Pertes d’emploi, enfants privés de sport, éducation perturbée : le terrible impact social des décrets sur la vaccination au Canada

Qu'il s'agisse de médecins, de familles de joueurs de hockey ou d'étudiants universitaires, les conséquences du refus de se faire vacciner ont bouleversé leur vie

Par Isaac Teo
30 octobre 2021 12:19 Mis à jour: 30 octobre 2021 12:19

Des professionnels de la santé qui perdent leur emploi, des étudiants privés d’accès à l’éducation, des enfants qui voient leurs rêves de hockey anéantis : voilà quelques-unes des plaintes contestant les décrets sur la vaccination auxquelles les avocats font face.

Lisa Bildy, avocate basée à London (Ontario) et spécialisée dans le droit constitutionnel et les droits de la personne, affirme que les décrets sont dévastateurs pour ses clients, car ils n’ont pas le choix et doivent se faire vacciner, contrairement à ce que certains responsables avaient annoncé.

« Ce n’est pas un choix quand il s’agit de votre gagne-pain, de votre avenir, de votre santé mentale et du soutien de votre famille – toutes ces choses sont en jeu », explique-t-elle. « Dire à ces gens : ‘Vous avez le choix’, c’est juste faire preuve d’une incroyable insensibilité. »

Mme Bildy affirme qu’elle fait actuellement face à un « déluge » de demandes de renseignements de la part de médecins, de familles  de jeunes joueurs de hockey ou d’étudiants. Autant de gens aux profils différents qui cherchent des solutions juridiques face aux conséquences dévastatrices du refus de se faire vacciner.

« Je n’ai jamais rien vu de tel auparavant », poursuit-elle. « Les gens sont désespérés. Ils sont à bout de nerfs. »

Dans un cas, une étudiante en médecine lui a expliquée qu’elle était obligée de choisir entre le vaccin et l’arrêt de ses études, ce qui la laisserait avec une « énorme dette » et aucune perspective d’emploi.

« Elle a de très bonnes raisons de ne pas vouloir se faire vacciner, qui sont personnelles, mais certainement compréhensibles, et on lui a dit que si elle n’était pas vaccinée, elle serait renvoyée », a déclaré Mme Bildy.

D’autres étudiants que Mme Bildy représente ont déclaré que leurs établissements leur ont annoncé qu’ils étaient « en infraction » et qu’ils étaient interdits d’accès au campus sans preuve de vaccination.

Certains médecins ont expliqué que leur direction leur avait donné 48 heures pour se faire vacciner ou pour « suspendre volontairement » leurs prestations.

Le 20 octobre, un collectif de professionnels de la santé, le United Health Care Workers of Ontario (UHCWO), qui représentent plus de 3 000 travailleurs de première ligne, ont adressé une lettre ouverte au Premier ministre Doug Ford pour lui demander de ne pas suspendre les quelque 15 % de professionnels de la santé non vaccinés dans la province, au risque de mettre en péril le système de santé.

« Il serait irresponsable et négligent de mettre notre système de soins de santé en danger en rendant les vaccins obligatoires, éliminant ainsi du système des dizaines de milliers de travailleurs de la santé de première ligne en Ontario », indique la lettre.

Mme Bildy s’inquiète d’une fuite des cerveaux du secteur de la santé – en particulier des médecins – car « pratiquement aucune exemption n’est accordée », même dans les cas ou les raisons de ne pas se conformer sont « spécifiques, éclairées et rationnelles ».

« Ces médecins vont quitter leurs hôpitaux, peut-être même leur carrière et très probablement le pays. Il y a des États américains amis qui paient mieux les médecins de toute façon, et n’exigent pas l’injection pour travailler », écrit-elle sur Twitter le 20 octobre.

Des travailleurs de la santé applaudissent les intervenants en première ligne durant la pandémie de coronavirus qui défilent dans la rue de l’hôpital à Toronto le 19 avril 2020, Ontario, Canada (Photo par Cole BURSTON / AFP) (Photo par COLE BURSTON/AFP via Getty Images)

Des rêves de hockey brisés

Une épreuve similaire se joue aussi pour les enfants rêvant de jouer un jour dans des ligues majeures de hockey, déclare Mme Bildy, qui a été contactée par « beaucoup de familles de joueurs de hockey » après que les ligues mineures ont rendu obligatoire la vaccination des enfants dès l’âge de 12 ans.

L’Ontario Minor Hockey Association a annoncé le 3 septembre que les joueurs âgés de 12 ans et plus devaient être entièrement vaccinés d’ici le 31 octobre – bien que le gouvernement Ford ait déclaré que les enfants de 12 à 18 ans pouvaient entrer dans les installations sportives et récréatives sans avoir à présenter de preuve de vaccination.

« Ces enfants ne devraient pas être privés de hockey alors qu’il n’est même pas obligatoire pour ce groupe d’âge de se faire vacciner pour pouvoir jouer », pense Mme Bildy.

Elle ajoute que même si elle a essayé d’aider certaines familles à obtenir des exemptions pour des raisons religieuses ou médicales, la tâche est ardue.

« Les ligues de hockey leur opposent un refus catégorique », explique-t-elle, ajoutant que certaines familles retirent leurs enfants tandis que d’autres font une pause pour la saison.

« Il n’y a absolument aucune compassion pour ces enfants », estime-t-elle. « Les ligues de hockey sont la porte d’entrée. Elles ont le contrôle total sur l’avenir potentiel de ces enfants dans le hockey. »

Image d’illustration (Pixabay)

Les décrets vont au-delà de « tout fondement rationnel »

Sayeh Hassan, avocate au Centre de justice pour les libertés constitutionnelles, dit avoir reçu de nombreuses demandes d’aide de la part d’étudiants et d’élèves après que leurs établissements leur ont demandé de se faire vacciner, bien que leurs cours se déroulent en ligne.

« Même si les gens étudient à la maison, de manière virtuelle, il y a toujours l’obligation de se faire vacciner, ce qui n’a vraiment aucun fondement rationnel », explique Mme Hassan pour Epoch Times.

Elle cite l’exemple d’un Ontarien, père de deux jeunes enfants, qui poursuivait des études de mécanique mais qui n’a pas pu terminer le programme après que le collège lui a interdit l’accès à l’atelier sur le campus parce qu’il n’avait pas été vacciné.

« Ce n’est qu’une personne parmi des milliers et des milliers d’autres qui vivent des situations similaires, des situations vraiment tragiques », poursuit-elle.

Mme Hassan dénonce également l’absence d’exemptions médicales pour les personnes souffrant d’effets secondaires graves du vaccin.

« J’ai entendu parler d’une dame qui était au milieu de la trentaine, en très bonne santé », raconte-t-elle. « Elle est mère célibataire de deux enfants, a reçu sa première injection, puis quelques semaines plus tard, a commencé à avoir des problèmes cardiaques, et elle est maintenant sous deux médicaments pour le cœur. »

Elle estime « incroyable » que ces personnes ne bénéficient pas d’exemptions médicales et soient obligées de prendre une seconde dose « même après avoir eu des réactions et des problèmes de santé à cause du vaccin. »

Du côté des entreprises, Mme Hassan déclare que le Centre de justice entend des propriétaires de gymnases et de restaurants qui ne veulent pas imposer de preuve de vaccination à leurs clients.

« Ce qui se passe avec ces personnes essentiellement, c’est qu’elles mettent en danger leurs moyens de subsistance, leurs entreprises, et défendent ce qu’elles pensent être la bonne chose – c’est-à-dire de ne pas discriminer les gens en fonction de leur statut vaccinal. »

Ryan O’Connor, avocat au cabinet Zayouna Law Firm. (Avec l’aimable autorisation de Ryan O’Connor)

Ryan O’Connor, un avocat basé à Toronto et spécialisé dans des domaines tels que l’emploi et les procédures d’appels, explique avoir vu, tout au long de la pandémie, des propriétaires d’entreprises qui décidaient de délocaliser leurs activités, principalement aux États-Unis.

« Il a été très difficile d’exploiter une entreprise avec toutes les restrictions de santé publique qui ont été mises en place au cours des 19 derniers mois, à l’échelle locale et aussi provinciale », explique-t-il.

« Il va donc de soi que certaines personnes soumises à des restrictions et à des décrets sur le lieu de travail décident de se rendre dans une autre juridiction qui sera peut-être un peu plus ouverte aux affaires. »

M. O’Connor, qui conseille également ses clients sur des questions relatives à la législation fédérale et provinciale, pense que les décrets de vaccination finiront par être imposés dans toutes les industries, tant dans le secteur public que dans le secteur privé.

Mais il estime que l’annonce faite par le gouvernement de l’Ontario le 22 octobre dernier, selon laquelle il prévoyait de lever progressivement toutes les restrictions en matière de santé publique d’ici mars 2022, est prometteuse.

« Au moins, il y a un signal de la part du gouvernement que ces décrets peuvent être temporaires, mais s’ils doivent être temporaires, alors j’espère que les individus réfléchiront longuement avant de mettre fin à l’emploi de quelqu’un », déclare-t-il.

« Parce qu’une fois que quelqu’un perd son emploi, il est un peu plus difficile de le récupérer ».

M. O’Connor souligne qu’au lieu de « calomnier » les personnes qui demandent des exemptions de vaccin, il faut les traiter avec compassion et compréhension.

« Il existe diverses raisons pour lesquelles les individus ne peuvent pas être ou ne sont pas en mesure d’être vaccinés : la croyance religieuse, un handicap qu’ils subissent, leur statut médical, leur âge, ou parce qu’ils souhaitent attendre », explique-t-il.

« Au lieu de les traiter comme des personnes jetables sur le lieu de travail, ou de leur refuser l’accès à l’éducation, un peu de compréhension, d’attention et de compassion contribueraient grandement à résoudre certains de ces problèmes. »


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