Le tourisme de transplantation en Chine : une perspective historique

18 octobre 2016 11:00 Mis à jour: 19 octobre 2016 10:29

Au fil des 15 dernières années, la Chine est devenue un point de convergence international de la transplantation d’organes. Comme nulle part ailleurs, la Chine offre aujourd’hui aux patients du monde entier une garantie de transplantation à prix compétitifs, aux délais d’opération et d’hospitalisation courts et à des temps d’ischémie des plus réduits. Pour ce faire, la Chine a instauré depuis longue date un système organisé et lucratif de prélèvements forcés d’organes sur des prisonniers exécutés – un phénomène unique au monde. Epoch Times a voulu étudier, dans une perspective historique, les facteurs qui ont conduit au développement de cette industrie.

À la lecture de la documentation disponible, il nous apparaît que l’histoire de la transplantation en Chine peut être divisée en trois périodes distinctes. La première période en est une d’expérimentation au cours de laquelle les premières transplantations furent réalisées dans les années 1960 et 1970 avec l’aide de personnel médical étranger, selon un rapport de Human Rights Watch (HRW), intitulé Organ Procurement and Judicial Execution in China, publié en 1994. La science de la transplantation n’étant alors que très peu développée, le taux de survie des patients était – comme dans tous les autres pays du monde – très bas.

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La deuxième période en est une de collaboration formalisée entre les instances médicales, policières, judiciaires et carcérales de manière à jeter les bases d’un système de prélèvements forcés d’organes sur des prisonniers exécutés au cours des années 1980 et 1990. Puis, la troisième période prend assise au début des années 2000 avec la répression du Falun Gong et est marquée par le développement d’une véritable industrie de la transplantation en Chine. Les deux dernières périodes seront examinées ici de plus près.

Les années 1980 et 1990

Plusieurs facteurs auraient contribué à la croissance du secteur de la transplantation en Chine à partir des années 1980. D’abord, la découverte de la Ciclosporine A – un immunosuppresseur inhibant la tendance naturelle du corps à rejeter un corps étranger – fut l’une des plus grandes avancées scientifiques. Introduite en Chine au milieu des années 1980, elle augmenta significativement le taux de survie des patients transplantés, le faisant passer de 50 % avant sa découverte à 80 % en 1987 et à plus de 90 % en 1991, selon les autorités médicales chinoises citées dans le rapport de HRW de 1994.

Des médecins chinois transportant des organes pour une transplantation, dans un hôpital de la province du Henan le 16 août 2012. (Capture d’écran/Sohu.com)
Des médecins chinois transportant des organes pour une transplantation, dans un hôpital de la province du Henan le 16 août 2012. (Capture d’écran/Sohu.com)

Aussi, le 9 octobre 1984, l’État chinois formalisa l’utilisation des organes des prisonniers exécutés en adoptant le Règlement temporaire concernant l’utilisation des corps ou organes en provenance de criminels exécutés à l’attention de la Cour Suprême Populaire, du Parquet Populaire Suprême et divers ministères. Les conditions prévoient que les corps peuvent être utilisés s’ils ne sont pas réclamés ou si les criminels ou leurs familles ont consenti à le donner. Finalement, le Règlement stipule que « l’utilisation de corps ou d’organes de criminels exécutés doit être tenue strictement secrète et qu’une attention particulière doit être portée à éviter toute répercussion négative » (traduction libre), suggérant des pratiques condamnables. Ce règlement est toujours en vigueur aujourd’hui.

De concomitance, une série de campagnes nationales contre la criminalité (yanda ou « frapper fort », « sévère répression ») fut menée à partir de 1983 en Chine et conduisit à une augmentation significative du nombre de personnes incarcérées et, par conséquent, de donneurs potentiels d’organes, selon le même rapport de HRW. Des milliers d’exécutions auraient été réalisées en quelques mois, selon des rapports d’Amnesty International de 1996 et 1997. On y relève une « propagande systématique, voire hystérique », de la part des médias de l’État, des « condamnations arbitraires » ainsi que « des procédures pénales accélérées entraînant […] une application disproportionnée de la peine de mort à l’encontre des personnes défavorisées socialement ».

Au cours de cette période, il y aurait eu une augmentation de 150 % du type de crimes admissibles à la peine de mort en Chine. Les activités présumées séparatistes au Tibet et dans la région du Xinjiang figurèrent aussi sur la liste des crimes sanctionnés, selon la même source.

Finalement, au cours des années 1990, l’État chinois diminua graduellement le financement du système de santé publique, soit de 60 % à 42 % de 1990 à 2002, ce qui incita les hôpitaux à se tourner vers la vente des médicaments et la tarification des soins aux patients comme principales sources de revenus, note-t-on dans le rapport Bloody Harvest / The Slaughter : An Update de David Kilgour, Ethan Gutmann et David Matas, paru en 2016. Ainsi, la vente d’organes, le coût de la transplantation ainsi que le prix élevé de la nécessaire ciclosporine firent du secteur de la transplantation une option intéressante pour trouver de nouveaux revenus – d’autant plus que les devises étrangères avaient prix d’or à l’époque en Chine.

Ainsi, des milliers de patients fortunés de Hong Kong, Singapour et des pays limitrophes voyageaient en Chine pour y recevoir un organe : « Ce n’était un secret pour personne qu’il était possible d’éviter les longues listes d’attente pour obtenir un organe moyennant un certain montant en Chine », écrivait Amnesty International en 1995.

Plusieurs auteurs suggèrent que des intérêts financiers soient, du moins en partie, à l’origine du refus de la Chine d’abolir la peine capitale.

Dès les années 1990, les organisations internationales de défense de droits de la personne relevèrent les grandes lacunes du système de droit chinois et la violation des principes d’éthique médicale. On mentionne que le choix des prisonniers à exécuter relève davantage de leur compatibilité avec les receveurs plutôt que de la nature de leur crime. Il y aurait eu une augmentation du nombre de transplantations au cours de cette période, passant de 840 à 1905 transplantations de 1988 à 1992, peut-on lire dans un article intitulé The use of organs from executed prisoners in China signé J.D. Briggs en 1996. Plusieurs auteurs suggèrent aussi que les intérêts financiers décrits précédemment soient, du moins en partie, à l’origine du refus de la Chine d’abolir la peine capitale.

Période post-1999

La troisième période de transplantation en Chine commence au tournant des années 2000 et prend assise avec le début de la persécution de la méthode de méditation Falun Gong en 1999. Au cours de cette période, on note une croissance bien plus rapide de l’industrie de la transplantation par rapport aux décennies précédentes. Par exemple, le nombre d’hôpitaux réalisant des transplantations passa de 98 à 150 de 1983 à 1999 – soit une augmentation de 53 %. Or, pour la période de 1999 à 2006, ce nombre passe de 150 à 600 hôpitaux – soit une augmentation de 300 %, selon les chiffres publiés par HRW en 1994 et K.C. Allison et ses collègues dans un article intitulé Historical development and current status of organ procurement from death-row prisonners in China en 2015.

Le nombre d’exécutions est un secret d’État en Chine, et donc le sont aussi les données relatives au nombre de transplantations d’organes.

La méditation bouddhiste Falun Gong (aussi appelée Falun Dafa) avait été introduite en Chine en 1992 et avait connu une grande popularité. Selon les statistiques du gouvernement chinois, la Chine comptait entre 70 à 100 millions de pratiquants de Falun Gong au cours des années 1990. En 1999, croyant arriver à éradiquer la pratique en trois mois, une sévère persécution fut lancée par le secrétaire du Parti communiste chinois d’alors, Jiang Zemin, conduisant à la détention de milliers de personnes. En 2007, lors de sa mission en Chine, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture estimait que 66 % des prisonniers torturés en Chine étaient des pratiquants de Falun Gong.

Le nombre d’exécutions est un secret d’État en Chine, et donc le sont aussi les données relatives au nombre de transplantations d’organes. Ainsi, étant donné la falsification ou l’omission partielle ou complète de données sensibles, l’étude attentive des statistiques de transplantation en Chine est, pour n’importe quel observateur étranger, un véritable casse-tête, explique Kilgour et ses collègues dans leur rapport de 2016. Or, selon la même source, ce serait jusqu’à 1,5 million de transplantations qui auraient été réalisées depuis 15 ans en Chine, soit de 60 000 à 100 000 transplantations par année – un taux près de dix fois supérieur aux estimations réalisées par ces auteurs en 2007 et 2014.

En effet, à travers les 680 pages du rapport, les auteurs examinent les données issues de près de 900 hôpitaux ou centres de transplantation en Chine. On y analyse : le volume du personnel médical affecté à la transplantation, la formation de nouveaux médecins, les collaborations universitaires et les publications scientifiques, le développement des infrastructures (construction d’hôpitaux, d’ailes, nombre de lits) et les montants investis, la recherche et le développement de technologies de transplantation et d’immunosuppresseurs, les reconnaissances décernées aux chirurgiens prolifiques, les déclarations publiques, etc. À la lecture de ce rapport, on peut comprendre que l’industrie de la transplantation en Chine représente beaucoup, beaucoup d’argent.

Or, en raison de croyance confucéenne, le don d’organes n’est pas une pratique culturellement intégrée en Chine

Aujourd’hui

À la suite de la pression de la communauté internationale envers la Chine pour cesser le prélèvement d’organes de prisonniers exécutés, notamment après l’adoption de la Déclaration d’Istanbul en 2006, la Chine a mis en place des initiatives dont le China Organ Transplant Response System (COTRS) en 2013. Il s’agirait de la mise en place d’un système national de dons volontaires d’organes – une initiative qui fut d’ailleurs rapidement saluée par l’une des grandes sociétés de transplantation, la Transplantation Society (TTS). Or, en raison de croyance confucéenne, le don d’organes n’est pas une pratique culturellement intégrée en Chine ; il n’y aurait eu qu’un total de 130 donneurs d’organes décédés, de 1977 à 2009, selon l’article d’Allison cité plus haut. Comment un système national de dons volontaires d’organes peut-il fonctionner sans don d’organes ? En examinant de plus près les déclarations du directeur du COTRS et vice-ministre de la Santé, Huang Jiefu, on peut lire, dans plusieurs médias, une citation semblable à celle du 28 janvier 2015 dans le People’s Daily : « Les prisonniers condamnés sont aussi des citoyens. La loi ne les prive pas de leur droit à donner leurs organes. Si les prisonniers condamnés veulent racheter leurs crimes en donnant leurs organes, ils devraient être encouragés. »

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