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Pour un management humaniste à l’hôpital et dans les services de santé

janvier 12, 2018 21:10, Last Updated: janvier 12, 2018 21:10
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Le médiateur national missionné au lendemain du suicide d’un neurochirurgien, au CHU de Grenoble, vient de remettre son rapport. Le corps du praticien, âgé de 36 ans, avait été retrouvé dans un bloc opératoire, le 2 novembre 2017. Dans ces douze pages rendues publiques le 8 janvier, Édouard Couty pointe des « défauts » de gouvernance au sein de l’établissement. « Le style de management, qui maintient de manière permanente une certaine pression sur les équipes et qui priorise le résultat […] doit s’infléchir », énonce-t-il.

Son enquête fait écho aux très nombreux témoignages sur la souffrance au travail des soignants et agents exerçant à l’hôpital. Et plus largement, du personnel de santé.

Si notre système de santé figure encore parmi les meilleurs au monde, tout n’est pas rose au sein de nos services et établissements de santé : urgences saturées, maisons de retraite hors de prix, personnel épuisé, malades maltraités…

Des voix se font entendre pour réclamer un management plus humaniste, comme celle de Guillaume Gorincour, professeur de médecine à l’université Aix-Marseille, sur The Conversation. Il est légitime de se demander si « humanisme » et « management » sont réellement compatibles dans les services de santé actuels . Et si la réponse devait être positive, comment mettre en œuvre sans tarder, alors, un management humaniste.

Les services de santé, un bien commun

Les services de santé ont trois points communs qui, tous, plaident en faveur d’un management humaniste. D’abord, ces services ont une mission à accomplir, profondément humaniste, fondée sur la considération des services de santé comme un bien commun. Nous consacrons environ 11 % de notre PIB à la santé et son financement est public à 80 %. Dans un tel contexte, la mission même des services de santé repose sur l’humanisme car elle est conditionnée par la solidarité nationale.

Si nous voulons conserver ce modèle, nous gagnerions à considérer les services de santé comme un bien commun, c’est-à-dire qui appartient à tous. Cela implique qu’il fasse l’objet d’une délibération collective permanente, condition à une plus grande responsabilité de chacun et à des choix éclairés, notamment en temps de crise. La démocratie sanitaire, initiée en 2002, est un premier pas vers cette conception. Elle met en effet en avant le droit des citoyens à débattre des orientations politiques concernant les services de santé.

Deuxième point commun à nos services de santé : trop peu de responsabilités confiées aux individus et un cloisonnement entre les services . Ces difficultés tiennent à l’excès de bureaucratie et à une organisation découpée par activités : le bureau des entrées, la radiologie,… Elles rendent les services de santé peu compatibles avec un management centré sur les Hommes. Là où l’équipe devrait s’adapter aux besoins du patient, c’est le patient qui s’adapte aux contraintes de l’organisation, en se déplaçant de service en service.

L’organisation bureaucratique ne facilite pas non plus la prise d’initiatives et la créativité des professionnels. En effet, leur activité est guidée par des règles, au détriment de l’initiative propre et de la confiance réciproque. Les normes ne peuvent pas être remises en question car elles sont imposées par la sécurité des patients et la nécessaire transparence du fonctionnement de l’établissement. D’où le besoin de trouver des solutions permettant une meilleure agilité, indispensable dans l’environnement incertain et changeant que nous connaissons.

L’impératif de bientraitance à l’égard des patients

Le troisième point commun entre tous les services de santé relève de l’éthique. Il s’agit d’un impératif de bientraitance à l’égard des publics accueillis. Les malades et les résidents sont en effet des personnes à part entière, et ne doivent pas devenir des objets de soins. Le mouvement récent d’émancipation des malades, ou empowerment, va dans ce sens. L’empowerment les amène à ne pas se sentir dépendants du corps médical ou soignant. Il encourage toute action permettant l’accroissement de la capacité des individus à faire des choix et à transformer ceux-ci en actions ayant un impact sur leur santé.

Autre point à souligner : si des comportements inappropriés de professionnels vis à vis de patients sont volontiers médiatisés, la maltraitance résulte plus souvent de l’organisation en elle-même. Des plateaux-repas inadaptés aux personnes âgées, par exemple, entraînent leur dénutrition. Bientraitance et empowerment sont les deux facettes d’une même vertu attendue de la part des organisations de santé : l’altruisme.

Le raisonnement qui vaut pour les patients s’applique aussi aux professionnels de la santé. Être aide-soignant ne se résume pas à enchaîner des tâches réglementées, comme un management désincarné pourrait le laisser penser. Le métier consiste plutôt en un ensemble enchevêtré de compétences, de qualités, de talents et de valeurs. Nous ne pouvons pas réduire un professionnel à sa fiche de poste sans lui retirer toute responsabilité individuelle. Celle-ci disparaît alors au profit d’une responsabilité professionnelle réductrice qui autorise à dire, en guise de réponse à un dysfonctionnement : « ce n’était pas dans la procédure ».

Le manque d’humanisme coûte cher aux services de santé. Le montant, évalué entre 10 000 et 30 000 euros de coûts cachés par an et par personne salariée, correspond à des coûts liés à l’absentéisme, aux accidents du travail, au turn-over du personnel, mais également à la sous productivité et aux défauts de qualité, selon l’ouvrage de Henri Savall et Véronique Zardet paru en 2015, Maîtriser les coûts et les performances cachées. Cela a naturellement des conséquences sur la qualité de la prise en charge des patients ou des résidents, comme montré dans les travaux que j’ai publiés en 2002 et 2013.

Un nouveau mode de gouvernance, le management des connaissances

Comment redonner aux services de santé une meilleure agilité et une plus grande transversalité ? Des organisations notamment canadiennes, américaines, mais également japonaises, explorent de manière fructueuse un mode de gouvernance différent, le management des connaissances.

Le management des connaissances consiste à développer des pratiques permettant d’identifier, capter, partager, accroître et utiliser à bon escient des connaissances présentes dans l’organisation, comme l’expliquait dès 1994 le professeur de management américain Thomas Davenport. Les « connaissances » font référence à l’état des savoirs techniques et scientifiques, mais également aux différentes expériences vécues par les professionnels, à leurs observations et à leurs pratiques. Cette définition des connaissances est profondément humaniste, puisque celles-ci ne peuvent exister que par les actions humaines.

De nombreuses recherches ont montré que le management des connaissances améliore la productivité, la qualité et la performance des organisations. En effet, il permet une meilleure adaptation aux changements de l’environnement, comme l’a montré dès 1996 le professeur néerlandais de management Henk Voderba.

Inclure « l’expérience patient »

Pourrait-on appliquer ce mode de management aux hôpitaux et aux services de santé en France ? Pour rendre possible une telle gouvernance, il faut réunir trois conditions, comme l’affirment les chercheurs japonais Ikujirō Nonaka et Hirotaka Takeuchi dans leur ouvrage en anglais (non traduit) paru en 1995 The Knowledge-creating Company.

Il faut d’abord instaurer dans l’établissement un contexte favorable à la création, au partage et à l’utilisation des connaissances. Cela peut passer par exemple par la programmation de temps qui sont seulement indirectement productifs. Ainsi les professionnels se recontrent, connaissent mieux leurs contraintes respectives, échangent et créent ensemble sans avoir peur de se tromper.

Ensuite, il faut transformer des connaissances tacites en connaissances explicites. « L’expérience patient » en est un exemple. Elle suppose qu’une équipe transdisciplinaire se concentre sur les besoins, les attentes et le ressenti d’un patient. Ensuite, cette équipe les analyse pour pouvoir adapter le parcours de soins en conséquence. Le patient, avec ses connaissances, fait partie intégrante de l’équipe transdisciplinaire, participant ainsi au mouvement de décloisonnement de l’hôpital ou du centre de soins.

Enfin, il faut disposer de certaines ressources tangibles mais aussi intangibles au sein de l’établissement. La confiance, par exemple, est une ressource intangible qui résulte du processus de création de connaissances. Elle est également une condition indispensable à la mise en œuvre de ce même processus.

Manager les connaissances est un projet humaniste, en ce sens qu’il part systématiquement des professionnels exerçant dans l’établissement et des patients ou résidents accueillis. Néanmoins, il ne faudrait pas croire que ce mode de management est une recette miracle garantissant la performance. D’autres facteurs interviennent. Citons par exemple la capacité de l’établissement à construire une vision partagée des valeurs. Celles-ci vont guider sa stratégie, l’aider à percevoir son environnement pour anticiper les dysfonctionnements et du même coup, réduire les gaspillages de ressources.

Sandra Bertezene, Professeur titulaire de la Chaire de gestion des services de santé, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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