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De chasseur à proie : l’ironie du sort du diplomate chinois Liu Jianchao

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Liu Jianchao, chef du Département international du Parti communiste chinois, arrive à une cérémonie marquant le 70e anniversaire des cinq principes de coexistence pacifique, au Grand Hall du Peuple à Pékin, le 28 juin 2024.

Photo: Greg Baker/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 7 Min.

Ces derniers jours, les médias ont largement couvert et spéculé sur le sort réservé à Liu Jianchao, figure influente du Parti communiste chinois (PCC), qui fait actuellement l’objet d’une enquête menée par la police interne du Parti, tout comme son adjoint.
Il est difficile de ne pas comprendre pourquoi la sphère chinoise regorge de spéculations et de ragots, car même s’il n’est pas aussi célèbre que d’autres, la chute de M. Liu fait figure de justice pour le moins poétique, en particulier pour tous les Chinois vivant à travers le monde et inquiets pour leur sécurité alors que le PCC étend son contrôle mondial et sa répression transnationale. M. Liu était le responsable du Parti chargé à la fois des opérations d’influence à l’étranger et de la campagne mondiale visant à traquer les personnes recherchées par le Parti et à les ramener en Chine.
Il a non seulement occupé des postes importants au sein du Parti, mais il a également dirigé la police du Parti, qui a été réorganisée en 2018, considérablement élargie et rebaptisée « Commission nationale de supervision ». Il a également mis en place un nouveau système national de détention secrète et illégale : le « liuzhi ».
De plus, M. Liu a été un fervent promoteur du système des disparitions et de l’utilisation du « liuzhi » pour faire disparaître des personnes sans préavis, souvent pendant une période pouvant aller jusqu’à six mois, sans en informer personne.
En tant que chef du Département international du PCC, il a joué, avec son adjoint Sun Haiyan, un rôle clé dans l’expansion de l’influence du régime chinois à l’étranger. Il a fréquemment voyagé en Europe, y renforçant l’influence du PCC, ainsi qu’aux États-Unis.
Tout en courtisant les parlements étrangers, en établissant un soutien aux groupes du Front uni à l’étranger, en s’engageant auprès des responsables du monde entier, M. Liu a en même temps tenu un rôle clé dans la traque des exilés à l’étranger, en les « persuadant » de revenir, en utilisant des méthodes allant des menaces et de l’intimidation aux menaces contre les membres de la famille encore en Chine, jusqu’aux enlèvements purs et simples, dans le cadre des opérations Fox Hunt et Sky Net du régime.
Pour toutes ces raisons, M. Liu était souvent pressenti pour devenir le prochain ministre des Affaires étrangères, et il est facile de comprendre pourquoi.
Son parcours et ses actions sont impressionnants, et sa trajectoire ressemble à un modèle de réussite au sein du Parti communiste chinois. Ayant gravi les échelons disciplinaires dans la province du Zhejiang, il s’est forgé une réputation d’impitoyable tsar dans la lutte contre la corruption.
En tant que chef du Bureau de la coopération internationale, puis commandant du Bureau international de récupération des fugitifs, M. Liu a supervisé les opérations mondiales visant à rapatrier les cadres corrompus, dirigé le système « liuzhi », approuvé les détentions secrètes et orchestré les enquêtes internes du Parti, avec une tolérance zéro pour la dissidence. Il a mis en place les mécanismes mêmes qui menacent aujourd’hui sa liberté.
Il est donc ironique que, comme beaucoup de ceux renvoyés de force en Chine contre leur gré, M. Liu fasse actuellement l’objet d’une enquête de la même police interne du Parti. Sachant que son domicile a été perquisitionné à peu près au même moment où il a été interpellé, début août, il semble fort probable qu’il fasse partie des 40.000 à 45.000 personnes qui ont disparu dans le système « liuzhi » cette année.
Comme il s’agit d’un mécanisme interne au Parti, le « liuzhi » n’a rien à voir avec le système pénal et aucun droit légal ne s’y applique. Il fait partie de la « beauté » du système, et comme M. Liu l’a déclaré publiquement : « Il ne s’agit pas d’arrestations pénales ou judiciaires, et elles sont plus efficaces. »
Les personnes arrêtées dans la rue et placées en « liuzhi » disparaissent souvent. Les lieux utilisés sont, par définition, secrets. Les autorités n’ont pas besoin d’alerter les familles des victimes. Il ne s’agit pas d’une procédure légale, il n’y a donc pas de droit à l’assistance d’un avocat. Les victimes sont maintenues jusqu’à six mois à l’isolement dans des cellules anti-suicide sous surveillance constante. En bref, elles disparaissent.
Les enquêteurs peuvent faire tout ce qu’ils veulent pour obtenir ce qu’ils veulent, c’est-à-dire des aveux. Toujours des aveux. Et ça fonctionne toujours. Le système d’enlèvement approuvé par l’État – car c’est bien de cela qu’il s’agit en réalité – permet aux enquêteurs de faire tout ce qu’ils veulent, de briser tous les os et les esprits qu’ils veulent, car il n’y a aucune supervision et ils peuvent garder la victime pendant six mois. Pourquoi ne profiteraient-ils pas du pouvoir qui leur a été conféré ? Ainsi, M. Liu, comme tous les autres poids lourds qui sont passés par le système, finira par avouer. Combien de temps cela prendra-t-il ? Nul ne le sait.
M. Liu a passé des décennies à maîtriser l’appareil « disciplinaire » du Parti, pour finalement se retrouver à la merci du même système qu’il a contribué à créer avec tant de zèle. Le chasseur est devenu la proie.
Une fois de plus, le système de gouvernance de la Chine mis en place par le PCC montre, avec une clarté croissante, que ce système détruit ses propres membres.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

Peter Dahlin est le fondateur de l'ONG Safeguard Defenders et le cofondateur de l'ONG chinoise China Action, basée à Pékin (2007-2016). Il est l'auteur de "Trial By Media" (Procès mené par les médias) et a contribué à "The People's Republic of the Disappeared" (La République populaire des disparus). Il a vécu à Pékin à partir de 2007, jusqu'à ce qu'il soit détenu et placé dans une prison secrète en 2016, puis expulsé et interdit de retour. Avant de vivre en Chine, il travaillait pour le gouvernement suédois, spécialisé dans les questions d'égalité de genre. Il vit aujourd'hui à Madrid, en Espagne.

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