INTERNATIONAL

Les États-Unis, responsables de l’ordre mondial ?

octobre 11, 2017 23:00, Last Updated: octobre 11, 2017 22:53
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Sur cette question, la Cour suprême à Washington est apparue perplexe mercredi.

Cette affaire, reposant le problème de la compétence universelle de la justice américaine, sort de l’ordinaire par son enjeu et l’importance de ses protagonistes.

D’un côté se trouve une multinationale fondée en 1930 à Jérusalem, dans la Palestine sous mandat britannique, et dont le siège actuel est en Jordanie. L’Arab Bank compte plus de 600 succursales dans une trentaine de pays.

Cette banque « est une pierre angulaire de l’économie jordanienne », a insisté mercredi l’avocat de l’institution, Paul Clement, face aux neuf sages de la haute cour de Washington.

L’établissement financier joue un rôle central dans les territoires palestiniens où il travaille avec les grandes ONG internationales. Le gouvernement américain a ainsi qualifié l’Arab Bank de « partenaire constructif » dans la lutte contre le blanchiment d’argent et la violence armée.

De l’autre côté se trouvent quelque 6.000 plaignants étrangers, victimes d’attaques commises en Israël, en Cisjordanie et à Gaza, principalement durant la seconde intifada (2000-2005).

Ils affirment que l’Arab Bank a violé les lois internationales en permettant des transferts financiers sur des comptes détenus par des chefs du Hamas, considéré comme un groupe terroriste.

Les plaignants ont fondé leur action sur un article de loi de 1789, l’Alien Tort Statute (ATS), censé permettre de redresser un tort causé à un étranger.

Comme l’ont rappelé les débats, l’ATS est né dans le sillage d’une algarade survenue à Philadelphie en 1784, qui a opposé le secrétaire du corps expéditionnaire français en Amérique, le consul général François Barbé-Marbois, à un aventurier également français, le chevalier de Longchamps.

M. de Longchamps avait pris à partie M. Barbé-Marbois, le traitant de « polisson » et de « coquin ». Les deux hommes avaient ensuite échangé des coups de canne et en étaient venus aux mains.

La France, considérant que la loi internationale sur la protection des diplomates avait été bafouée, avait exigé que l’affaire connaisse des suites judiciaires sur ce fondement.

Cinq ans plus tard, le Congrès avait adopté l’ATS, donnant compétence aux juridictions fédérales américaines pour recevoir toute action en responsabilité civile engagée par un étranger pour une grave atteinte aux droits fondamentaux.

Pendant près de deux siècles, l’Alien Tort Statute a sombré dans un relatif oubli, avant de réapparaître dans la jurisprudence de la fin du XXe siècle. L’ATS a fait naître l’espoir d’une compétence universelle de la justice américaine en matière de réparation civile.

De fait, diverses actions ont été lancées contre des dictateurs étrangers, ou encore contre des multinationales suspectées d’être impliquées dans des exactions hors du territoire américain.

Toutefois, comme le rappelle l’expert Johann Morri, la Cour suprême a depuis 2004 plusieurs fois limité la portée de l’ATS, en jugeant que la compétence des juridictions fédérales n’était susceptible d’être reconnue « que pour des violations équivalentes, par leur nature et leur gravité, à celles que les auteurs de l’ATS avaient originalement à l’esprit : les attaques contre des ambassadeurs, la violation des sauf-conduits et la piraterie ».

La haute cour a également réaffirmé la présomption selon laquelle la loi américaine a vocation à régir le territoire des États-Unis et non le monde entier. Autrement dit, même si le litige a un lien avec les États-Unis, il faut que celui-ci soit « suffisamment fort pour renverser la présomption de non extraterritorialité ».

Mercredi, les juges de la Cour suprême sont une nouvelle fois apparus réticents à étendre le champ d’application de l’ATS aux multinationales n’ayant aucun lien avec les États-Unis, en notant le risque de « frictions diplomatiques ».

L’ATS a été adopté pour « offrir une juridiction à quelqu’un comme le consul de France dans l’affaire Longchamps, mais, au cas où nous l’étendons à la responsabilité des entreprises, je me demande si on ne va pas se retrouver avec un problème d’embrouillaminis étrangers comme en l’espèce avec la Jordanie », s’est interrogé le président de la cour, John Roberts.

La Cour suprême rendra son jugement d’ici fin juin 2018.

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