Pékin tend des carottes à Brunei

Face à Pékin, les pays de l'ASEAN se retrouvent entre l'enclume et le marteau

Par Georges Fu
14 octobre 2020 17:04 Mis à jour: 14 octobre 2020 20:35

Les investissements chinois en Asie du Sud-Est ont donné au petit sultanat de Brunei, riche en pétrole, un coup de pouce économique majeur alors qu’il se prépare à prendre la présidence de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) en 2021.

Malgré la pandémie du Covid-19, les échanges commerciaux entre la Chine et Brunei ont fait un bond stupéfiant de 108 % au cours des huit premiers mois de cette année. Les exportations de Brunei vers la Chine ont également augmenté, passant de 200 à 950 millions de dollars, selon le Borneo Bulletin.

Le mois dernier, la société chinoise Hengyi Petrochemical, un fabricant de produits à base de fibres chimiques, a annoncé son intention de dépenser 13,65 milliards de dollars pour construire la deuxième phase d’une raffinerie et d’un complexe pétrochimique à Pulau Muara Besar, à Brunei. Ce montant s’ajoute aux 3,45 milliards de dollars déjà investis dans la première phase du projet, qui a contribué à hauteur 81,24 millions de dollars au PIB du Brunei l’année dernière.

Alors que l’Asie du Sud-Est est sur le point de devenir la quatrième économie mondiale en 2030 et que Brunei s’engage plus profondément dans la coopération régionale – y compris dans la résolution des différends territoriaux dans la mer de Chine méridionale – la présence dans les pays membres de l’ASEAN joue pour Pékin un rôle de plus en plus important qu’un simple intérêt économique.

La diplomatie du piège de la dette

L’influence croissante de Pékin dans la région, notamment par le biais de son titanesque projet « Belt and Road Initiative – BRI » (souvent qualifiée de « Nouvelles routes de la soie ») de plusieurs milliers de milliards de dollars, a fait craindre que la Chine cherche à tenir les membres de l’ASEAN en courte laisse tout en revendiquant des droits territoriaux et de navigation dans la région très contestée de la mer de Chine méridionale – une région riche en pétrole et en gaz qui représente une route maritime très importante.

Les critiques accusent depuis longtemps le Parti communiste chinois (PCC) qui règne sur la Chine d’utiliser la « diplomatie du piège de la dette » visant à endetter les pays qui revendiquent des parties de la mer de Chine méridionale ; parmi ces pays figurent les membres de l’ASEAN comme Brunei, le Vietnam et les Philippines.

Autrefois critique des revendications territoriales illégales de la Chine, le président philippin Rodrigo Duterte s’est récemment attiré des critiques pour avoir cédé à la Chine. Il a invoqué le recours à la diplomatie même sur les revendications des droits souverains de Manille sur des régions situées dans sa zone économique exclusive.

« Nous devrions faire la guerre et je ne peux pas me le permettre. Peut-être qu’un autre président peut le faire, mais pas moi… À moins que nous ne soyons prêts à entrer en guerre, je suggérerais que nous cédions et que nous traitions cette affaire, dirais-je, par des efforts diplomatiques », a déclaré Duterte lors de son cinquième discours sur l’état de la nation en juillet dernier.

Le président philippin Rodrigo Duterte lors du 31e sommet de l’ASEAN au Philippine International Convention Center à Manille, le 13 novembre 2017 (Noel Celis/AFP via Getty Images)

D’après Bloomberg, il y a tout juste une année, Duterte a été contraint de défendre sa décision de signer des prêts défavorables avec la Chine, qui pourraient coûter aux Philippines leurs champs de gaz si ce pays manque à ses obligations financières par rapport au barrage de Chico.

Dans une interview accordée à la télévision ANC en 2018, l’ancien Premier ministre malaisien Mahathir Mohamad a mis en garde les pays contre la diplomatie du piège de la dette et l’influence de la Chine.

« Si vous empruntez d’énormes montants à la Chine et que vous ne pouvez pas payer – vous vous rendez compte que lorsqu’une personne est un emprunteur, elle est sous le contrôle du prêteur », a déclaré Mahathir, qui a fait annuler des projets financés par la Chine d’une valeur de 22 milliards de dollars qui avaient été attribués à son prédécesseur Najib Razak.

Parmi les pays de l’ASEAN qui se sont inclinés devant Pékin à cause du défaut de paiement de prêts dans le cadre de la BRI, on pourrait citer le Sri Lanka, qui a perdu la propriété du port de Hambantota et de 15 000 acres de terre en 2017, ainsi que le Laos, qui a cédé à la Chine, le mois dernier, la majorité de son réseau national d’électricité appartenant à la société Électricité du Laos.

Un pion dans les jeux de Pékin ?

Le site d’analyse des risques géopolitiques Foreign Brief a estimé que Brunei va probablement prioriser « une réponse politique beaucoup plus modérée à la belligérance chinoise que le Vietnam, le président actuel » de l’ASEAN.

Il a également indiqué que cet allié de longue date de Pékin cimentera ses liens profitables avec la Chine – ceci à un moment où d’autres plaignants se sont « ralliés contre la Chine sur le différend de la mer de Chine méridionale ».

Il reste à voir si Brunei suivra les traces des Philippines dans la bataille de la mer de Chine méridionale, et tous les yeux seront tournés vers les pays de l’ASEAN pour savoir qui d’autre sera tenté par les carottes chinoises avant le 37e sommet de l’ASEAN en 2021.

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