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L’entrepreneuriat organisationnel au service de l’innovation

novembre 22, 2017 12:54, Last Updated: novembre 22, 2017 12:54
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L’innovation est le processus consistant à convertir une idée ou une invention en un bien ou un service qui crée une valeur que les utilisateurs sont prêts à adopter et/ou payer. Mais bien qu’elles investissent massivement en R&D, ce processus de conversion demeure élusif pour de nombreuses entreprises bien établies.

Les dirigeants de ces entreprises en sont conscients : une étude du Boston Consulting Group de 2015 révèle que la majorité des dirigeants des 1 500 entreprises sondées sont peu satisfaits de leur processus d’innovation : ils le jugent trop lent, trop conservateur et mal coordonné.

De nombreuses entreprises font le pari de l’entrepreneuriat organisationnel (corporate entrepreneurship) pour pallier les insuffisances des processus d’innovation existants. Mais l’entrepreneuriat organisationnel a des limites et ne constitue pas toujours l’approche la plus indiquée. Ce billet tente de préciser les spécificités de l’entrepreneuriat organisationnel et les situations pour lesquelles il constitue une modalité d’innovation particulièrement appropriée.

L’entrepreneuriat organisationnel

Il existe de nombreuses définitions de l’entrepreneuriat organisationnel. Sharma et Chrisman le définissent comme « le processus par lequel un individu (ou un groupe d’individus), en association avec une organisation existante, crée une nouvelle organisation ou provoque le renouvellement ou l’innovation au sein de cette organisation. »

Wolcott et Lippitz le définissent comme « le processus par lequel des équipes au sein d’une société établie conçoivent, favorisent, lancent et gèrent une nouvelle entreprise distincte de la société mère en tirant parti des actifs, de la position sur le marché, des capacités ou d’autres ressources. »

L’entrepreneuriat organisationnel est donc une modalité d’innovation qui ne repose pas sur des processus et des compétences institutionnalisés mais sur l’élan et l’improvisation des individus.

L’entrepreneuriat organisationnel place les individus et leurs interactions sociales au centre du processus d’innovation. Les entrepreneurs organisationnels sont des employés autonomes et engagés qui se comportent comme des partenaires de l’organisation et non comme des rouages.

En outre, les entrepreneurs organisationnels ne contribuent pas uniquement au processus d’innovation en tant que spécialistes mais prennent en charge tous les aspects de leur projet, au cours de ses différentes phases.

Ils ne peuvent pas s’appuyer sur une enveloppe financière préétablie mais doivent continuellement « vendre » leur projet en interne afin d’obtenir les ressources dont ils ont besoin. Il est également commun pour les entrepreneurs organisationnels de travailler sur leur projet en parallèle de leurs autres activités, au moins dans un premier temps.

Ils s’appuient sur des réseaux informels pour obtenir des ressources et des appuis et ne suivent pas nécessairement les procédures standard. Enfin, les entrepreneurs organisationnels sont prêts à assumer personnellement la responsabilité du succès ou de l’échec de leur projet.

Grâce à leur autonomie, leur engagement et à leur montée en puissance progressive, les entrepreneurs organisationnels sont en capacité d’accélérer le cycle de développement et d’accroître les chances de succès de leur projet tout en minimisant les coûts et les risques inhérents à la poursuite d’activités innovantes. Mais ils sont également isolés et souvent confrontés à une forte asymétrie dans leur rapport avec l’organisation qui peut in fine fragiliser le développement de leur projet.

Par ailleurs, leur approche incrémentale peut se révéler pénalisante lors du passage à grande échelle de leur projet. Innover « entrepreneurialement » plutôt qu’institutionnellement comporte des avantages et des inconvénients : il est donc important d’identifier les situations dans lesquelles les avantages excèdent à coup sûr les inconvénients.

Deux situations particulièrement adaptées à l’entrepreneuriat organisationnel

1. La rapidité et la réactivité sont des facteurs clés de succès

De par le rôle central qu’y tiennent les individus, l’entrepreneuriat organisationnel offre les avantages de la rapidité et de la réactivité. Car les individus – et non les organisations – sont en mesure de combiner mentalement les dimensions clés (technologies, ressources, flux de travail, exigences du marché) d’un projet innovant, d’intégrer rapidement de nouvelles informations et de modifier instantanément leur ligne de conduite. L’entrepreneuriat organisationnel peut donc permettre l’accélération des cycles de développement ainsi qu’une adaptation plus fine aux demandes du marché.

En revanche, l’entrepreneuriat organisationnel est moins pertinent lorsque la fiabilité constitue un facteur clé de succès. Dans ce cas, l’innovation institutionnelle avec ses processus et règles de décision formalisés sera plus à même de garantir un résultat final sans surprise, aligné avec des exigences de sécurité et de performance très élevées. Si l’innovation entrepreneuriale peut occuper une place centrale dans l’élaboration de nouvelles activités dans des secteurs tels que la mode, l’alimentaire ou les services, elle ne peut jouer le même rôle dans les secteurs du nucléaire, de l’aéronautique, de la finance ou des services publics, par exemple.

2. L’entreprise maîtrise une (des) technologie(s) de base dont les applications sont multiples

3M et W.L. Gore & Associates sont deux grandes entreprises dont la forte capacité d’innovation repose largement sur l’entrepreneuriat organisationnel. Elles sont organisées comme de grands incubateurs et laissent beaucoup de place à l’initiative individuelle lorsqu’il s’agit de concevoir de nouveaux produits. Ce sont des entreprises fortement diversifiées – la gamme de 3M s’étend des abrasifs aux produits pharmaceutiques en passant par les Post-it ; celle de Gore, des textiles spéciaux aux matériaux électrochimiques en passant par les cordes de guitare – qui déclinent leurs technologies de base en des centaines d’applications très différentes mais toutes susceptibles d’occuper des niches profitables. De par la place qu’elle accorde à l’initiative individuelle, l’innovation entrepreneuriale favorise le foisonnement et la diversité et permet de multiplier le nombre de produits lancés chaque année. Que ce soit chez 3M ou chez Gore, les produits lancés ont en commun de tirer parti de technologies de base parfaitement maîtrisées qui forment un patrimoine commun à la disposition des innovateurs potentiels.

A contrario, les entreprises centrées sur un seul produit (automobile, aéronautique, microprocesseurs) et dont les processus de conception et la production reposent sur l’intégration de technologies multiples sont moins susceptibles de bénéficier de l’initiative et de l’improvisation individuelle qui caractérise l’innovation entrepreneuriale.

Cela signifie-t-il qu’il n’y pas de place pour l’entrepreneuriat organisationnel dans certaines entreprises ? La réponse à cette question est négative !

L’entrepreneuriat organisationnel a un vaste champ d’application qui va au-delà de l’innovation produit : il peut être utilisé pour améliorer les processus et les systèmes, pour créer de nouvelles compétences en interne, pour développer de nouveaux modes de commercialisation et de promotion, proposer des services annexes, etc.

En outre, l’entrepreneuriat organisationnel n’est pas uniquement générateur d’avantages économiques : il contribue à la motivation des équipes et au décloisonnement de l’organisation et, à ce titre, peut jouer un rôle dans toutes les entreprises…

Véronique Bouchard, Professeur de Stratégie et d’Organisation, EM Lyon

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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