Manifestations des agriculteurs : « La France et l’Union européenne sont des bateaux sans capitaine », affirme Séverin Sergent

Par Julian Herrero
1 février 2024 09:56 Mis à jour: 1 février 2024 10:10

ENTRETIEN – Le discours de politique générale de Gabriel Attal ce mardi 30 janvier n’a pas convaincu le monde agricole français, toujours dans l’attente de mesures plus fortes. Pour Séverin Sergent, agriculteur et membre des Jeunes Agriculteurs d’Eure-et-Loir, le Premier ministre a simplement fait des petites annonces inutiles sur la souveraineté alimentaire. Il rappelle également que la pression normative que subissent les agriculteurs reste le principal sujet.

Epoch Times – Hier, le Premier ministre Gabriel Attal prononçait son discours de politique générale devant la représentation nationale. Il a déclaré vouloir inscrire dans la loi « l’objectif de souveraineté alimentaire » et a annoncé la création d’un nouveau fonds d’urgence pour le secteur de la viticulture qui connaît de grandes difficultés depuis des années. Il a aussi mis en avant « l’exception agricole française ». Êtes-vous satisfait des annonces du Premier ministre ?

Séverin Sergent – Il n’y avait rien de concret pour nous dedans ; simplement du saupoudrage de mesurettes pour les viticulteurs qui n’attendent pas ça du tout. La crise de la viticulture est beaucoup plus profonde. Par ailleurs, inscrire la souveraineté alimentaire dans la loi ne sert strictement à rien puisqu’elle n’est même plus entre les mains du gouvernement français, mais entre celles de l’Union européenne. C’est l’UE qui s’occupe de la gestion des volumes alimentaires. Le Premier ministre s’est finalement donné des pouvoirs qu’il n’a plus.

Néanmoins, en parlant d’exception agricole française, il a fait le bon diagnostic. La France est une nation dans laquelle il y a une diversité de production, qui va de l’agriculture céréalière à l’élevage, en passant par les fromages, les vins et les fruits, et nos bassins de production sont énormes ; en Normandie, ils font des pommes, du cidre, du jus de pomme et dans d’autres départements, ils produisent de l’alcool fort etc. Je dis toujours qu’en France, il y a 250 agricultures différentes.

Gabriel Attal recevait ce matin des représentants d’autres syndicats agricoles, la Coordination rurale et la Confédération paysanne. En tant que membre des Jeunes Agriculteurs (JA), qui est une émanation de la FNSEA, qu’est-ce qui vous distingue des autres syndicats et plus précisément de la Coordination rurale ? On sait que la CR souhaite bloquer le marché de Rungis, ce qui n’est pas votre cas.

Nous n’avons effectivement pas visé le marché de Rungis. Aujourd’hui, nos manifestations se font essentiellement par des blocages d’autoroutes ou de grands axes routiers un peu partout sur le territoire.

La Coordination rurale est un syndicat né au moment de la grande réforme de la Politique agricole commune au début des années 1990 et elle se battait à l’époque pour le maintien du système de soutien par le prix et non par les aides de la PAC.

Nous n’avons pas forcément les mêmes revendications, mais nous arrivons à travailler ensemble. À la différence de nos relations avec la Confédération paysanne, il n’y a pas de fossé idéologique qui nous sépare.

Emmanuel Macron a réaffirmé son opposition à l’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur. Pourtant, leur groupe politique au Parlement européen, Renew, a voté en faveur des traités commerciaux avec la Nouvelle-Zélande et le Chili. S’agit-il pour vous d’une forme d’incohérence de la part du chef de l’État ? La FNSEA est-elle opposée par principe aux traités de libre-échange ?

Je parlerais plus de déconnexion que d’incohérence. Aujourd’hui, on a l’impression que la France et l’Union européenne sont des bateaux sans capitaine. Les manifestations d’agriculteurs dans plusieurs pays européens prouvent que cela ne va pas dans le bon sens.

Emmanuel Macron est à la tête du premier pays producteur européen de matière agricole, il doit réaffirmer la voix de la France. S’il considère que l’Europe est quelque chose de bien pour l’agriculture, c’est à lui de donner le bon cap pour soutenir la France et non pas pour enterrer l’agriculture française.

Ensuite, il y a le sujet du Green Deal. Bruxelles veut que d’ici à 2030, 25 % des terres agricoles de l’UE soient consacrées à l’agriculture biologique, ce qui implique une véritable baisse de production que l’Union européenne compense par des accords de libre-échange. Avec ces accords, l’UE cherche à déplacer la pollution chez les autres.

Cela étant, nous ne sommes pas opposés de manière systématique aux traités commerciaux, nous sommes contre les importations qui ne correspondent pas à nos normes, c’est une grande différence. Si les pays avec lesquels nous avons signé des accords devaient respecter les mêmes règles que nous, il n’y aurait pas de problème. Nous sommes pour une concurrence saine et loyale.

Bruxelles n’a que peu écouté les propos d’Emmanuel Macron, et a précisé que les négociations se poursuivent. Le président de la République doit rencontrer la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen pour parler des sujets agricoles. Va-t-il, selon vous, réussir à obtenir quelque chose de la part de l’exécutif européen ?

J’ai le sentiment qu’aujourd’hui, tout le monde reste focalisé sur les traités de libre-échange, alors que le vrai sujet reste quand même la pression normative. Il faut en finir avec les avalanches de normes de l’UE, de l’État, des régions… qui nous tombent dessus, ça devient insupportable.

Emmanuel Macron doit surtout aller négocier avec Ursula Von der Leyen sur cette thématique des normes et pas seulement sur celle des accords internationaux.

La Commission européenne vient de faire des concessions aux agriculteurs en maintenant les dérogations sur les jachères. L’assouplissement des règles sur les jachères n’était pas l’une des revendications principales des agriculteurs ?

Nous avons 140 revendications. Il y a tellement d’organismes de représentations du monde agricole, qu’il faut que tous les sujets soient touchés et que tous les secteurs de production soient concernés par des réformes et plus précisément des allégements.

Les concessions proposées par la Commission européenne sur les jachères ne sont pas du tout satisfaisantes. Nous ne voulons pas de dérogations mais d’abrogation pure et simple de l’obligation de jachère. C’est de la folie ; on veut forcer les agriculteurs français à en faire alors qu’ils payent déjà des impôts sur ces terrains et par définition, ne produisent rien dessus.

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