Les plus grands cerveaux criminels internationaux trouvent refuge en Afrique du Sud

Par Darren Taylor
6 février 2023 13:41 Mis à jour: 6 février 2023 13:42

Lorsque les équipes des forces spéciales de la police, soutenues par des agents d’Interpol, ont fait irruption dans une luxueuse maison de Bryanston, dans la banlieue cossue de Johannesburg, à 4 heures du matin, le 17 novembre 2022, elles ont vite compris que leurs renseignements étaient erronés.

Les renseignements avaient sous‑estimé ce qu’ils allaient trouver derrière la façade du manoir, encadrée de pelouses bien entretenues, de rosiers et de fontaines, le décor parfait pour donner un air de respectabilité et de tranquillité suburbaines dans un quartier qui abrite des capitaines d’industrie et des PDG de certaines des plus grandes entreprises d’Afrique du Sud.

À l’insu de ses riches voisins et de leurs cohortes de domestiques, l’homme qui vivait dans cette résidence était un des criminels les plus recherchés par Israël et Interpol, depuis sept ans. L’Afrique du Sud lui permettait de poursuivre toutes ses opérations mafieuses.

Yaniv Yossi Ben Simon, 46 ans, se bat désormais pour éviter l’ extradition vers son pays. C’est un tueur à gages et un « homme de main polyvalent » de l’organisation Abergil, un groupe criminel basé à Tel Aviv dont les tentacules s’étendent au Moyen‑Orient et à l’étranger, selon Interpol.

Le chef de l’organisation, Yitzhak Abergil, purge trois peines de prison à vie et 30 années supplémentaires dans une prison israélienne pour le meurtre de trois passants lors d’un attentat à la bombe en 2003. C’était une tentative d’assassinat de trafiquants de drogue rivaux.

Dans la maison de Ben Simon, les enquêteurs ont trouvé tout un arsenal, des fusils d’assaut AK‑47, un assortiment d’armes de poing, des drones équipés de caméras haute résolution, des motos, des voitures de sport volées, des gilets pare‑balles, 3 kilos de cocaïne, des machines compteuses de billets et des balances pour peser les stupéfiants.

« Cette dernière saga montre que l’organisation Abergil est très présente en Afrique du Sud, c’est une preuve supplémentaire que le pays sert de refuge pour les groupes criminels organisés transnationaux, la mafia italienne, russe et chinoise, les réseaux nigérians de cybercriminalité et de trafic d’êtres humains, et bien d’autres encore », explique pour Epoch Times Chad Thomas, détective privé témoin de l’opération qui visait Ben Simon.

« En réalité, c’est un fait avéré depuis des décennies, mais ça s’empire. »

Selon lui, si le gouvernement de l’apartheid commettait de flagrantes violations des droits de l’homme contre ses citoyens, sa police était cependant très efficace pour empêcher le crime organisé de prendre pied en Afrique du Sud.

« Ce qui est inquiétant, c’est que ces fugitifs mondiaux ne se contentent pas de venir se cacher ici. Ils utilisent l’Afrique du Sud pour poursuivre leurs crimes. Mes sources policières me disent que certains des fusils trouvés dans la piaule de Ben Simon ont été convertis en fusils de sniper. »

Une petite camionnette de livraison trouvée sur la propriété, explique‑t‑il, avait été transformée en « nid de sniper insonorisé » tandis qu’une autre « avait été transformée en chambre de torture ».

« Les assassins du monde entier utilisent des motos. Ce sont les meilleurs véhicules pour s’enfuir car ils sont très rapides. La conclusion évidente que l’on peut tirer en voyant toutes ces motos, ces armes à feu silencieuses et les camionnettes transformées est que ce groupe opérait sur le sol sud‑africain. »

Il y a eu un certain nombre d’assassinats non résolus dans le pays ces dernières années.

Un des cas les plus marquants est le meurtre de l’ancienne star du football sud‑africain Marc Batchelor en juillet 2019.

Le président sud-africain Cyril Ramaphosa lors de la réunion du Forum économique mondial au Cap, en Afrique du Sud, le 5 septembre 2019. (Rodger BoschAFP/Getty Images)

 

Batchelor arrivait à son domicile dans la banlieue de Johannesburg d’Olivedale, à six kilomètres de Bryanston. « Piégé par la foule », selon sa famille, deux hommes à moto ont commencé à tirer sur sa BMW, et ont fini par la pulvériser.

Selon l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale (GI‑TOC pour Global Initiative Against Transnational Organized Crime), la présence de syndicats criminels locaux et internationaux en Afrique du Sud est une menace pour les institutions démocratiques, l’économie et la population du pays.

Dans un rapport publié en septembre 2022, le GI‑TOC indique que la « flambée » des meurtres, extorsions, enlèvements, montre que les groupes criminels organisés sont désormais « solidement implantés » en Afrique du Sud.

Depuis 2010, le taux de meurtre a augmenté de 38%, selon le rapport.

Selon le GI‑TOC, le taux d’assassinat dépasse désormais les 40 pour 100.000 citoyens par an. L’Afrique du Sud se situe dans le top 5 des pays où le nombre d’exécutions extrajudiciaires est le plus élevé.

Le rapport indique que plus de 10.000 personnes ont été enlevées pour des demandes de rançon en 2021, les chiffres pour 2022 sont certainement beaucoup plus élevés.

« Gardez à l’esprit que ce type de crime est largement sous‑déclaré car, souvent, les familles des victimes n’appellent pas la police. Elles paient simplement la rançon », explique pour Epoch Times le représentant d’Interpol en Afrique du Sud, Andy Mashaile.

Selon les chiffres de la police en 2019, il n’y a eu que 77 « enlèvements avec demande de rançon » cette année‑là.

Le président sud-africain Jacob Zuma (à g.) avec le président soudanais Omar al-Bashir (D) lors de la cérémonie de prestation de serment du président ougandais Yoweri Museveni, le 12 mai 2016. (GAEL GRILHOT/AFP via Getty Images)

Interrogée par Epoch Times, le professeur Elrena van der Spuy, principale criminologue à l’université du Cap, explique qu’au cours des deux dernières décennies, les syndicats du crime ont diversifié leurs activités en Afrique du Sud.

« Hormis les délits opportunistes et mineurs tels que les cambriolages et les crimes violents tels que les viols, je ne pense pas qu’il y ait un seul crime qui se produise aujourd’hui qui ne soit pas lié d’une manière ou d’une autre à un groupe criminel organisé. »

Le rapport du GI‑TOC corrobore ce constat, en détaillant l’implication de ces groupes dans le carjacking (détournement de voiture avec menaces sur le conducteur), le vol de véhicules, l’extorsion, la traite des êtres humains, le trafic de stupéfiants, le braquage de véhicules de transport de fonds, le braconnage de rhinocéros et d’éléphants, et le vol de métaux et d’équipements dans les entreprises publiques d’électricité, d’eau et de transport.

« Les groupes criminels ont pénétré au cœur même de l’économie sud‑africaine », déclare Mark Shaw, directeur du GI‑TOC, à Epoch Times. « Ils ont infiltré les mines d’or, de platine et de charbon. Tous ces minéraux sont volés et vendus de manière illégale. »

Selon Andy Mashaile, le représentant d’Interpol, les gangs spécialisés dans la cybercriminalité, notamment en provenance du Nigeria, sont désormais « solidement implantés » en Afrique du Sud. Ils mettent à profit les systèmes informatiques avancés du pays.

« Nos recherches montrent que l’Afrique du Sud est le plus grand centre d’adresses de protocole Internet utilisées pour l’extorsion numérique en Afrique, et l’un des plus grands au monde », explique‑t‑il.

Selon le rapport du GI‑TOC : « L’Afrique du Sud est confrontée à une menace criminelle complexe et hybride. »

« Ayant pris naissance dans des conditions très restreintes sous l’apartheid, en trois décennies, le crime organisé s’est répandu dans tout le pays et tissé sa toile à travers le monde. »

Le blanchiment d’argent

Ian Allis, expert en droit pénal du cabinet Allis Attorneys, explique que les systèmes financiers « mal contrôlés » du pays rendent « relativement facile » le blanchiment d’argent pour les syndicats.

« Notre économie est en train de fondre, mais il y a encore assez d’argent à gagner pour eux, et l’Afrique du Sud reste le principal conduit continental par lequel des milliards de dollars circulent chaque jour. Le blanchiment d’argent est facile ici, même le gouvernement le fait. »

Selon le directeur du GI‑TOC Marc Shaw, l’affaiblissement des institutions nationales, telles que la police et la justice, qui s’est produit sous l’ancien président Jacob Zuma, a fourni, et fournit encore, une « plateforme solide » permettant au crime organisé de prospérer.

Jacob Zuma a gouverné pendant neuf ans jusqu’à ce que le Congrès national africain (ANC) l’évince en 2018.

Une commission d’enquête judiciaire a constaté qu’au moins 34 milliards de dollars ont été volés à des entreprises publiques pendant son administration. Une grande partie de l’argent volé, selon le juge Raymond Zondo, chef de la commission, a fini dans les poches de figures présumées du crime organisé liées à Jacob Zuma et à l’ANC.

L’ancien président et son parti nient ces allégations, bien que le successeur de Zuma, Cyril Ramaphosa, ait reconnu la présence de « criminels » au sein de l’ANC et il s’est engagé à « s’en débarrasser ».

Selon le juge Raymond Zondo, Zuma avait nommé des « sbires et des amis » pour gérer les entreprises publiques.

Cela a donné lieu, selon Marc Shaw, à « des réseaux de pistons, qui ont contribué à faciliter la corruption à grande échelle et permis aux entreprises et au crime organisé de s’assurer une place sans précédent dans l’appareil d’État. »

L’expert en droit Ian Allis est convaincu que les racines de la crise croissante du crime organisé dans le pays se trouvent dans les « politiques d’ouverture post‑apartheid de l’ANC ».

« Replongez‑vous dans les années 1990. C’était buffet à volonté. Des millions d’immigrés clandestins affluaient de toute l’Afrique. Le gouvernement de l’ANC était peu enclin à faire appliquer ses lois sur l’immigration. »

« Il n’a pas fallu longtemps aux mafieux pour comprendre ce qui se passait. Vous pouvez imaginer qu’ils ont dû se frotter les mains : ‘Wouah, voilà un beau pays à la pointe sud de l’Afrique avec beaucoup d’argent, une grosse industrie, un gouvernement corrompu, une application de la loi pathétique, et avec des hôtels, des plages et des restaurants de première classe. Qu’est‑ce qu’on attend, les gars ? Faites vos valises ! »

En 1995, suite à l’intervention du gouvernement italien, le présumé chef de la mafia sicilienne Vito Palazzolo, qui avait créé plusieurs sociétés en Afrique du Sud, a été extradé vers sa patrie, puis condamné à neuf ans de prison pour « activités et associations avec la mafia ».

En 2016, le chef du crime organisé tchèque Radovan Krejcir, qui s’était installé à Johannesburg en 2007, a été condamné à 35 ans de prison de nombreux crimes, tentatives de meurtre, agressions et enlèvements.

Les tueries de la pègre

Les enquêtes locales ont impliqué Radovan Krejcir dans une série de meurtres commis par la pègre, notamment celui d’un chef de gang rival, mais il n’a été inculpé dans aucune de ces affaires.

Avant son incarcération, il s’était publiquement vanté de ses amitiés et de ses « alliances en affaires » avec des membres importants de l’ANC. Ceux‑ci ont nié l’avoir jamais rencontré.

Pour le détective privé Chad Thomas, le fait que les fugitifs internationaux opèrent dans le pays est  un « secret de polichinelle ».

« Croyez‑moi, l’arrestation de Ben Simon n’est que la partie émergée de l’iceberg. Je félicite les unités sud‑africaines qui ont participé à son démantèlement, mais n’oublions pas qu’elle n’a eu lieu que sous la pression d’Interpol. »

Selon lui, l’Afrique du Sud dispose d’une législation « incroyable » pour lutter contre le crime organisé.

« Nous avons des membres au sein des structures d’application de la loi et de poursuites judiciaires qui veulent faire la différence. Mais ils n’obtiennent pas le soutien politique nécessaire. Ils manquent de ressources, de capacités et d’infrastructures pour lutter contre ce qui devient rapidement un problème très embarrassant sur la scène mondiale. Pour l’instant, ils sont armés de couteaux dans des fusillades. »

Le président Cyril Ramaphosa a récemment renforcé son pouvoir de poursuite et ses unités d’enquête spécialisées. Mais il est de plus en plus paralysé par les accusations selon lesquelles il est lui aussi impliqué dans le crime organisé.

En 2020, Ramaphosa s’est fait volé au moins 580.000 dollars dans son luxueux ranch. Un comité juridique indépendant a été mis en place à la fin de l’année dernière. Ce dernier a conclu que cet argent provenait probablement de nombreux crimes, tels que le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale, l’enlèvement, etc.

Le président Cyril Ramaphosa a reconnu que l’argent avait été volé dans son ranch et déclaré qu’il s’agissait d’argent légal provenant de la vente d’animaux à un homme d’affaires soudanais lié au président déchu Omar el‑Béchir.

Selon l’ancien chef des services de renseignements de la police de Zuma, Arthur Fraser, le président a utilisé ses gardes du corps pour suivre les voleurs présumés jusqu’en Namibie. La déclaration sous serment d’Arthur Fraser décrit comment certains des suspects ont été extradés illégalement, torturés, puis payés pour garder le silence sur toute l’affaire.

Cyril Ramaphosa a nié tout acte répréhensible et son bureau a déclaré qu’une enquête de police sur le vol était « en cours » et qu’elle « établira la vérité ».

« Avec ce genre de choses qui se passent en Afrique du Sud, il est évident que les criminels internationaux vont trouver le pays très attractif », explique Ian Allis. « Je veux dire, il n’y a pas de meilleur endroit que celui ou le poisson est déjà pourri de la tête aux pieds. »

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