Piégé dans une ville « morte » : le coût de la politique chinoise du « zéro Covid »

Par Eva Fu
14 décembre 2021 18:53 Mis à jour: 14 décembre 2021 18:58

Cet enfant est peut-être très petit, mais ce n’est pas le cas de son dossier de tests Covid-19.

Âgé d’à peine 2 ans, ce petit garçon est né à une époque de grands bouleversements – en janvier 2020, au début de la pandémie, quelques jours seulement après la mise en place des mesures de confinement par Pékin. Alors que le régime avait tardé pendant des semaines à admettre la gravité de l’épidémie.

Depuis l’âge de 3 mois environ, le jeune enfant a été soumis à des tests de dépistage répétés. En octobre, il en avait déjà subi 74 – une fois tous les trois jours ces derniers mois – même s’il passe la plupart de son temps à la maison et a peu de contacts avec le monde extérieur.

La procédure a été suffisamment fréquente pour qu’il ne pleure plus à la vue d’un membre du personnel médical, mais ouvre volontiers la bouche, bien que le prélèvement de la gorge lui donne apparemment la nausée.

Le bambin est devenu une sensation médiatique dans le pays après que son père, un marchand de jade de la ville de Ruili, à la frontière sud de la Chine, a publié un court clip de l’enfant sur Internet. Les internautes l’ont adoré et ont plaisanté sur son air de résignation digne d’un mème, certains commentant avec sympathie qu’il voiyait probablement plus le personnel médical que ses propres amis.

Aussi amusant que cela puisse paraître, la réalité dans sa ville natale est tout autre.

Située dans le sud-ouest de la Chine, la ville isolée de Ruili, porte d’entrée de la Birmanie (Myanmar) réputée pour son jade et ses émeraudes, été soumise à des politiques de lutte contre la pandémie parmi les plus sévères jamais vues.

Au cours de l’année écoulée, la ville Ruili a confiné 4 fois sa population de 280 000 habitants. Avec une durée totale de confinement de plus de 200 jours, la ville a été quasiment paralysée.

La vie quotidienne normale a été en grande partie interrompue en raison de la détermination des autorités de la ville à éradiquer toute infection, une politique sur laquelle Pékin a insisté, alors que la plupart des pays du monde ont adopté des mesures de confinement moins restrictives.

Pendant Halloween, environ 34 000 visiteurs se sont retrouvés enfermés dans le Disneyland de Shanghai jusqu’à minuit pour être contrôlés pour le Covid-19, en raison d’un cas positif. Wuhan, Pékin et Shanghai ont annulé des marathons dans le but de combattre le variant Delta particulièrement contagieux. Zhuanghe, un comté du nord-est de la Chine, a fait passer tous les feux de circulation au rouge le 4 novembre pour bloquer le trafic en raison d’une infection signalée, et un confinement soudain en Mongolie intérieure a bloqué près de 10 000 touristes dans une ville de seulement 35 000 habitants après la détection d’infections locales.

À Chengdu, la capitale de la province du Sichuan, la police a envoyé début novembre un SMS à 82 000 habitants pour les avertir de ne pas quitter leur domicile. Ces personnes ont été désignées comme des « compagnons dans l’espace et le temps », un nouveau terme inventé par les autorités pour décrire les personnes qui sont restées plus de 10 minutes dans la même zone qu’un cas positif au test Covid-19, ou 30 heures cumulées sur une période de deux semaines.

Malgré tout le zèle des autorités, le virus s’est obstiné. La dernière série de flambées épidémiques depuis le 17 octobre a jusqu’à présent été liée à 1 000 cas dans 20 provinces, soit le plus grand nombre de cas signalés en Chine cette année. Alors que le nombre d’infections dans le pays semble miraculeusement bas par rapport au reste du monde, les habitants et les experts ont remis en question les chiffres officiels de Pékin, en invoquant la dissimulation par le régime de l’épidémie initiale et d’autres épidémies dans le pays, ainsi que la pratique consistant à minimiser les mauvaises nouvelles pour préserver son image.

Zhong Nanshan, le principal épidémiologiste chinois, admet que la politique du zéro Covid a un coût élevé, mais insiste sur le fait qu’ouvrir les portes coûterait encore plus cher.

Le personnel de sécurité monte la garde à l’entrée d’une zone résidentielle en raison des cas de Covid-19 à Zhangye, dans la province chinoise du Gansu, le 23 octobre 2021. (STR/AFP via Getty Images)

La « ville est morte »

C’est peut-être à Ruili que les tensions sont les plus vives.

Les cinémas, les salles de sport, les bijouteries et les salons de coiffure ont été fermés les uns après les autres, tandis que les habitants, dont beaucoup sont au chômage, se sont vus interdire de quitter la ville. Les ventes par diffusion en direct et la livraison de jade sont suspendues – des mesures qui, selon les responsables, sont nécessaires pour restreindre le flux de marchandises afin d’endiguer l’épidémie.

Ren Hua (un pseudonyme), père de famille et négociant en jade, a déclaré au média d’État The Paper qu’il avait enregistré une perte de plus de 100 000 yuans (environ 14 000 €) depuis le début de la pandémie et qu’il avait probablement juste assez pour tenir quelques mois de plus.

Il est loin d’être le seul.

Comme Ren Hua et de nombreux autres habitants, He Xiuli (un pseudonyme), une enseignante en soutien particulier, vit sur ses économies depuis plus de six mois tout en payant son hypothèque. Son école de soutien scolaire est également devenue une victime de la répression de Pékin sur le secteur de l’éducation, et il est probable qu’elle ne rouvrira pas ses portes même après la fin de l’épidémie.

En mars, les autorités locales ont décrété une interdiction générale des épiceries, des marchés de gros et même des stands de rue ; ils n’ont été autorisés à rouvrir que récemment. En conséquence, le marché noir des légumes a prospéré. Les agriculteurs installent des stands de vente aux petites heures de la nuit pour vendre leurs légumes verts et disparaissent avant l’aube, lorsque les agents locaux de gestion urbaine se mettent au travail et les chassent.

Lorsque Ren Hua s’aventure dehors pendant la journée, il y a peu de choses à voir ou à faire. La plupart des magasins qu’elle voit sont fermés. Une rue sur deux, il y a des maisons fermées par des filets à mailles pour éloigner les gens.

« La ville entière est morte », dit He Xiuli. « Vous ne voyez personne ».

Un membre du personnel subit un test d’acide nucléique pour le Covid-19 dans le gymnase d’une entreprise à Wuhan, dans la province chinoise du Hubei, le 5 août 2021. (STR/AFP via Getty Images)

Le stress mental

Son petit ami vit dans un autre village. N’ayant pas d’endroit pour travailler et n’ayant rien d’autre à faire à la maison, il joue à des jeux vidéo pour tuer le temps.

Sa sœur enseigne dans un collège du comté voisin. En raison de la politique de Covid-19 de l’école, elle a dû vivre sur le campus depuis que ses élèves ont repris l’école en août, même si sa maison n’est qu’à 20 minutes en voiture et que son enfant n’a pas encore 2 ans. Son mari étant en quarantaine dans la ville frontalière de Ruili, l’enfant est entièrement laissé à la charge d’une grand-mère qui, au grand désespoir de sa mère, semble l’oublier.

Lorsque la sœur de He Xiuli a eu une conversation vidéo avec son enfant, ce dernier ne l’a guère écoutée, mais a préféré courir après la grand-mère en l’appelant « mama ».

« Elle fait des crises de nerfs tous les deux ou trois jours, disant qu’elle ferait mieux de démissionner et de rentrer chez elle », raconte He Xiuli au sujet de sa sœur.

Selon les résidents, le gouvernement n’a pas fait grand-chose pour soulager leur douleur. Pour He Xiuli, l’aide de l’État a consisté jusqu’à présent en un sac de riz d’environ 5 kg, deux seaux d’huile de cuisson, une douzaine d’œufs et deux paquets de nouilles. Ren Hua, le vendeur de jade, n’a reçu qu’un paquet de masques et une bouteille de désinfectant. Son petit ami a reçu 1 000 yuans, l’équivalent d’environ 140 €.

« Passer des jours et des nuits seul dans la maison – c’est une forme de tourment », confie à Epoch Times Lin Quan, qui dirige une entreprise de bijoux à Ruili et a une fille à l’université.

« Si je suis en prison, je sais au moins quel jour je peux partir, n’est-ce pas ? Et je n’ai pas besoin de m’inquiéter pour les finances », pense-t-il. Pendant la quarantaine, « vous devez vous préoccuper de tout – les personnes âgées, votre enfant, la nourriture, les prêts automobiles, l’hypothèque de la maison. (…) Vous ne gagnez pas un centime, tout en étant enfermé dans votre chambre ».

Piégés

Le 26 octobre, un homme nommé Jin a sauté du quatrième étage d’un hôtel de Ruili. Les officiels ont ensuite déclaré que l’homme s’était suicidé à cause de problèmes au travail. Bien entendu, sur les médias sociaux chinois et hors ligne, beaucoup ne semblaient pas convaincus.

« C’est risible », s’insurge He Xiuli. « Nous n’avons même pas de travail, comment pourrait-il y avoir des problèmes liés au travail ? »

Beaucoup ont de plus en plus l’impression d’être pris au piège, sans savoir quand – ou si – leurs épreuves prendront fin un jour.

Cheng Hao (un pseudonyme), un coiffeur qui n’a plus qu’un tiers de sa clientèle, pense que le gouvernement n’a pas non plus de réponse. La ville, fait-il remarquer, a changé deux fois de responsables après avoir échoué à faire baisser le nombre d’infections.

« C’est un peu comme si nous attendions la mort », explique-t-il à Epoch Times.

Quitter Ruili n’est pas non plus une mince affaire.

Lorsque la ville a rouvert ses portes pour une semaine en juillet, He Xiuli voulait se rendre dans la capitale provinciale du Yunnan pour trouver du travail. Elle a effectué deux séries de tests de gorge et de prélèvements nasaux (les autorités ayant déclaré la première série invalide pour avoir été effectuée un jour trop tard). Bien qu’elle ait adressé une pétition à plusieurs services gouvernementaux, elle n’a pas pu obtenir l’autorisation de quitter Ruili.

Des membres du personnel médical effectuent des tests d’acide nucléique pour le Covid-19 à Zhangye, dans la province chinoise du Gansu, le 23 octobre 2021. (STR/AFP via Getty Images)

Dans chaque enceinte de quartier, seuls deux demandeurs étaient autorisés à quitter Ruili chaque jour, selon He Xiuli et un autre habitant de Ruili.

« Vous pouviez faire des demandes à l’infini et on vous disait toujours qu’il y avait des centaines de personnes qui faisaient la queue devant vous », explique He Xiuli à Epoch Times.

Elle a donc abandonné ses efforts.

« Je pensais que ça irait mieux si j’attendais un peu plus longtemps », se souvient-elle avoir pensé à l’époque. Plus de trois mois plus tard, elle est toujours bloquée à Ruili.

La ville a enregistré 49 cas du 1er octobre au 13 novembre, une goutte d’eau dans l’océan par rapport à n’importe quel autre endroit du monde. Mais en Chine, de tels chiffres sont intolérables.

La situation difficile de la ville a conduit Dai Rongli, qui était le maire adjoint de la ville jusqu’en 2018, à publier un plaidoyer sur son blog personnel le mois dernier, un geste audacieux étant donné que les fonctionnaires chinois prennent généralement soin de ne jamais contrevenir à la ligne du Parti. Dans un essai candide intitulé « Ruili a besoin des soins de la mère patrie », Dai Rongli a pressé les autorités de relancer la fabrication et le commerce et de faire venir des conseillers en santé mentale.

« Chaque confinement entraîne une nouvelle perte émotionnelle et matérielle grave ; chaque combat contre le virus ajoute une nouvelle couche de chagrin », écrit-il.

L’essai de Dai Rongli est devenu viral et a placé Ruili sous les feux de la rampe au niveau national. Le maire actuel de la ville, Shang Labian, a rapidement rejeté l’opinion personnelle de Dai Rongli, déclarant aux médias d’État que « pour l’instant, Ruili n’a pas besoin » d’aide extérieure.

L’actuel vice-maire, Yang Mou, a également défendu la nécessité d’une réglementation stricte.

« Tant que Ruili n’a pas réduit le nombre de cas à zéro, il y a un risque de propagation à l’extérieur », a-t-il déclaré aux journalistes le 29 octobre, pour tenter de répondre à l’essai de M. Dai.

Mais la pression n’a cessé de croître. Début novembre, des centaines de personnes de Tunhong et Hemen, deux villages de Ruili, se sont rassemblées à l’entrée des villages pour demander à être libérées.

« Nous avons besoin de vivre », a déclaré à Epoch Times Mme Li, qui a participé à la manifestation de Tunhong.

L’auto-tromperie

À moins de 100 jours des Jeux olympiques d’hiver de Pékin, le régime n’a montré aucun signe d’assouplissement de sa politique de tolérance zéro.

Une campagne nationale est en cours pour vacciner les enfants dès l’âge de 3 ans. Le 13 novembre, Pékin a émis un nouveau décret interdisant l’entrée sur son territoire à toute personne venant d’un Comté ayant découvert un seul cas d’infection sur une période de deux semaines.

La capitale a récemment poursuivi 19 personnes pour avoir prétendument « fait obstacle et nui à la prévention de l’épidémie », une infraction pénale en Chine qui est passible de 7 ans de prison.

Les incertitudes liées à l’épidémie ont attisé les achats de panique dans les grandes métropoles chinoises, créant des spectacles tels que des clients se bousculant pour des produits rares, des attentes aux caisses qui durent des heures et des caddies chargés de carcasses de porcs, comme le montrent des vidéos circulant sur les médias sociaux.

Des personnes masquées font la queue pour payer dans un supermarché à Wuhan, dans la province de Hubei, en Chine, le 2 août 2021. (Getty Images)

« Ce sont les gens du peuple qui portent le fardeau », déclare Feng Chongyi, professeur d’études chinoises à l’Université de technologie de Sydney. Les responsables voudront éliminer les infections « à tout prix » pour leur propre bien.

« Dans toute région où le virus se déclare, les responsables locaux risquent de perdre leur emploi », ajoute-t-il .

Même certains experts chinois ont récemment concédé que l’approche du régime face à l’épidémie risque d’être irréalisable.

Guan Yi, virologue à l’Université de Hong Kong, a récemment déclaré aux médias chinois ifeng que « nous avons probablement perdu notre chance d’atteindre l’objectif de zéro Covid ».

« Comme le virus de la grippe A, que les gens soient heureux ou non, il restera endémique parmi nous pendant longtemps », a-t-il déclaré à la mi-octobre. L’interview originale a depuis été retirée.

Alors que le pays entre dans sa troisième année de pandémie, certains habitants semblent résignés au contrôle toujours plus strict exercé par l’État à parti unique.

« La politique dite de ‘zéro Covid’ n’est qu’un leurre », déclare à Epoch Times M. Lin, de la ville de Zhengzhou, dans le centre-est du pays. « Lors de l’épidémie d’août à Zhengzhou, le secrétaire du comité de la ville a promis de ramener les cas de virus à zéro d’ici la fin du mois… mais même après avoir déclaré la ville sans virus, les règlements restent aussi restrictifs qu’avant. »

Lin Yun, de la ville de Guangzhou, dans le sud du pays, pense de même.

« C’est au gouvernement de décider s’ils ont atteint ou non le zéro Covid », confie-t-il à Epoch Times.


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