Pratiquer son humanité

La bonté innée que nous pouvons apporter aux autres peut s'étioler si nous ne l'utilisons pas

Par Conan Milner
16 février 2022 17:33 Mis à jour: 2 mai 2023 21:00

Que signifie être humain ? Plusieurs caractéristiques différencient notre espèce. Nous construisons des gratte-ciel, prions, créons de l’art, lisons des livres et conduisons des voitures, pour n’en citer que quelques-unes.

Il y a ensuite les caractéristiques plus complexes de l’expérience humaine, comme notre niveau exceptionnellement élevé de conscience de soi, notre capacité à imaginer notre vie à différents moments dans le futur et notre capacité à réfléchir à notre mort éventuelle.

Humanité est un mot qui décrit le collectif humain, mais il signifie aussi quelque chose de beaucoup plus grand. Les humains portent des pantalons et ont des clés, mais le mot humanité englobe de grandes vertus telles que la compassion, la gentillesse et la moralité. C’est la qualité d’être humain et d’avoir une disposition généreuse envers les autres personnes et les êtres vivants.

Selon Pelin Kesebir, chercheur scientifique au Center for Healthy Minds de l’Université du Wisconsin–Madison, l’humanité consiste à être un bon humain. Et cela se mesure à la façon dont nous traitons les autres.

« Les vertus sont très importantes pour être un bon humain. En particulier, les vertus de prendre soin et de sollicitude, de prévenance, de générosité, d’entraide, de compassion et d’empathie », a souligné Mme Kesebir.

Sans un sens d’humanité, nous ne pensons qu’à nous-mêmes et tout le monde en souffre. Les dommages les plus graves sont causés par des exemples extrêmes d’égoïsme, comme la corruption ou le viol. Mais, selon Mme Kesebir, même ceux qui passent simplement trop de temps à ruminer sur eux-mêmes peuvent finir par se faire du mal.

« Nous disposons de nombreuses données indiquant qu’une grande concentration sur soi est associée à une mauvaise santé mentale », a-t-elle dit, notant que de nombreux troubles psychologiques, dont la dépression, peuvent être décrits comme des états égocentriques.

« Je ne dis pas cela pour blâmer les personnes déprimées. Mais ce que nous voyons, c’est [que] se centrer sur soi-même est incroyablement étroit et est associé à de très mauvais résultats psychologiques. »

Être humain, c’est souffrir, tout au long de l’histoire de l’humanité, la compassion a été un moyen fiable d’atténuer une grande partie de l’agonie que nous devons endurer. Pensez à ce que signifie un sourire ou un mot gentil de la part de quelqu’un au cours d’une mauvaise journée.

Certains envisagent le moment où nous pourrons enfin nous débarrasser de la souffrance humaine. Un concept connu sous le nom de transhumanisme suppose qu’avec suffisamment d’améliorations technologiques et de modifications génétiques apportées à nos corps, les humains pourraient ne plus souffrir de la maladie, de la douleur, de la vieillesse, peut-être même transcender la mort. Dans ce monde merveilleux transhumaniste, nos organes et nos membres peuvent être facilement remplacés et améliorés, ou vous pouvez simplement télécharger votre conscience dans un meilleur corps.

Mais Mme Kesebir ne pense pas que le transhumanisme ferait progresser la condition humaine. Selon elle, notre capacité à ressentir la douleur et la fragilité est liée à notre capacité humaine de compassion.

« De toute évidence, nous aimerions faire du monde un endroit où nous évitons les souffrances inutiles. Mais la vie étant ce qu’elle est, il y aura toujours de la souffrance », a-t-elle fait remarquer. « La douleur est l’une des choses qui nous rendent humains. Il est presque impossible d’imaginer être humain sans ressentir de la douleur. »

Une autre caractéristique de l’être humain est notre profonde soif de donner un sens à la vie. Une expérience traumatisante peut nous pousser à passer des années à essayer de comprendre pourquoi elle s’est produite. Bien que cet effort n’aboutisse pas nécessairement à une compréhension ultime, il peut nous permettre de mieux comprendre. Le sens de la vie peut également provenir de moments de joie et de personnes qui ont marqué nos vies au fil des ans.

Ce sont les personnes qui comptent le plus pour nous qui risquent le plus de nous faire souffrir. Ce sont les personnes dont l’avenir nous préoccupe qui peuvent vraiment nous taper sur les nerfs.

Selon l’auteur existentialiste Jean-Paul Sartre : « L’enfer, ce sont les autres », mais Mme Kesebir affirme que les recherches montrent en fait le contraire. Nous avons besoin des autres et nous aspirons à ce qu’on ait besoin de nous.

« Pensez aux personnes les plus heureuses que vous connaissez. Je veux dire vraiment heureuses. Je ne parle pas du bonheur sur Instagram. Les personnes que je connais qui sont véritablement heureuses sont aussi des personnes gentilles, aimables. Ces personnes ont des relations chaleureuses et des relations de confiance », a-t-elle dit. « Donnez aux gens un questionnaire sur le bonheur et vous constaterez que tous ceux qui font partie des 10 % les plus heureux ont d’excellentes relations avec leur famille et leurs amis. »

Perdre notre humanité

Vous restez un être humain tout au long de votre vie. Mais conserver votre bonté innée, votre compassion, votre humanité – cette nature aimable et généreuse – est beaucoup plus fragile. Vous devez l’entretenir, sinon elle disparaît.

Pour ceux qui chérissent leur sens d’humanité, son absence se fait sentir. Annette Feravich, psychologue sociale et chargée de cours à l’université d’Oakland, dans le Michigan, constate un manque de compassion chez ses étudiants et observe le désespoir qui le remplace.

« Je vois mes élèves se définir par leur dépression, leur anxiété, leur colère et leur impulsivité. Ils se sentent perdus et n’ont pas de solutions. Qui seraient-ils s’ils n’avaient pas ces déclencheurs émotionnels et ces problèmes ? Nous devons avoir un système de croyance selon lequel ‘je ne suis pas seulement cela’ », a fait remarquer Mme Feravich.

Les critiques sociaux ont constaté une diminution de la compassion dans la société depuis des générations et ont proposé une variété de causes à cela. L’une des raisons les plus courantes est que les gens ne voient pas de sujet digne d’intérêt auquel donner leur compassion. Pour une raison quelconque, nous considérons la personne compliquée et souffrante qui se trouve devant nous comme moins qu’humaine.

Selon Mme Feravich, cette mentalité découle en grande partie du domaine de la science. Elle applaudit la méthode scientifique (l’un des cours qu’elle donne porte sur la conception des études), mais elle est dégoûtée par les scientifiques qui déshumanisent leurs sujets. L’expérience de Tuskegee en est un exemple classique, de même que les études menées par les nazis sur les prisonniers juifs.

« Ils leur cassaient les os. Pour voir combien de temps ils mettaient à guérir, ils les cassaient à nouveau au même endroit. Ils déformaient volontairement les gens pour voir ce qui se passerait », a-t-elle dit.

Selon Mme Feravich, le contraire du sens du mot « humanité » est « dépravation », et elle en voit un exemple particulier dans les travaux du Dr Alfred Kinsey, un zoologiste devenu sexologue. L’influence des travaux de M. Kinsey, qui ont exploré et façonné la sexualité humaine dans les années 1940 et 1950, se fait encore fortement sentir aujourd’hui. Mais pour ceux qui sont prêts à creuser dans les détails sordides et criminels de sa méthodologie, il est difficile de comprendre pourquoi M. Kinsey est si célèbre.

 « M. Kinsey disait : ‘Il n’y a rien de mal à nos pulsions sexuelles, car nous sommes au fond des animaux’. Il disait : ‘Si vous voulez avoir des relations sexuelles avec des enfants, ils ne ressentiront pas de traumatisme par la suite. Ils l’oublieront. La seule raison pour laquelle ils subissent un traumatisme, c’est parce que nous, les adultes, le leur imposons’ », explique Mme Feravich.

 « C’est un exemple parfait de la raison pour laquelle les psychologues ont mauvaise réputation. Dans de nombreux cas, nous avons complètement ignoré la compassion, le sens du mot ‘humanité’. »

Préserver la compassion

Par le passé, l’Église garantissait de cultiver la vertu. Mais cette institution n’a plus une telle influence. Aujourd’hui, tout dépend de nos efforts collectifs quotidiens pour préserver notre humanité en soi.

Selon Mme Feravich, la croyance en une puissance supérieure est le meilleur moyen de préserver notre humanité. Elle nous donne un sens de la perspective au-delà du simple plan d’existence des mortels, en nous reliant à une source de compassion plus vaste. Simplement en nous efforçant d’aider les autres, nous pouvons nous élever.

« Nous pensons que notre solution est d’être égocentrique. Mais cela doit être un effort conscient, un choix moral, de sortir de nous-mêmes pour quelqu’un d’autre. Et c’est là, vraiment, psychologiquement parlant, que l’on trouve un sens et un but à la vie », a dit Mme Feravich.

Elle mentionne les travaux de la psychologue sociale Lara Aknin, qui s’intéresse aux enfants et au pouvoir du don. Dans l’une de ses études, Mme Aknin et son équipe de recherche donnent des friandises aux enfants, puis leur font rencontrer une marionnette. Les enfants regardent la scientifique donner une friandise à la marionnette, puis les enfants trouvent des friandises qu’ils peuvent ensuite, s’ils le souhaitent, donner à leur amie marionnette. Les niveaux de bonheur les plus élevés sont observés chez les enfants qui ont partagé leurs friandises.

« Il vaut mieux donner que recevoir. Cela a été démontré à maintes reprises. Mais nous pensons : ‘Oh, je suis inquiet et déprimé, j’ai besoin de plus de temps pour moi’», dit-elle. « Alors pourquoi nous ennuyons-nous tant ? Pourquoi sommes-nous si perdus, et cherchons, cherchons, cherchons ? »

Pour Mme Kesebir, un esprit de gratitude aide à préserver la compassion et le sens d’humanité, tandis que le fait d’être égoïste l’érode. Elle mentionne plusieurs études et articles qui montrent que le fait d’être égoïste vous dispose à être malheureux de diverses manières, car vous vous préparez constamment à la déception. Vous êtes conditionné à attendre toujours davantage des gens que ce qui est raisonnable, ce qui entraîne de mauvaises relations et crée de l’antagonisme.

« Dans l’esprit de gratitude, vous êtes incroyablement reconnaissant de ce que vous avez mais, avec l’égoïsme, vous êtes toujours à la recherche de ce que vous n’avez pas », a-t-elle ajouté. « La personne reconnaissante a un sentiment d’abondance et sent toujours que ce qu’elle a est suffisant pour la rendre heureuse. Pour la personne qui est égoïste, ce n’est jamais assez. Il n’y a jamais de moment où la personne égoïste se dit : ‘Maintenant, j’ai tout ce dont j’ai besoin et, à partir de maintenant, je vais être heureuse’. Non, c’est une insatisfaction constante. Une agitation intérieure constante. »

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