«Le vrai ennemi pour nos valeurs humanistes, c’est le parti communiste chinois»: des économistes s’inquiètent des risques d’une forte dépendance économique sur les métaux stratégiques

Par Michel Pham
21 juillet 2023 11:00 Mis à jour: 5 août 2023 18:39

L’Europe est dépendante vis-à-vis de la Chine dans le domaine des énergies renouvelables à un point qui devient dangereux pour nos démocraties, telle est l’alerte qui a été donnée lors des Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence, dont l’un des débats portait cette année sur la question « Une exploitation durable des métaux stratégiques est-elle possible ? ». Selon Valérie Mignon, professeure à l’université Paris Nanterre, la Chine communiste « a développé une stratégie ambitieuse pour renforcer sa place dominante et placer les autres pays dans une situation de forte dépendance vis-à-vis d’elle ». Quant à André Loesekrug-Pietri, président de JEDI, il alerte sur un danger qui va au-delà d’une dépendance économique. « Le vrai ennemi pour nos valeurs humanistes, c’est le parti communiste chinois », a-t-il prévenu.

Essoufflement de la croissance économique, pouvoir d’achat rongé par l’inflation, tensions sociales, prégnance du risque géopolitique… Dans un contexte marqué par une convergence de crises, les « Rencontres économiques d’Aix-en-Provence » ont été organisées par le Cercle des économistes du 7 au 9 juillet. Pendant ces trois jours, une soixantaine de débats étaient accessibles gratuitement au grand public et retransmis sur internet. Les rencontres ont rassemblé quelque 380 économistes, responsables politiques de tous bords, chefs d’entreprises, syndicalistes et autres représentants de la société civile d’une quarantaine de nationalités autour de sujets résolument tournés vers l’avenir.

Ces « sujets d’avenir » peuvent être classés dans de grandes thématiques, telles le nouveau rapport au travail, la renaissance industrielle, le réveil des consciences écologiques, le rôle des entreprises dans la société, les enjeux de mobilité, les nouvelles voies de la démocratie, le progrès de la médecine, ou encore la transition énergétique.

La transition énergétique « a aussi plein de dangers »

Faisant partie de la dernière thématique, le débat visant à répondre à la question « Une exploitation durable des métaux stratégiques est-elle possible ? » a rassemblé plusieurs spécialistes dans le domaine, notamment Valérie Mignon, professeure d’économie à l’université Paris Nanterre, Christel Bories, présidente-directrice générale d’Eramet, et André Loesekrug-Pietri, président de JEDI.

Sabine Delanglade, chroniqueuse aux Échos, a trouvé « profondément injuste » de n’avoir que 45 minutes pour animer ce débat qui est « sans doute le plus important pour notre avenir industriel ». Selon la journaliste, « si la transition énergétique est pavée de bonnes intentions, elle a aussi plein de dangers » pour les pays d’Europe, car elle « peut se transformer en arme de guerre commerciale ». Le débat sur les « matériaux stratégiques » est d’autant plus important qu’il y a  « à peine quelques jours, la Chine tape là où ça fait mal, quand elle vient de durcir les conditions d’exploitation des métaux essentiels à la fabrication des semi-conducteurs ».

En effet, Pékin a annoncé lundi 3 juillet des restrictions à compter du mois prochain sur les exportations de gallium et de germanium, deux métaux considérés comme une matière première critique par l’Union européenne. Ainsi, à compter du 1er août, les exportateurs chinois de gallium et de germanium devront impérativement fournir des informations sur le destinataire final de leurs produits ainsi que l’objet de leur utilisation, selon une directive du ministère du Commerce.

Le «Green deal» européen devient un «Buy from China deal»

La Chine représente 94% de la production mondiale de gallium, présent notamment dans les circuits intégrés, les LED et les panneaux photovoltaïques, selon un rapport de l’Union européenne publié cette année. Quant au germanium, indispensable pour les fibres optiques et l’infrarouge, 90% de la production de cet élément provient également de Chine, selon l’AFP.

Mais le pourcentage qui inquiète plus particulièrement André Loesekrug-Pietri est la proportion que « contrôle » la Chine communiste sur le raffinage « de ce qu’on appelle des aimants permanents ». Elle est de l’ordre de « 97% », alors que « c’est absolument central en Europe », d’avoir ces aimants permanents qui « permettent de faire des éoliens offshore ». Ils permettent également d’« éviter les boites de vitesse dans les éoliens » dont « les coûts de maintenance sont très élevés à l’écart des côtes ».

Fort de ce constat, le président de JEDI se dit vouloir « réveiller tout le monde dans cette torpeur estivale », notamment sur le fait que « le « Green deal » européen est en train de devenir un « Buy from China deal » ». Et d’ajouter : « Si l’on n’y prend pas garde, on est en train de recréer une dépendance bien plus grande que celle que l’on a eue avec la Russie ».

Dominer le monde avec un coût environnemental désastreux

Derrière cette dépendance se cache une ambition de dominer le monde du Parti communiste chinois (PCC) à en croire la professeure Valérie Mignon : « [La Chine communiste] a développé une stratégie ambitieuse pour renforcer sa place dominante et placer les autres pays dans une situation de forte dépendance vis-à-vis d’elle. Elle a mis en place des politiques de vastes internalisations des entreprises avec une diversité des moyens utilisés, en particulier des investissements directs à l’étranger, acquisitions, prises de participations dans des sociétés locales ou internationales, développements des projets miniers … »

« Parallèlement, la Chine a renforcé son poids dans les activités de raffinage à tel point qu’elle est le leader mondial en la matière », continue l’économiste avant de s’inquiéter des conséquences environnementales néfastes de cette pratique : « [Elle y parvient], tout simplement, en raison des normes environnementales peu contraignantes, [en acceptant] le coût environnemental du raffinage dont les étapes, vous le savez, sont très polluantes. Au total, alors même qu’elle a un sous-sol très riche, son activité de raffinage lui permet de produire tous les métaux stratégiques et dominer aujourd’hui l’ensemble des marchés » des métaux dont le « rôle est crucial dans le processus de transition énergétique ».

Le spectre du « parti communiste chinois »

La dépendance des industries européennes à la Chine est une vraie menace non seulement selon les économistes, mais aussi pour les responsables politiques de l’Europe. En effet, inquiète de la dépendance des industriels européens à la Chine pour nombre de matières premières, la Commission européenne avait présenté le 16 mars dernier un règlement destiné à sécuriser les approvisionnements, du lithium au cobalt, en passant par le nickel, pour les batteries automobiles.

Les trois ministres de l’Économie, de l’Allemagne Robert Habeck, de la France Bruno Le Maire et de l’Italie Adolfo Urso, ont annoncé lundi 26 juin dans une conférence de presse commune qu’ils vont approfondir leur coopération pour sécuriser l’accès aux matières premières stratégiques. En outre, Berlin, Paris et Rome ont plaidé pour inclure l’aluminium dans la liste des matériaux « critiques ».

Cependant, cela manque d’« anticipation » aux niveaux des « politiques industrielles », alors que « la Chine a fait cela depuis quinze ans », d’après André Loesekrug-Pietri. Ce dernier regrette d’observer que la question « comment on remet du long terme dans nos démocraties » reste totalement ouverte. Il s’agit là d’une réalité alarmante, selon l’expert, notamment dans le contexte où ce sont « les pays autoritaires qui ont des visions de long terme pour des très mauvaises raisons ».

André Loesekrug-Pietri développe davantage ses arguments en distinguant clairement la Chine et le Parti communiste chinois : « Le vrai ennemi pour nos valeurs humanistes, c’est le Parti communiste chinois. Ce n’est pas la Chine, c’est le Parti communiste chinois. C’est le système contre lequel il faut se battre. Mais il ne faut pas lui laisser le monopole des pensées de long terme et de l’agilité à court terme ».

Pour ce faire, Christel Bories suggère qu’au-delà de la prise de conscience, l’Europe devra accélérer la mise en place des « accords économiques et politiques » ainsi que « des outils de financement de projets » avec des pays où les ressources naturelles sont abondantes. La présidente d’Eramet cite l’exemple de l’Indonésie, où se concentrent les « 80% des projets nickel-cobalt pour les batteries », mais « 95% de ces 80% sont chinois ». Selon elle, l’Indonésie, en n’ayant « pas forcément envie d’être totalement dépendante de la Chine », serait « prête à coopérer » avec l’Europe – « un immense marché ».

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