L’héritage durable des efforts de l’empereur Justinien pour « rendre à Rome sa grandeur »

Par Michael Bonner
20 avril 2024 01:27 Mis à jour: 20 avril 2024 22:02

Fragmentation sociale, polarisation politique, factionnalisme, diminution des capacités de l’État, surcharge militaire, pandémie…

Suis-je en train de décrire notre époque ou le sixième siècle ?

Au VIe siècle, l’État romain, vieux de plus de 1 000 ans, était en piteux état. La vieille ville de Rome n’est plus qu’un trou perdu. La cour des empereurs avait été déplacée à Constantinople, aujourd’hui appelée Istanbul. La plupart des provinces occidentales sont perdues depuis plusieurs générations au profit des envahisseurs germaniques. À l’est, l’empire iranien exerce une forte pression sur une frontière incertaine qui s’étend du Caucase à l’Arabie, et les guerres sont fréquentes. Le sort de l’Arménie, le royaume le plus important entre l’Iran et Rome, est en jeu. Les impôts sont onéreux, le commerce précaire et l’ancien système juridique romain est un labyrinthe de lois contradictoires remontant à des centaines d’années.

Il y a près de 1 500 ans, en avril 527, un paysan originaire de l’actuelle Macédoine est devenu empereur des Romains. Son nom d’origine était Petrus Sabbatius, mais en tant qu’empereur, il était connu sous le nom de Justinien. Sa devise aurait dû être « Rendre à Rome sa grandeur ».

Il avait un plan de réforme et de renouvellement extrêmement ambitieux. Son grand rêve était de rétablir la domination romaine en Occident et de réunifier le monde méditerranéen fracturé. Mais ses réformes ont surtout commencé par le système juridique. Elles sont confiées à un comité de juristes de Beyrouth et de Constantinople, sous la direction du professeur de droit Tribonian. Toutes les ambiguïtés et les conflits de lois et d’avis juridiques remontant à l’ancienne République romaine sont clarifiés, et tout ce qui était superflu est éliminé. Justinien s’intéresse de près à ce travail et le fait avancer à une vitesse fulgurante.

Il en résulte alors ce que l’on appelle le Code Justinien (toutes les lois publiées à ce jour), le Digeste (une encyclopédie juridique) et les Institutes (un manuel destiné aux étudiants dans leur apprentissage du droit romain). L’ensemble de ces textes est connu sous le nom de corpus de droit civil. Il y a également eu une mise à jour ultérieure de la nouvelle législation sous la forme des romans de Justinien, les Nouvelles Constitutions ou novelles.

La fixation intransigeante de Justinien sur la réforme juridique a été couronnée de succès. Le succès fut tel qu’il est très difficile pour les historiens de déterminer ce qu’était le droit romain avant les réformes. La meilleure preuve de ce succès, cependant, est que l’État romain a duré encore près de 1000 ans. Ce que nous appelons l’empire byzantin n’était en fait que l’Empire romain d’Orient, qui a perduré jusqu’en 1453. Ainsi, l’œuvre de Justinien lui a survécu, et son code juridique est devenu la base du droit civil européen moderne. L’influence de ce système juridique a même atteint le Nouveau Monde sous la forme des codes civils du Québec et de la Louisiane.

Cependant, aucune des autres ambitions de Justinien n’est couronnée de succès. Nombreux sont ceux qui ne voient en lui qu’un paysan arriviste et qui doutent de sa légitimité. Ils détestent nombre de ses politiques et se révoltent. Justinien réagit en faisant massacrer 30.000 manifestants. Ses guerres en Occident étaient en grande partie des distractions domestiques et des quêtes de légitimité. Mais la reconquête de l’Italie est un véritable gouffre financier et finit par détruire et dépeupler une grande partie de la campagne. La résistance germanique se transforment en insurrection et les bouleversements qui suivent rendent l’Italie inhospitalière pour le monde savant et l’apprentissage, et font disparaître l’ancien Sénat romain. Ce que certains appellent encore « l’âge des ténèbres » occidental est en grande partie imputable à Justinien.

Le conflit apparemment sans fin avec l’Iran n’a pas non plus engendré d’importantes réalisations. Les politiques religieuses de Justinien ont davantage contribué à diviser qu’à unir le monde chrétien. Pour ajouter le malheur à la souffrance, la peste qui a éclaté dans les années 540 a tué jusqu’à un tiers de la population romaine. Les villes ont été dévastées et les survivants se retrouvent affaiblis et démoralisés.

Si on s’attend aujourd’hui qu’un quelconque Justinien remette les choses en ordre, alors l’histoire du VIe siècle a de quoi nous inquiéter. Malgré tous ses efforts, Justinien a laissé derrière lui un État romain appauvri et enlisé dans la guerre presque partout. L’exemple de Justinien, qui a cherché à refaire le monde par la conquête et le changement de régime, aurait dû être un avertissement pour les néoconservateurs des années 2000. Et sa politique de conformité religieuse totale est un avertissement pour tous les puristes idéologiques.

En revanche, sa réforme juridique a été un triomphe. Et c’est l’exemple que nous devrions suivre. Les systèmes juridiques occidentaux et les gouvernements qui s’appuient sur eux doivent être étayés et renforcés, et non pas vidés de leur substance et déréglementés sans discernement. La formation d’une nouvelle génération de juristes, de bureaucrates et d’hommes politiques compétents aurait fait plus pour nous que les aventures militaires donquichottesques des 20 dernières années. Et si la réforme juridique prouve quelque chose, c’est qu’il n’est peut-être jamais trop tard pour renverser la vapeur. Espérons que nous pourrons bientôt prendre cela à cœur.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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