Analyse du tollé contre l’ambassadeur chinois en France et son déni de souveraineté des anciens pays soviétiques

Par Jenny Li et Olivia Li
29 avril 2023 13:17 Mis à jour: 1 mai 2023 11:02

Lu Shaye, l’ambassadeur de Chine en France, a déclaré publiquement lors d’une interview télévisée que les nations post-soviétiques « n’ont pas de statut effectif » dans le droit international, ce qui a provoqué un tollé. Les experts de la Chine estiment que ses remarques représentent probablement les véritables opinions du Parti communiste chinois (PCC), révélant involontairement le mécontentement du PCC face à l’effondrement de l’Union soviétique, il y a plus de 30 ans.

Lors de l’entretien du 21 avril, Lu Shaye s’est vu demander si la Crimée appartenait à l’Ukraine ; il a répondu : « Cela dépend de la façon dont vous percevez le problème ».

Plus loin dans sa réponse, il a nié la souveraineté de tous les États post-soviétiques.

« Même ces pays de l’ex-Union soviétique n’ont pas de statut effectif en droit international, car il n’existe pas d’accord international qui spécifierait leur statut de pays souverain », a affirmé Lu Shaye.

Les trois États baltes, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, ont fustigé ses commentaires.

Le ministre letton des Affaires étrangères, Edgars Rinkevics, a réagi sur Twitter : « Compte tenu des déclarations inacceptables de l’ambassadeur de Chine en France au sujet du droit international et de la souveraineté nationale, le ministère letton des Affaires étrangères a convoqué le chargé d’affaires autorisé de l’ambassade de Chine à Riga afin qu’il fournisse des explications. Cette démarche est coordonnée avec la Lituanie et l’Estonie ».

Quelques jours plus tard, sur Twitter, Edgars Rinkevics a retracé l’histoire de l’occupation de son pays par les Soviétiques.

Le ministre estonien des Affaires étrangères, Margus Tsahkna, a dénoncé les commentaires de Lu Shaye comme étant « faux » et « une mauvaise interprétation de l’histoire ».

L’ambassadeur d’Ukraine en France, Vadym Omelchenko, a déclaré sur Twitter : « Soit il y a des problèmes évidents de géographie, soit ces déclarations sont en conflit avec la position officielle de la Chine concernant les efforts pour restaurer la paix en Ukraine sur la base du droit international et des objectifs et principes de la Charte des Nations unies. »

Gabrielius Landsbergis, ministre lituanien des Affaires étrangères, a quant à lui écrit dans un message sur Twitter : « Si quelqu’un se demande encore pourquoi les États baltes ne font pas confiance à la Chine pour « négocier la paix en Ukraine », voici un ambassadeur chinois qui affirme que la Crimée est russe et que les frontières de nos pays n’ont aucune base juridique. »

Gabrielius Landsbergis a poursuivi sur Twitter avec des commentaires similaires à ceux du ministre letton des Affaires étrangères sur les Soviétiques.

« La Lituanie n’a jamais rejoint l’URSS. Moscou a occupé illégalement notre territoire, nous avons donc résisté jusqu’à ce que nous ayons restauré notre indépendance et que l’Armée rouge soit rentrée chez elle. Nous ne sommes pas post-soviétiques, nous n’avons jamais été soviétiques. »

Un manifestant lituanien devant un char de l’Armée rouge soviétique lors de l’assaut de la station de radio et de télévision lituanienne à Vilnius, le 13 janvier 1991. (STF/AFP via Getty Images)

Pékin, « un soutien sournois de Moscou »

À la suite des réactions suscitées par les commentaires de Lu Shaye, les autorités chinoises ont tenté de désamorcer la situation en affirmant qu’il s’agissait de ses opinions personnelles.

Les commentaires de Lu Shaye diffèrent des déclarations officielles du PCC sur la souveraineté nationale dans le contexte de l’agression récente de la Russie. Le 24 février dernier, Pékin a publié une déclaration de principe sur la résolution de la crise ukrainienne.

« La Chine respecte la souveraineté des nations. Le droit international reconnu, y compris l’objectif et les principes de la Charte des Nations unies, doivent être strictement pratiqués, et la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de chaque pays doivent être efficacement sauvegardées », indique la déclaration.

Mais Anders Corr, fondateur de Corr Analytics Inc. et éditeur du Journal of Political Risk, a déclaré à Epoch Times le 23 avril que les remarques de Lu Shaye révélaient une fois de plus la véritable position du PCC sur la guerre russo-ukrainienne.

« Le commentaire de Lu Shaye est un autre indicateur que Pékin voit ses intérêts alignés sur la Russie et sa guerre contre l’Ukraine. Le PCC n’est en aucun cas un pacificateur neutre, comme il a essayé de se présenter, mais apparemment un partisan plutôt dissimulateur de Moscou qui fait de son mieux pour rester à l’arrière-plan du combat », selon Anders Corr.

Anders Corr a rappelé que les anciens États soviétiques jouissent d’un statut souverain en vertu du droit international. Certains de ces pays, comme l’Ukraine, étaient déjà souverains avant l’effondrement de l’Union soviétique.

« Certains Ukrainiens considèrent l’Hetmanat du XVIIe siècle comme le précurseur de l’État indépendant qu’ils connaissent aujourd’hui. Le maintien de l’indépendance a nécessité de fréquentes guerres au cours des siècles et l’endurance aux pires conditions, y compris les invasions russes et nazies, le génocide et la destruction délibérée de la culture et de la langue ukrainiennes par Moscou. Pourtant, l’Ukraine a conservé son esprit d’indépendance tout au long de son histoire. »

Un homme enveloppé d’un drapeau national ukrainien sur la place de l’Indépendance Maidan à Kiev, le 24 février 2022, le jour où les forces terrestres russes ont envahi l’Ukraine. (Sergei Supinsky/AFP via Getty Images)

Moscou a même fait en sorte que l’Ukraine et le Belarus, qui étaient sous son contrôle forcé, deviennent des membres fondateurs de l’ONU en 1945 afin d’obtenir plus de voix à l’Assemblée générale de l’ONU.

« [L’adhésion de l’Ukraine à l’ONU] et les siècles de résistance de l’Ukraine à la domination russe, ainsi que sa démocratie, lui confèrent un statut souverain incontesté en vertu du droit international », a fait remarquer Anders Corr.

Le fait que Moscou et Pékin non seulement nient cette réalité, mais soutiennent une guerre visant à violer une affirmation encore plus tardive de l’indépendance ukrainienne, à savoir l’accord de Budapest de 1994, « montre qu’ils ne sont pas des partenaires de négociation fiables et qu’ils ne peuvent être contenus que par la force et les sanctions économiques », a-t-il ajouté.

Shi Shan, commentateur des affaires courantes, a affirmé à Epoch Times que les déclarations irresponsables du PCC ne font qu’aggraver ses problèmes.

« En parlant ouvertement de l’incertitude du statut de la Crimée, le Parti communiste chinois a non seulement remis en question le statut souverain de l’Ukraine, mais il a également rejeté de manière flagrante le mémorandum de Budapest sur les garanties de sécurité. Les pays européens, mais aussi le monde entier, se demanderont comment ils peuvent attendre de cette « superpuissance » qu’elle soit un membre responsable du monde.

Selon Anders Corr, le PCC soutient la Russie dans sa violation de la souveraineté ukrainienne « parce qu’elle déstabilise l’Europe, détourne les défenses américaines de l’Asie et conduira à un soutien réciproque de Moscou à Pékin, notamment dans l’immédiat sous la forme de prix réduits de l’énergie, et à long terme pour une invasion de Taïwan par la Chine continentale ».

Reconnaissance des pays post-soviétiques

Shi Shan a également souligné que si le PCC considérait réellement que le statut souverain des anciens États soviétiques était incertain, il n’aurait pas établi de relations diplomatiques avec eux avec empressement.

Après l’annonce par Mikhaïl Gorbatchev de sa démission en tant que président le 25 décembre 1991, l’Union soviétique, qui avait existé en tant qu’État souverain pendant 69 ans, s’est officiellement dissoute et a cessé d’exister le lendemain avec l’adoption d’une résolution par le Soviet suprême.

Immédiatement après la chute de l’Union soviétique, le PCC s’est empressé d’établir des relations diplomatiques avec les anciens pays soviétiques. Le 27 décembre, deuxième jour de la dissolution de l’Union soviétique, le ministre chinois des affaires étrangères de l’époque, Qian Qichen, a appelé les ministres des affaires étrangères de divers pays post-soviétiques pour annoncer que le régime chinois reconnaissait l’indépendance de 11 pays et était prêt à discuter de relations diplomatiques avec eux. Lorsque l’Union soviétique a annoncé sa dissolution, une délégation chinoise s’était déjà rendue à Moscou pour préparer les relations diplomatiques avec ces pays.

Selon l’analyste indépendant Zhuge Yangming, le PCC a chaleureusement accueilli les anciens pays soviétiques nouvellement libérés pour établir des relations diplomatiques avec eux avant Taïwan. « Cependant, aujourd’hui, l’ambassadeur chinois nie publiquement la souveraineté de ces anciens pays soviétiques. Il exprime apparemment le point de vue des hauts fonctionnaires. »

Pékin après la chute de l’Union soviétique

Xi Jinping a pris la tête du PCC en novembre 2012. Et, le mois suivant, il a convoqué une réunion dans la province du Guangdong, déclarant aux cadres du parti que le PCC devait tirer les leçons « profondes » de l’ancienne Union soviétique.

Le dirigeant chinois Xi Jinping, alors nouvellement nommé, assiste à une réunion avec un groupe d’experts étrangers au Grand Hall du Peuple à Pékin, le 5 décembre 2012. (Ed Jones-Pool/Getty Images)

Dans un discours ayant fait l’objet d’une fuite, Xi a déclaré : « Pourquoi l’Union soviétique s’est-elle désintégrée ? Pourquoi le parti communiste soviétique s’est-il effondré ? Une raison importante est que leurs idéaux et leurs convictions ont vacillé ».

« Finalement, il a suffi d’un mot discret de Gorbatchev pour déclarer la dissolution du Parti communiste soviétique, et un immense parti a disparu », a ajouté Xi Jinping. « En fin de compte, personne n’était réellement un homme, personne n’est sorti pour résister ».

Pour tirer ces « leçons profondes », le PCC a rédigé des milliers de documents internes, organisé des sessions d’étude et même produit un film documentaire sur l’effondrement de l’Union soviétique.

En mai 2011, Li Shenming, vice-président de l’Académie chinoise des sciences sociales, a écrit une élégie sur la chute de l’Union soviétique. Il a affirmé que « la disparition du Parti communiste de l’Union soviétique et la désintégration de l’Union soviétique ont constitué un recul et un désastre considérables pour le mouvement socialiste mondial, ainsi qu’un tournant majeur dans l’histoire de l’humanité ».

Selon Li Shenming, l’effondrement de l’Union soviétique et des anciens pays communistes européens a été un grand désastre pour le mouvement socialiste mondial. Depuis lors, « 10 des 15 pays socialistes à l’origine ont changé de nature ou ont cessé d’exister, et le nombre total de communistes dans le monde, à l’exception du parti communiste chinois, a fortement chuté, passant de plus de 44 millions à plus de 10 millions, et la plupart d’entre eux ont perdu leur position dominante. »

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