2 façons étranges dont la médecine manipule le microbiome

Le désir de remédier à la dysbiose intestinale conduit à des solutions utilisant les selles et les microbiomes synthétiques

Par Amy Denney
27 août 2023 18:21 Mis à jour: 27 août 2023 18:21

Le microbiome humain est une vaste réserve de créatures microscopiques connues et inconnues qui effectuent des transformations biochimiques incalculables pour des voies métaboliques dont nous n’avons pas encore dressé la carte.

Des trillions de microbes, dont des bactéries, des virus et des champignons, interagissent avec la physiologie humaine et sont plus nombreux que les cellules humaines. La plupart des microbes sont « amicaux », et l’une de leurs fonctions est d’empêcher les agents pathogènes responsables de maladies de créer des problèmes. Les microbes pathogènes provoquent parfois des maladies aiguës et jouent un rôle dans les maladies chroniques.

Mais parfois, même ceux qui vivent en harmonie avec nous et les uns avec les autres – les microbes commensaux – se multiplient dans des proportions nuisibles. Chaque fois que l’on estime que les ratios sont malsains, on parle de dysbiose, un état qui serait à l’origine de d’inflammations et de maladies auto-immunes.

La recherche répertorie rapidement diverses démographies microbiennes associées à des maladies telles que les troubles du spectre autistique, la maladie de Parkinson, la maladie de Crohn, la maladie d’Alzheimer, divers cancers, les maladies cardiovasculaires et d’autres encore.

Dans un contexte d’augmentation du nombre de maladies, le concept d’un microbiome sain semble être un élixir possible. C’est peut-être la raison pour laquelle tant de personnes adhèrent à des concepts radicaux tels que les transplantations fécales, qui utilisent les selles d’un donneur pour repeupler les bonnes bactéries intestinales, ou même un microbiome synthétique composé de microbes cultivés en laboratoire.

L’année dernière, ces deux méthodes ont fait des bonds en avant, la science tentant de dépasser la destruction du microbiome, qui a vu des familles entières de bactéries disparaître des intestins des populations industrialisées.

La Food and Drug Administration (FDA) a récemment approuvé deux produits différents pour la transplantation de microbiote fécal (TMF), une méthode par laquelle des selles saines sont transplantées chez un receveur. L’un des produits est administré directement dans le côlon par coloscopie et l’autre est administré sous forme de pilules de selles destinées à repeupler la flore intestinale. Ces produits ne sont approuvés que pour les infections à Clostridioides difficile (C. diff). Ces procédures sont également pratiquées en France, certains hôpitaux prenant en charge  les volontaires sains qui souhaitent contribuer aux soins en devenant donneurs de selles.

Une deuxième approche – actuellement en phase de recherche sur les rongeurs mais avec des intentions thérapeutiques – est un microbiome synthétique de bactéries cultivées à partir de zéro et mélangées selon un modèle destiné à imiter le microbiome humain. Bien que le traitement soit prometteur, certains doutent subsistent quant à notre capacité à reproduire cette communauté microbienne incroyablement complexe, que nous essayons encore de comprendre.

Un aperçu de la science

Des chercheurs de l’université de Stanford ont mis au point ce qu’ils appellent « le microbiome synthétique le plus complexe et le mieux défini » avec plus de 100 espèces bactériennes qu’ils ont ensuite transplantées dans des souris. Après deux mois, 98 % de la flore a colonisé les souris et est restée stable. Les résultats ont été publiés en septembre 2022 dans la revue Cell.

Dans les transplantations fécales, un microbiome complet est introduit dans le tractus digestif humain. Il est donc difficile d’effectuer des recherches sur les bactéries spécifiques pouvant être impliquées dans certaines maladies. Les chercheurs de Stanford expliquent que leur recherche sur le microbiome synthétique vise à créer un outil permettant d’éliminer ou de modifier des espèces individuelles spécifiques. Il s’agirait de l’équivalent pour le microbiome de l’extinction des gènes, un domaine scientifique émergent dans lequel les gènes responsables de maladies sont désactivés.

« Nous ne saurions pas grand-chose de ce que nous savons sur la biologie si nous n’avions pas la possibilité de manipuler des systèmes biologiques complexes par morceaux », a déclaré Michael Fischbach, auteur correspondant de l’étude et professeur agrégé de bio-ingénierie, de microbiologie et d’immunologie.

Le microbiologiste Kiran Krishnan a déclaré à Epoch Times que les microbiomes synthétiques seraient utiles à la recherche, mais qu’il ne pensait pas qu’un microbiome humain complet serait remplacé avec succès par une version fabriquée par l’homme de son vivant. Selon lui, toute tentative aboutirait probablement au même résultat que le lait maternisé – une imitation grossière que les entreprises ont tenté de convaincre les mères qu’elle était meilleure que le lait maternel – aujourd’hui associé à des risques accrus d’obésité, d’allergies et de dysfonctionnement du système immunitaire.

« Nous ne pouvons pas reproduire ce que les microbes font naturellement. C’est trop difficile. Il se passe dans le monde des microbes des mécanismes que nous ne comprenons même pas du point de vue d’un biologiste », a déclaré Kiran Krishnan. « Ensuite, on entre dans le monde de la biologie quantique : les microbes communiquent par des moyens dont nous ne soupçonnons même pas l’existence. Chaque fois que nous avons pensé pouvoir être plus malins que la nature, nous avons créé des problèmes. »

Les transplantations fécales ont toutefois connu un essor thérapeutique avec des résultats impressionnants, en particulier pour les infections à C. difficile qui ont tendance à récidiver et peuvent altérer considérablement la qualité de vie.

L’approbation de Rebyota par la FDA en décembre 2022 était basée sur deux études au cours desquelles 978 adultes ont reçu au moins une dose de matière fécale humaine donnée. Selon la FDA, le taux de réussite à huit semaines était de 70,6 %, contre 57,5 % dans le groupe placebo. Des études menées dans le monde entiers confirment  le succès uniforme de la TMF dans le traitement du C. diff.

Depuis des années, les TMF font partie de la norme de soins pour les cas récurrents de C. difficile. Outre une diarrhée sévère, le C. difficile provoque une colite, c’est-à-dire une inflammation du côlon. Il touche environ 500.000 Américains par an, généralement ceux qui prennent des antibiotiques, lesquels détruisent la bonne flore, rendant le système immunitaire vulnérable à de futures infections. Selon les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies, une personne sur onze âgée de plus de 65 ans souffrant d’une infection à C. diff associée à des soins de santé meurt dans le mois qui suit. En France le nombre de décès liés à une CCD en France métropolitaine varie entre 254 et 311 par an.

Application de la TMF en dehors de l’intestin

Au-delà des infections à C. difficile, la FDA limite les transplantations fécales aux études cliniques. Les chercheurs étudient l’utilisation de la TMF pour des dizaines d’autres infections, maladies et affections.

Le Dr Thomas Borody, gastro-entérologue, est un pionnier dans ce domaine. Il a réalisé plus de 35.000 transplantations microbiennes au  Center for Digestive Diseases Australia. Il n’y a pratiquement aucune restriction à son utilisation en Australie. Le Dr thomas Borody détient plus de 180 brevets dans des domaines tels que la TMF et le traitement de l’Helicobacter pylori, de la maladie de Crohn et du syndrome du côlon irritable.

Lors d’une réunion sur le microbiome organisée à Malibu il y a plusieurs mois, le Dr Thomas Borody a présenté des études de cas sur l’utilisation réussie de greffes pour traiter la constipation associée à la maladie de Parkinson. Non seulement deux patients ont été soulagés de la constipation, mais les tremblements et d’autres symptômes ont également disparu, a déclaré le Dr Thomas Borody.

Je les ai emmenés chez leur neurologue pour les examiner et ils m’ont dit : « Si ils avaient été là maintenant, je ne leur aurais jamais diagnostiqué la maladie de Parkinson », a-t-il déclaré, tout en précisant que les deux sujets faisaient partie d’un essai de la TMF sur une douzaine de patients atteints de la maladie de Parkinson. « Seuls deux des douze patients ont réagi, ce qui signifie qu’il reste encore beaucoup de travail à faire.»

Ces études de cas miraculeuses sont légendaires en ligne, où des patients désespérés cherchent des alternatives aux produits pharmaceutiques qui ne fonctionnent pas bien ou qui ont des effets secondaires désagréables.

La prudence est de mise

Les patients n’ont pas d’autres options et sont informés des risques et des avantages. C’est ce que préconise un article publié en 2020 dans Medicine in Microecology .

La plupart des patients et des prestataires de soins considèrent les TMF comme naturelles, sûres et distinctes de la médecine conventionnelle, d’après les enquêtes mentionnées dans l’article. En 2017, seuls 12 % des personnes interrogées avaient connaissance des transplantations fécales. Une fois informées, 77 % d’entre elles ont déclaré qu’elles subiraient la procédure si elle s’avérait nécessaire. La procédure est souvent mal comprise et s’accompagne d’une multitude de ramifications éthiques et logistiques. Au fur et à mesure que la TMF est mieux connue, des personnes souffrant d’un certain nombre d’affections peuvent considérer qu’il s’agit d’un remède possible et procéder à des transplantations bricolées en utilisant les selles d’un membre de la famille en bonne santé. Ce sont de telles histoires qui ont motivé l’article de Medicine in Microecology, qui souligne cette préoccupation.

« Enfin, les cliniciens doivent s’efforcer d’éduquer et de persuader les patients de ne pas pratiquer la TMF comme une procédure à faire soi-même, pas plus qu’ils ne pratiqueraient une transplantation d’organe ou une transfusion sanguine à la maison. La facilité relative de la procédure n’annule pas les risques qu’elle comporte. Ainsi, lorsqu’ils rencontrent un patient qui mentionne qu’il envisage une TMF « bricolée », les cliniciens ont l’obligation d’expliquer les risques réels et de déconseiller une telle action », écrivent les auteurs.

Les patients sont déjà familiarisés avec la procédure et nombreux sont ceux qui la demandent pour des affections associées à une dysbiose. Le Dr Ari Grinspan, professeur agrégé de médecine et directeur du programme de transplantation de microbiote fécal à l’hôpital Mount Sinai, a déclaré à Epoch Times qu’il recevait deux à trois demandes par semaine.

Prenons l’exemple d’un patient qui a demandé une transplantation fécale après avoir pris un médicament appelé finastéride, plus connu sous les appellations commerciales Propecia ou Proscar, pour lutter contre la perte de cheveux et qui lui a causé des effets indésirables d’ordre sexuel, neurologique, physique et mental. Ce phénomène est si courant qu’il porte un nom – le syndrome post-Finasteride – et qu’il est associé à la dysbiose.

« J’ai observé ce phénomène pour toutes sortes de choses au cours des deux dernières années », a déclaré le Dr Grinspan. « C’est une façon courante pour la médecine d’échouer, parce que nous n’avons pas de réponse à tout.»

Les nombreuses inconnues de la TMF

Tout ce battage médiatique peut faire oublier à certains les inconnues associées aux TMF, telles que les modifications involontaires du microbiome qui pourraient entraîner des infections aiguës ou des maladies chroniques. Six patients ont contracté des infections à Escherichia coli à l’origine de diarrhées après avoir reçu des selles de donneurs pour le traitement du C. diff en 2020. 

D’autres médecins ont mis en garde contre les effets néfastes que pourraient avoir des selles mal analysées et des complications inconnues. L’article de Medicine in Microecology souligne la nécessité d’enregistrer les effets indésirables à court et à long terme.

Étant donné que de nombreuses solutions en matière de soins de santé sont transactionnelles – les symptômes disparaissent très probablement au prix d’un ou plusieurs effets secondaires -, les chercheurs estiment qu’il est important de réserver les transplantations fécales aux situations les plus graves.

La cause première toujours ignorée

Il y a un autre problème : la TMF ne fait rien pour remédier aux mauvais choix, à l’exposition à l’environnement et au mode de vie qui ont pu causer ou contribuer à la dysbiose.

Le Dr Scott Doughty, médecin de famille intégratif à l’UP Holistic Medicine, a affirmé à Epoch Times que la TMF pourrait suivre le même chemin que le pontage gastrique, une opération de perte de poids qui modifie la taille de l’estomac pour restreindre la quantité d’aliments qu’il peut contenir. Une nouvelle anatomie oblige le patient à changer ses habitudes, mais elle ne l’incite pas à manger moins, à avoir envie d’aliments plus sains ou à modifier les causes physiologiques profondes qui ont pu conduire à l’obésité.

« J’espère que le marché de la transplantation fécale ne fera pas l’impasse sur l’idée que vous êtes tombé malade pour une raison précise et qu’il faut essayer de comprendre ce qui vous a rendu malade afin d’apporter des changements », a déclaré le Dr Doughty.

Il reste néanmoins enthousiaste et plein d’espoir face à ce concept qui, selon lui, confirme le travail des médecins holistiques axé sur l’intestin, notamment les changements alimentaires, la désintoxication, la réduction de l’exposition aux toxines et le traitement de l’inflammation.

Pourquoi la dysbiose est-elle une préoccupation croissante ?

On pense généralement que l’industrialisation a réduit la diversité du microbiome en raison de l’alimentation, des herbicides, de l’utilisation d’antibiotiques, du recours accru aux césariennes et aux préparations pour nourrissons, de l’aseptisation excessive et de la réduction des contacts avec le sol et les animaux.

Une découverte très récente provient du séquençage en profondeur des génomes d’échantillons de selles de la tribu Hadza prélevés il y a une dizaine d’années. Les nouvelles technologies appliquées aux anciens échantillons ont permis aux chercheurs d’identifier davantage d’espèces présentes dans les microbiomes de l’une des dernières populations de chasseurs-cueilleurs vivant en Tanzanie. Ils avaient en moyenne 730 espèces, par rapport aux échantillons de microbiome de Californie (277 espèces), de Napali foragers ‘ethnies tibéto-népalaises » , (317) et de Napali agrarians “agriculteurs Népalais”,(436 espèces).

Publiée le 6 juillet dans Cell, l’étude a révélé que 124 espèces résidant dans l’intestin ont disparu dans les populations industrialisées. Elle a également examiné de près les propriétés fonctionnelles des espèces disparues, qui appartenaient principalement aux genres  Prevotella, qui fermente les fibres, et Spirochaetota, qui est un commensal. Les microbiomes non industriels se sont révélés plus riches en bactéries associées aux fonctions antioxydantes et de détection de l’oxydoréduction – des rôles du microbiome qui permettent de tenir à distance les problèmes d’auto-immunité.

« Les données générées par les échantillons fécaux Hadza,(l’une des dernières tribus africaines de chasseurs-cueilleurs vivants au sud de l’équateur),dans cette étude (collectés en 2013-2014) peuvent donc représenter un point de référence permanent critique pour les scientifiques du microbiome afin de comprendre les impacts de l’industrialisation sur le microbiome de l’intestin », selon l’étude.

La recherche a révélé que Treponema succinifaciens – précédemment associé à un mode de vie non industrialisé – est presque totalement absent des individus industrialisés. Aucun génome de Spirochaetota n’a été détecté dans les microbiomes californiens.

Une étude réalisée en 2021 et publiée dans BMC Microbiology confirme l’inquiétude suscitée par le changement rapide de notre microbiome dans les environnements industrialisés, « en particulier la diminution observée des Spirochaetes et des Prevotella dans les communautés occidentales ».

Les auteurs notent que ces changements sont probablement liés à l’évolution rapide de nos modes de vie et au microbiome dysbiotique, « qui favorisent l’étiologie des maladies chroniques ».

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