Abdiel et Lucifer sur la question de la liberté

Idées illustres et illustrations : les images de Gustave Doré

Par Eric Bess
14 mars 2023 15:55 Mis à jour: 11 avril 2023 17:09

Qu’est-ce que la liberté ? La liberté est-elle la capacité de faire ce que l’on veut quand on veut ? Ou la liberté est-elle directement liée à notre capacité à nous contrôler ? La liberté existe-t-elle lorsque nous pouvons garantir des résultats égaux pour tous ? Ou la liberté est-elle davantage liée à la reconnaissance de la suprématie de la justice de Dieu ?

Dans la suite de notre série sur le Paradis perdu de John Milton, nous allons explorer l’idée de liberté.

Lucifer propose l’égalité et la liberté

En discutant avec l’archange Raphaël, Adam s’intéresse à la guerre du Ciel. Raphaël en profite pour mettre en garde Adam contre les conséquences potentielles de son libre arbitre.

Raphaël commence l’histoire au moment où Dieu informe les anges que son Fils, Jésus, sera leur seigneur. Les anges du ciel sont enthousiasmés par cette merveilleuse nouvelle : ils fêtent, chantent et dansent, et Dieu se réjouit de leur jubilation.

Cependant, certains anges n’étaient pas satisfaits. Un ange en particulier, Lucifer, n’appréciait pas de devoir s’incliner devant un être qu’il considérait comme son égal. Lucifer a rassemblé un groupe de ses fidèles pour qu’ils l’accompagnent en secret jusqu’à l’endroit le plus septentrional du Paradis. C’est là qu’il commence à défier Dieu.

Sur une colline entourée de tours d’or et de pyramides de diamants, il s’est assis sur un trône et s’est plaint ingratement que lui et ses fidèles, bien qu’étant parmi les êtres les plus puissants du ciel, devaient désormais s’incliner deux fois : une fois devant Dieu et une autre fois devant Jésus.

« Uniquement pour délibérer
Avec quels nouveaux honneurs nous pouvons le mieux
Recevoir celui qui vient recevoir de nous
Le tribut du genou, non encore payé, vile prosternation !
À un seul, c’était déjà trop ; mais le payer double, comment l’endurer ?
Le payer au premier et à son image maintenant proclamée ! »
(Livre V, ligne 119)

L’orgueil de Lucifer le rend peu enclin à se soumettre à qui que ce soit, même à Dieu. Milton montre que les intentions de Lucifer sont plus nuancées. Ici, Lucifer va à l’encontre de Dieu en promouvant un type spécifique d’égalité et de liberté :

« Voulez-vous tendre le cou ? Préférez-vous fléchir
Un genou assoupli ? Vous ne le voudrez pas, si je me flatte
De vous bien connaître, ou si vous vous connaissez vous-mêmes
Pour natifs et fils du ciel que personne ne posséda avant nous.
Si nous ne sommes pas tous égaux, nous sommes tous libres,
Également libres (…)
Qui donc, en droit ou en raison, peut s’arroger
La monarchie parmi ceux qui, de droit, vivent
Ses égaux, sinon en pouvoir et en éclat,
Du moins en liberté ? »
(Livre V, ligne 119)

Lucifer suggère que tous ne sont pas égaux dans tous les aspects, mais que tous sont également libres, et que quiconque tente d’enfreindre cette égalité est un tyran et doit être combattu.

Lucifer et Abdiel débattent de l’égalité et de la liberté

C’est à ce moment-là qu’un ange dans l’assistance, Abdiel, proteste contre les propos blasphématoires de Lucifer. Abdiel veut rappeler aux anges que leur subordination à Dieu ne compromet pas leur liberté :

« Par lui comme par sa parole, le Père tout-puissant a fait toutes choses,
Même toi et tous les esprits du ciel, créés par lui dans leurs ordres brillants ;
Il les a couronnés de gloire (…)
Non par son règne obscurcies,
Mais rendues plus illustres (…)
Ses lois sont nos lois ; tous les honneurs qu’on lui rend
Nous reviennent. »
(Livre V, ligne 120)

Abdiel suggère que tous les anges présents, même Lucifer, ont été créés par Dieu avec toute leur gloire, et que le pouvoir suprême de Dieu n’a jamais obscurci leur gloire, puisque leur gloire est l’expression de Dieu. Les opprimer reviendrait, par essence, à s’opprimer lui-même.

En d’autres termes, ils sont tous l’expression de la puissance de Dieu, et plus Dieu est puissant, plus ils le sont. Le pouvoir, l’égalité et la liberté que Lucifer veut obtenir, il les possède déjà en étant proche de Dieu. Il pourrait obtenir l’élévation qu’il recherche non pas en défiant Dieu, mais en le louant.

Bien sûr, Lucifer n’est pas d’accord avec cela et dit :

« Nous ne connaissons point de temps où nous n’étions pas comme à présent ;
Nous ne connaissons personne avant nous : engendrés de nous-mêmes, sortis de nous-mêmes par notre propre force vive (…) »
(Livre V, ligne 121)

La réponse de Lucifer est qu’aucun d’entre eux ne se souvient que Dieu les a créés. Au contraire, étant les premiers à apparaître comme s’ils étaient issus de leur propre puissance, leur gloire semble provenir de quelque chose d’inné en eux. Ils n’ont donc pas besoin de rendre hommage à quoi que ce soit ou à qui que ce soit en dehors d’eux-mêmes.

Voyant qu’aucun des autres anges ne prend le parti d’Abdiel, Lucifer prend de l’assurance et dit avec insolence à Abdiel de retourner auprès de son nouveau roi pour qu’il puisse continuer à être un esclave. Les anges qui suivent Lucifer applaudissent à tout rompre et regardent Abdiel avec mépris lorsqu’il s’en va rejoindre Dieu.

Dieu connaît déjà tous les plans de Lucifer et voit toute la résistance se dérouler, aussi tous les anges de Dieu se préparent-ils à la bataille. Dieu et ses anges voient Abdiel résister à Lucifer, et ils le fêtent à son retour. Dieu lui dit :

« (…) tu as bien combattu
Dans le meilleur combat, toi, qui seul as soutenu
Contre des multitudes révoltées la cause
De la vérité, plus puissant en paroles qu’elles ne le sont en armes.
Et pour rendre témoignage à la vérité, tu as bravé
Le reproche universel, pire à supporter
Que la violence ; car ton unique soin était
De demeurer approuvé du regard de Dieu, quoique des mondes
Te jugeassent pervers (…) »
(Livre VI, ligne 124)

Dieu dit à Abdiel que cette épreuve était difficile. Il est très difficile de rechercher la vérité et de ne se soucier que de l’approbation de Dieu. Ces anges qui l’ont dévisagé étaient autrefois ses amis, et il a dû faire une marche solitaire de la honte sous leurs regards de désapprobation alors qu’il retournait vers Dieu.

Dieu dit que ce genre d’exclusion peut être encore plus difficile à supporter que la violence. Mais Abdiel a passé le test, et le prochain test sera beaucoup plus facile parce qu’Abdiel aura toute l’armée de Dieu avec lui.

Le premier coup

L’armée de Dieu est dirigée par les archanges Michel et Gabriel pour trouver l’armée de Lucifer et contrecarrer sa rébellion. Ils trouvent Lucifer en train de préparer une attaque surprise. Il est monté sur un char de soleil au milieu de chérubins flamboyants avec des boucliers d’or. Les deux armées s’alignent l’une contre l’autre et attendent les ordres.

Abdiel est dégoûté de voir Lucifer se présenter sous un jour si grandiose alors qu’il est devenu si mauvais. Lucifer descend de son char et marche vers l’avant de la file, où il est accueilli par Abdiel. Ils échangent de vives paroles et Lucifer dit :

« Je crus d’abord que liberté et ciel ne faisaient qu’un
Pour les âmes célestes ; mais je vois à présent
Que plusieurs, par bassesse, préfèrent servir ;
Esprits domestiques traînés dans les fêtes et les chansons !
Tels sont ceux que tu as armés, les ménétriers du ciel,
L’esclavage pour combattre la liberté. »
(Livre VI, ligne 127)

Lucifer insulte tous les anges de Dieu. Il leur dit qu’ils confondent la liberté avec le fait de pouvoir chanter et danser en louange à Dieu, mais qu’il ne s’agit là que d’un spectacle de bouffon, à ne pas confondre avec la vraie liberté.

Abdiel répond que servir Dieu n’est pas la même chose que manquer de liberté. Le véritable asservissement vient du fait de prendre des décisions imprudentes et de suivre ceux qui se rebellent contre Dieu en étant captivés par eux-mêmes. L’asservissement est assimilé au narcissisme :

« La servitude est
De servir l’insensé ou celui qui s’est révolté
Contre un plus digne que lui, comme les tiens te servent à présent,
Toi non libre, mais esclave de toi-même. »
(Livre VI, ligne 128)

C’est à ce moment qu’Abdiel lance le premier coup, qui atterrit sur le bouclier de Lucifer et le fait reculer de dix pas. C’est alors que Michel sonne de la trompette et que la bataille proprement dite commence.

Dans son illustration « Ce noble coup tomba sur la crête orgueilleuse de Satan », Gustave Doré dépeint le moment où Abdiel lève son épée pour attaquer Lucifer. Lucifer semble s’apprêter à dégainer sa lance. Les anges de Dieu entourent Abdiel et sont visibles en silhouette à l’arrière-plan. Les anges de Lucifer, en revanche, sont légèrement plus sombres, et deux d’entre eux, dans le coin inférieur droit, se protègent ou tournent le dos à l’assaut qui s’annonce. Leur manque de courage est-il l’expression de leur liberté ?

La question de la liberté

Tout cela soulève la question de la véritable liberté.

Entre les lignes, Milton semble suggérer une différence entre le libre arbitre et la véritable liberté. Raphaël commence l’histoire en avertissant Adam des conséquences potentielles du libre arbitre : Nous récoltons ce que nous semons, mais nous semons ce que nous voulons. Ici, la liberté semble liée à ce que nous récoltons ; c’est une conséquence de la façon dont nous utilisons notre libre arbitre ; la liberté est notre récompense pour avoir semé avec droiture.

Abdiel utilise son libre arbitre pour défier Lucifer et louer Dieu, et il reçoit le genre de louange que Lucifer désire désespérément.

Cependant, Lucifer utilise son libre arbitre pour revendiquer et combattre l’égalité absolue avec Dieu, quelle que soit sa place dans la hiérarchie divine. Son rang divin est inférieur à celui de Dieu et de Jésus, mais il estime qu’il doit néanmoins être traité comme eux. Il veut que le pouvoir et la louange soient répartis équitablement. Le libre arbitre peut être comparé à l’égalité des chances. Lucifer veut l’égalité des résultats et il prévoit de détruire tout ce qui se met en travers de son chemin.

Dans son autosatisfaction, Lucifer ne voit pas qu’il est esclave de son propre orgueil, un orgueil qui le suit partout comme un enfer auquel il ne peut échapper.

« Ce noble coup tomba sur la crête orgueilleuse de Satan » (VI. 128), 1868, extrait de Paradis perdu écrit par John Milton en 1866, illustré par Gustave Doré. Gravure. (Domaine public)

Gustave Doré était un illustrateur prolifique au XIXe siècle. Il a illustré certains des plus grands classiques de la littérature occidentale, notamment La Bible, Paradis perdu et La Divine comédie. Dans cette série, nous allons nous plonger dans les pensées qui ont inspiré G. Doré et les images que ces pensées ont suscitées.

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