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Urgences hospitalières

64 heures aux urgences sur un brancard : le calvaire de Claire, 99 ans

Pendant 64 heures, Claire, 99 ans, est restée allongée sur un brancard dans un box aux urgences du CHU de Rouen, faute de lit disponible. Un cas loin d'être isolé qui illustre la saturation chronique des services d'urgences français.

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Photo: Shutterstock

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Durée de lecture: 7 Min.

Le 17 octobre 2025 au soir, Claire, une femme de 99 ans, est admise aux urgences du CHU de Rouen pour des difficultés respiratoires. Le diagnostic tombe rapidement : œdème aigu du poumon. Malgré l’urgence de son état, elle devra attendre jusqu’au lundi après-midi pour être transférée en service de gériatrie. Entre-temps, elle restera plus de 64 heures aux urgences sur un brancard, dans un box prévu pour deux patients, séparés par un rideau.
Sa petite-fille Aline, 36 ans, infirmière de profession, a décidé de témoigner de cette situation sur Facebook. Son message, partagé plus de 1000 fois, met en lumière une réalité de nombreux services d’urgences en France.

Une attente interminable dans des conditions précaires

Claire a été transportée par le SAMU vers 21h30 le vendredi soir. « Vers minuit, le diagnostic d’OAP [Œdème aigu des poumons] était posé. Elle devait être transférée au service gériatrie, mais il fallait qu’un lit se libère », raconte Aline, selon Paris Normandie. Aucun lit ne se libérera avant le lundi.
Pendant ces trois jours, la quasi-centenaire reste confinée dans un box équipé de prises à oxygène et d’un lavabo, mais sans toilettes. Aline et sa mère se relaient à son chevet, lui apportent un oreiller, un coussin de décharge pour éviter les escarres, et même ses repas. « Ce qui est malheureux, c’est qu’ils n’avaient même pas assez de repas pour tout le monde, pas assez de couverts », déplore Aline.
L’infirmière aide même le personnel à changer sa grand-mère et lui masse les jambes, car « des rougeurs commençaient à apparaître faute de lit adapté et de pouvoir bouger », précise Ici.

Des soignants dépassés mais impuissants

Aline insiste : son témoignage ne vise pas à critiquer le personnel soignant. « Aux urgences, on voit des gens en colère face aux soignants, mais ils font ce qu’ils peuvent, si on s’en prend à eux on loupe sa cible, ce n’est pas à eux qu’il faut s’en prendre », explique-t-elle. Son but était « d’attaquer l’ARS [Agence régionale de santé] et le ministère de la Santé, il faut qu’ils viennent voir comment ça se passe ».
Les couloirs du service débordaient de brancards. « Les aides-soignantes, et même une cadre, sont passées nous voir ; elles étaient désolées de ne pas pouvoir faire plus. On les a vues plusieurs jours d’affilée. Elles faisaient leur journée, et quand elles revenaient le lendemain, elles constataient que ma grand-mère était toujours là », témoigne la petite-fille.
Une cadre est même venue s’excuser de la situation. « Les soignants n’y sont pour rien, ils subissent autant que le patient subit », résume Aline.

Un cas parmi tant d’autres

Ce cas n’est malheureusement pas isolé. Urielle Piednoël, aide-soignante et représentante du syndicat UNSA, confirme : « C’est difficile de gérer le flux. En règle générale, on est à plus de 200 passages aux urgences du CHU par jour. Il manque cruellement de médecins urgentistes. Il n’y a plus de place dans les services, les services sont overbookés. Effectivement, les patients restent 24 à 48 heures, voire au-delà, sur des brancards, dans des conditions lamentables, c’est inhumain. »
Le CHU de Rouen reconnaît une situation « exceptionnellement tendue » ce week-end-là, avec plus de 250 passages en 24 heures contre environ 200 habituellement. Rémi Heym, directeur de la communication de l’établissement, explique : « Ce week-end était particulier, il y a eu un pic d’activités important avec une flambée de cas de Covid, un début de vacances où l’on a moins de personnels et donc des lits fermés. » Tout en admettant que « malheureusement cet engorgement peut se reproduire à certaines périodes », il insiste : « On soigne encore tout le monde aux Urgences, mais ce sont les conditions d’hospitalisation ensuite qui posent problème. »

Une crise structurelle

Le problème dépasse largement le CHU de Rouen. Les urgences françaises ont enregistré 21,6 millions de passages en 2022 contre 18 millions en 2012, soit une hausse annuelle de 2 %, d’après The Conversation. La saturation concerne particulièrement les patients réguliers : 24 % des patients représentent 61 % des passages, se rendant en moyenne cinq fois par an aux urgences. Ces 3 millions de patients sont principalement des personnes âgées polypathologiques, des usagers sans autre recours médical à proximité, et des personnes en situation d’exclusion sociale.
Les services d’urgences cristallisent les dysfonctionnements du système de santé à chaque étape du parcours de soins. En amont, la désertification médicale croissante dans de nombreux territoires pousse les patients vers l’hôpital. Au sein même des urgences, les moyens manquent pour accueillir et prendre en charge correctement les malades. En aval, le nombre insuffisant de lits empêche l’hospitalisation des patients qui en ont besoin.
Sans une refonte profonde et rapide du système de santé, les mesures ponctuelles appliquées aux urgences resteront insuffisantes pour résoudre cette crise structurelle
Aline conclut son témoignage par un appel : « Face à une population vieillissante, il faut plus de lits, plus de soignants et les garder. »
Claire, sept petits-enfants et onze arrière-petits-enfants, est finalement rentrée chez elle le 28 octobre après une semaine d’hospitalisation. Elle reste très fatiguée et se remet doucement de cette épreuve.