Le monde, la chair et le diable : « L’histoire tragique de la vie et de la mort du docteur Faust » de Christopher Marlowe

Par Jeff Minick
12 octobre 2021 04:51 Mis à jour: 12 octobre 2021 04:51

A notre époque de science, de psychologie, de sciences sociales et de statistiques, on se tourne presque toujours vers la génétique, les circonstances ou l’environnement pour expliquer les forces du mal.

Les mauvais traitements subis pendant l’enfance expliquent l’homme qui par exemple, tire dans un lieu public ; ou un lourd endettement qui pousse le cadre à détourner de l’argent et met son entreprise en faillite ; ou encore une certaine idéologie qui infecte et rend malade le dictateur qui ordonne l’exécution de millions de personnes.

A travers ces interprétations, il est rarement question de la perversité ou de l’âme humaine. Et personne, en place publique, n’évoque le diable.

La pièce de Christopher Marlowe du XVIIe siècle, La Tragique Histoire du docteur Faust, aujourd’hui couramment appelée Docteur Faust, est basée sur l’histoire de Johann Faust, le grand alchimiste allemand de la Renaissance.

Dans la pièce de J. Marlowe, le Dr Faust est une sommité intellectuelle de l’université de Wittenberg. Assoiffé de savoir, de gloire et de pouvoir, il se détourne de la logique, de la raison et de la théologie au profit des sciences occultes, de la magie noire.

Très vite, le Dr Faust se lie d’amitié avec Lucifer et son émissaire, Méphistophélès l’un des sept princes de l’Enfer. Pleinement conscient de ce qui l’attend, il conclut un marché avec l’envoyé de l’Enfer, scellant le pacte avec son propre sang, satisfait qu’en échange de son âme il puisse privilégier, pendant les 24 prochaines années, des services et des pouvoirs obscurs de Méphistophélès.

Mais le Dr Faust abuse de ces pouvoirs et les gaspille à la faveur de choses futiles, ne pensant qu’à son profit personnel, passant notamment son temps à faire des facéties et à jouer des tours au pape, ou à réclamer l’affection d’Hélène de Troie.

Par ailleurs, pendant tout ce temps, il hésite entre Dieu et Lucifer, enclin à chercher le pardon du Divin mais retournant ensuite à son alliance avec le Malin. Une fois le temps de l’expiation de ses péchés révolu il se sait condamné. « Faust a sacrifié la béatitude et la félicité éternelles, pour le vain plaisir de vingt-quatre années », déclare-t-il à la fin de la pièce : « J’ai passé avec eux un pacte signé de mon propre sang, et l’échéance est venue : l’heure sonnera qui m’emportera vers eux. »
Et c’est ainsi que Faust meurt, éloigné du paradis, son corps déchiré par les démons et son âme envoyée en enfer. La pièce se termine par ces lignes :

Faust n’est plus. Instruisez-vous de sa chute infernale,
un son sort infortuné excite le sage
à ne contempler que de loin ces fruits défendus,
dont l’attrait séduit l’esprit impudent
à tendre la main plus haut que ne le permettent les cieux.

Illustration gravée sur bois du Docteur Faust et d’un diable, tirée de la page de titre d’une édition de 1620 de « L’histoire tragique du Docteur Faust » de Christopher Marlowe. (Domaine public)

L’orgueil précède la chute

Son ego démesuré et son arrogance intellectuelle aveuglent d’abord le Dr Faust sur les conséquences de son badinage avec le diabolique. Dans la 1ère scène, par exemple, lorsque Méphistophélès lui rend sa première visite, Faust lui dit :

Le mot «damnation» ne terrifie en rien
celui qui confond l’Enfer et l’Élysée :
son fantôme fréquentera les philosophes de l’Antiquité !

Et lorsque Méphistophélès tente d’avertir Faust de la perte du paradis qui l’attend s’il continue dans cette voie, il répond :

Quoi, le grand Méphistophélès est aussi altéré
de se voir priver des plaisirs élyséens ?
Qu’il apprenne donc de Faust le courage viril
et le dédain de ces joies qu’il ne doit jamais plus posséder.

Même après avoir rencontré Méphistophélès et signé le contrat diabolique, Faust déclare : « Je pense que l’enfer est une fable. »

En fin de compte, l’orgueil démesuré de Faust entraîne sa destruction.

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Le diable Méphistophélès, dans les histoires de Faust, porte plusieurs noms. « Méphisto », après 1883, par Mark Antokolski. (Shakko/CC-BY-SA 3.0)

Puissance

Aurais-je autant d’âmes qu’il y a d’étoiles dans le firmament,
je les donnerais toutes à Méphistophélès !
Grâce à lui, je serai le plus grand empereur de l’univers :
je jetterai un pont dans l’air mouvant, que je traverserai avec mes légions.

Dans cette première scène, nous entendons Faust spéculer sur le pouvoir qui l’attend, la capacité de contrôler la terre et ses habitants. Ce nouveau pouvoir ne s’appuie ni sur la logique ni la raison, mais sur la magie et le surnaturel – ces arts sombres qui permettent à son praticien de sortir de l’ordre et des lois du monde physique et de contrôler ainsi la nature et les êtres

« Le pouvoir a tendance à corrompre », a prophétisé Lord Acton, « et le pouvoir absolu corrompt absolument ». J. Faust apprendra bientôt cette leçon de corruption connue de tous les monarques et dictateurs absolutistes qui ont vécu.

La luxure

À l’acte V, vers la fin de la pièce, Faust implore Méphistophélès de lui accorder l’affection d’Hélène de Troie pour éteindre les feux de son cœur.

Je souhaite pour amante
la céleste Hélène que j’ai vue il y a peu.
Ses tendresses suaves sauraient apaiser
les pensées qui m’ont détourné de mes vœux,
et rappeler la parole donnée à Lucifer.

Méphistophélès exauce ce vœu, et lorsque Hélène entre, Faust prononce les vers les plus célèbres de la pièce :

Est-ce là l’heureux visage qui fit lever mille trières
et brûler les tours sublimes d’Illion ?
Ô belle Hélène d’un baiser fais de moi un immortel.
Sur ses lèvres mon âme se déploie enfin, et bas de l’aile un instant.
Viens, viens Hélène ! Prends mon âme encore…
Ah ! c’est sur ces lèvres que je veux vivre, car elles ont le goût du bonheur.

On peut interpréter ces lignes comme des compliments rendus par un homme épris de beauté, un bouquet de mots pour gagner l’affection, mais quelque chose de plus sinistre se cache au cœur de ce discours élogieux. Hélène n’a aucun pouvoir de rendre Faust immortel, et les vers « Sur ses lèvres mon âme se déploie enfin » et « ces lèvres … ont le goût du bonheur » nous disent que le Dr Faust, comme tant d’autres avant et après lui, confondent les plaisirs de la chair avec les ravissements du ciel.

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Buste d’Hélène de Troie, portant un pileus (chapeau sans bord), par Antonio Canova. Musée

Un monde à l’envers

À un moment donné, Lucifer et Belzébuth, princes couronnés de l’Enfer, amusent Faust en faisant défiler devant lui les sept péchés capitaux : l’orgueil, la convoitise, l’envie, la colère, la gourmandise, la paresse et la luxure. Après que les sept s’expliquent et quittent la scène, Faust s’exclame : « Oh, comme ce spectacle réjouit mon âme ! »

Lucifer le rassure alors : « Mais Faust, en enfer, il y a toutes sortes de plaisirs. »

Ici Faust, encouragé par Lucifer, renverse l’ordre moral.

Des scènes comme celle-ci, que l’on retrouve tout au long de la pièce, illustrent les échanges entre le tenté et le tentateur. Lucifer et Méphistophélès offrent un banquet de séductions, et Faust, si brillant en tant qu’érudit, ne possède ni la clairvoyance ni la sagesse de les refuser.

Leçons tirées du Docteur Faust

Existe-t-il une pièce plus appropriée que celle du Docteur Faust pour ce 21e siècle ?

Certains d’entre nous ne croient peut-être plus à l’enfer ou à Lucifer, le père du mensonge, mais le « pacte faustien », qui veut échanger ses principes ou sa droiture contre le pouvoir, la gloire ou la richesse, est toujours d’actualité. Les mêmes tentations auxquelles Faust a été confronté – l’orgueil aveugle, le désir brûlant de pouvoir, la cupidité, la croyance que nous pouvons être des dieux et façonner le monde et les êtres humains comme nous le souhaitons en dépit de leur nature, et les mêmes chutes vers la ruine et la disgrâce – se produisent en permanence dans notre monde postmoderne. Nos journaux et nos blogs en ligne abondent de ces histoires modernes qui nous rappelle Faust au quotidien

Certains scientifiques sont convaincus que nous, les humains, pouvons contrôler les manifestations de la nature, comme le genre ou le climat. Certains grands du spectacle se rendent célèbres pour leur lubricité ou problèmes d’addiction. Par orgueil, convaincues de leur supériorité, certaines de nos élites se comportent exactement à l’instar de Faust, exerçant le pouvoir de manière tout à fait médiocre.

Cette exaltation de soi rend souvent ces personnes, et nous tous, aveugles et inconscientes à la conclusion et à la possibilité de honte et de destruction qui les attend. Ils oublient ce que Faust réalise une heure seulement avant la fin de son contrat :

Mais les étoiles filent en silence, le temps s’enfuie, l’horloge va sonner,
le diable arrivera et Faust sera damné.

Jeff Minick a quatre enfants et un nombre croissant de petits-enfants. Pendant vingt ans, il a enseigné l’histoire, la littérature et le latin à des séminaires d’élèves faisant l’école à la maison à Asheville, en Caroline du Nord. Il est l’auteur de deux romans, Amanda Bell et Dust on Their Wings, et de deux ouvrages non fictionnels, Learning as I Go et Movies Make the Man. Aujourd’hui, il vit et écrit à Front Royal, en Virginie. Visitez : JeffMinick.com pour suivre son blog.


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