Le sauvetage de Crédit Suisse a mis à mal un marché de 250 milliards de dollars

Par Michel Pham
22 mars 2023 15:45 Mis à jour: 22 mars 2023 15:47

Orchestrée par la Banque Nationale Suisse (BNS), l’opération de sauvetage de Crédit Suisse n’a coûté que 3 milliards de francs à son acquéreur UBS. Mais elle est pourtant la cause de la perte de plusieurs milliards d’euros pour les détenteurs d’obligations « AT1 », faisant ainsi trembler un marché d’environ 250 milliards de dollars, selon l’estimation de l’hebdomadaire Barron’s.

Sous l’ordre de la BNS et du régulateur bancaire suisse Finma, les quelque 16 milliards d’euros d’obligations AT1 de Crédit Suisse seront réduits à néant dans le cadre de la fusion entre les deux plus grandes banques helvétiques. D’après Reuters, les détenteurs d’obligations AT1 issues par Crédit Suisse n’obtiendront rien suite à l’acquisition de Crédit Suisse par UBS, tandis que les actionnaires, qui se placent généralement derrière des détenteurs d’obligations dans l’ordre de paiement en cas de faillite d’une banque ou d’une entreprise, recevront, eux, 3 milliards d’euros.

En effet, « le soutien exceptionnel de l’État déclenche un amortissement complet de la valeur nominale de tous les emprunts AT1 de Crédit Suisse, et donc une augmentation des fonds propres de base », annonce Finma dans son communiqué juste après la conclusion de l’accord historique entre USB et Crédit Suisse. Le cabinet d’avocats Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan a déclaré qu’il était en discussion avec des détenteurs d’obligations AT1 de Crédit Suisse afin de considérer les éventuelles actions en justice pour contester cette décision du gendarme bancaire suisse.

Que sont les obligations AT1 ?

Les obligations AT1 (Additional Tier 1), portant également le nom d’« obligations convertibles conditionnelles », ont été créées suite à la crise financière de 2008-2009, afin de permettre aux banques de diversifier la source de leurs fonds propres. Depuis cette crise, les banques sont soumises à des règlementations strictement normées, lesquelles ont pour but de solidifier le bilan des banques et de renforcer la résistance du secteur bancaire pendant des périodes de turbulences économiques.

D’après Olivier Debat, expert en investissement de l’Union Bancaire Privée, « ces différentes initiatives prises pour protéger le système bancaire s’avèrent propices à la dette AT1. Si les fonds propres d’une banque tombent en dessous d’un seuil prédéfini (trigger, ndlr.), la dette AT1 peut être convertie en action ou dépréciée (de manière temporaire ou permanente). Cependant, les banques sont bien mieux capitalisées aujourd’hui que par le passé, et nous pourrions donc nous attendre à ce que, même dans des scénarios de correction de type Lehman, les grandes banques européennes ne voient pas leur dette AT1 chuter en dessous de leurs niveaux de trigger respectifs ».

Les obligations AT1 offrent un rendement plus élevé que la plupart des autres obligations émises par des emprunteurs ayant des cotes de crédit similaires, ce qui les rend populaires auprès des investisseurs institutionnels. Lorsqu’une entreprise s’effondre, un ordre hiérarchique de remboursement est établie. Dans cet ordre hiérarchique, les détenteurs d’obligations sont payés avant les actionnaires, et si le cours de l’action d’une société tombe à zéro, les actionnaires ne reçoivent rien en retour.

Cependant, avec l’intervention de la Banque nationale suisse, Crédit Suisse est sauvé par USB en fusionnant avec celle-ci. Les actionnaires de Crédit Suisse n’ont ainsi pas vu leurs actions réduites à néant, mais converties en actions UBS, seulement avec un prix cassé. Cela a créé une situation dans laquelle les actionnaires de Crédit Suisse sont indemnisés, contrairement aux détenteurs d’obligations AT1.

Un marché de 250 milliards de dollars sous tension

La Banque centrale européenne (BCE) et la Banque d’Angleterre, en saluant l’action « globale » de la Suisse, ont déclaré chacune leur tour qu’elles sont tout de même inquiètes de la manière dont Finma et BNS ont orchestré l’affaire Crédit Suisse. « Les instruments de fonds propres ordinaires sont les premiers à absorber les pertes, et ce n’est qu’après leur pleine utilisation que les AT1 devront être dépréciés », rappelle la BCE.

Comme Barron’s l’a rapporté, « cela a ajouté aux ondes de choc sur les marchés lundi. Deux fonds spécialisés dans les négociations en bourses concernant les AT1 ont plongé en valeur. [À savoir], l’Invesco AT1 Capital Bond UCITS ETF a chuté de plus de 6 %. Le WisdomTree AT1 Coco Bond UCITS ETF CCBO –0,53% (COCB) a chuté d’environ 9% ». Selon l’hebdomadaire de la société Down Jones, le marché des AT1 s’élève à environ 250 milliards de dollars.

Lotfi Karoui, Directeur de stratégie crédit chez Goldman Sachs a déclaré à Reuters que la décision des autorités bancaires suisses d’éliminer les obligations AT1 de Crédit Suisse pourrait réduire la demande pour ce type d’obligations : « À long terme, nous sommes un peu préoccupés par la destruction permanente potentielle de la demande [sur le marché des obligations AT1]. Je pense que les investisseurs devront réévaluer à quoi ressemble le rapport risque-rendement de ces instruments, en particulier en période de difficultés financières grandissantes. »

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