histoire avance. »

La riposte des États baltes

Antoine Bondaz, spécialiste de la Chine à la Fondation pour la recherche stratégique, un groupe d’experts basé à Paris, a souligné sur Twitter que l’ambassadeur chinois en France « nie l’existence même de pays comme l’Ukraine, la Lituanie, l’Estonie, le Kazakhstan, etc. »

L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont critiqué les remarques de Lu Shaye et ont demandé des explications à Pékin.

Le ministre des Affaires étrangères de Lettonie, Edgars Rinkēvičs, a écrit sur Twitter : « Les remarques de l’ambassadeur de Chine en France concernant le droit international et la souveraineté des nations sont totalement inacceptables. Nous attendons des explications de la partie chinoise et une rétractation complète de cette déclaration. »

Le ministre lituanien des Affaires étrangères, Gabrielius Landsbergis, a également réagi sur Twitter : « Si quelqu’un se demande encore pourquoi les États baltes ne font pas confiance à la Chine pour ‘négocier la paix en Ukraine’, voici un ambassadeur chinois qui affirme que la Crimée est russe et que les frontières de nos pays n’ont aucune base juridique. »

« Les trois États baltes vont convoquer dans la journée les émissaires chinois pour demander une clarification et leur rappeler que nous ne sommes pas des pays post-soviétiques, mais des pays ayant été illégalement occupés par l’Union soviétique », a-t-il ajouté.

Margus Tsahkna, ministre estonien des Affaires étrangères, a déclaré sur le site d’information Delfi « qu’il est déplorable qu’un représentant de la République populaire de Chine ait de telles opinions. Une telle position est incompréhensible ».

Le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères a réagi en exprimant sa « pleine solidarité » avec l’ensemble de ses « alliés et partenaires concernés » par les propos de Lu Shaye, les pays qui ont « acquis une indépendance tant attendue après des décennies d’oppression ».

Le ministère a tenu à rappeler que l’Ukraine est reconnue « dans des frontières incluant la Crimée en 1991 par la totalité de la communauté internationale, Chine comprise, à la chute de l’URSS comme nouvel État membre des Nations unies ». Il a insisté sur le fait que l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 est considérée comme « illégale au regard du droit international ».

Dimanche, près de 80 législateurs européens, ainsi que l’Alliance interparlementaire sur la Chine, ont envoyé une lettre à Catherine Colonna, la ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères, demandant que l’ambassadeur chinois soit déclaré persona non grata pour ses remarques.

Catherine Colonna, ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères, participe à une réunion dans la maison d’hôtes de l’État de Diaoyutai à Pékin, le 5 avril 2023. (Jade Gao-Pool/Getty Images)

« L’ambassadeur Lu Shaye a affirmé publiquement que les anciennes républiques soviétiques n’avaient pas de statut effectif en droit international, arguant notamment qu’il n’existait ‘aucun accord international pour matérialiser leur statut’. De tels commentaires dépassent largement les limites d’un discours diplomatique acceptable. Il s’agit de propos de ‘loups guerriers’ à leur paroxysme, qui ne doivent pas rester sans réponse », peut-on lire dans la lettre publiée dans Le Monde. Madame Colonna, « nous vous demandons donc de déclarer l’ambassadeur Lu Shaye persona non grata ».

Mélange d’Union soviétique et de Russie tsariste

Le Parti communiste chinois a longtemps bénéficié du soutien de l’Union soviétique. Après la chute de l’empire soviétique, le PCC a maintenu des liens étroits avec Poutine, l’ancien agent de la police secrète soviétique (KGB) devenu dirigeant de la Russie.

L’État-parti chinois et la Russie de Poutine partagent une vision commune face à l’Occident. Leur « partenariat sans limites » a été proclamé par Xi Jinping et Poutine en février 2022. Le PCC a tacitement soutenu la guerre de la Russie en Ukraine.

Xi Jinping rencontre Vladimir Poutine le jour de l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver à Pékin, le 4 février 2022, vingt jours avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. L’occasion a été marquée par une « déclaration commune » annonçant un « partenariat sans limites » entre la Chine et la Russie. (Alexei Druzhinin/Sputnik/AFP via Getty Images)

Gao Yusheng, ancien ambassadeur de Chine en Ukraine, a souligné lors d’un récent forum que la politique étrangère de Poutine est « un mélange de l’ancienne Union soviétique et de l’Empire tsariste ».

Au cours de sa carrière diplomatique de plus de 30 ans, M. Gao a occupé des postes en ancienne URSS et dans les pays qui en faisaient autrefois partie.

Il a expliqué que l’orientation principale de la politique étrangère du régime de Poutine a été de « considérer les anciens États de l’Union soviétique comme sa sphère d’influence exclusive et de restaurer l’empire par le biais d’une ‘unification’ dominée par la Russie ».

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