Au temps de l’argent roi, où en est la finance solidaire en France ?

30 mars 2018 13:22 Mis à jour: 22 avril 2021 02:21

Selon Finansol (association de promotion d’une finance éthique, humaine et solidaire),

« La finance solidaire relie les épargnants qui cherchent à donner du sens à leur argent à des entreprises et associations à forte utilité sociale et environnementale, qu’ils financeront via la souscription de produits d’épargne solidaire. »

Qu’est-ce que la finance solidaire ?

L’objectif de cette finance est donc d’allouer des capitaux et financer directement des entreprises engagées notamment dans l’amélioration des conditions sociales et la transition écologique. Les objectifs d’impact sont surtout situés sur les enjeux de l’emploi (lutte contre le chômage), du logement, des énergies renouvelables et de l’agriculture biologique voire du développement entrepreneurial des pays sous-développés du Sud…

L’épargnant peut donc orienter ses actifs directement vers des entreprises et projets identifiés qui lui permettront de mettre du sens à son investissement et d’en retirer une valeur éthique au-delà d’une valeur strictement financière.

La finance solidaire se concentre autour de deux produits phares selon les critères d’attribution du label Finansol : les produits d’investissement solidaire et les produits de partage. Les premiers placent directement tout ou partie de leur montant dans des projets identifiés solidaires (utilité sociale et/ou environnementale), les seconds versent les revenus issus des placements (au moins 25 %) dans des associations ciblées à l’avance et dont les actions sont identifiées d’utilité sociale et/ou environnementale.

L’économie sociale et solidaire (ESS), l’enjeu de l’emploi et du vivre-ensemble

L’économie sociale et solidaire représente aujourd’hui un vivier d’emplois importants. Il est recensé aujourd’hui 2,3 millions d’emplois dans l’ESS, soit 10 % à 15 % de l’emploi salarié en France (1 emploi sur 6 ou 7), avec un besoin supplémentaire de 100 000 emplois par an. Les besoins de financement sont donc énormes pour l’ESS, et la finance solidaire s’inscrit comme le principal pourvoyeur de fonds. Le nouveau baromètre de la finance solidaire publié par Finansol pour 2017-2018 estime à 9,76 milliards d’euros les encours placés sur les produits de partage ou d’investissement solidaire (via des plans d’épargne entreprise, livrets d’épargne, fonds commun de placement ou SICAV, Assurance-Vie) ou directement dans le capital d’entreprises solidaires.

En 2016, 196 000 nouvelles souscriptions de financements solidaires ont été réalisées pour un total de 1,3 milliard d’euros (+15,5 % en un an). L’encours global a permis de générer 280 millions d’euros de revenus redistribués à des projets sociaux/environnementaux, ceci permettant de créer ou consolider 49 000 emplois, reloger 5 500 personnes ou encore d’approvisionner 20 000 foyers en électricité renouvelable.

La majorité des actions de financement solidaire se fait principalement sur les circuits bancaires (un tiers des encours globaux soit 3,06 milliards d’euros sont réalisés via des produits d’épargne solidaire bancaires type livrets, parts de fonds communs, assurance-vie…).

Les fonds collectés s’orientent vers le social et l’environnement : 28 % des investissements vont à l’insertion par l’emploi, 31 % sont injectés dans le logement très social alors que l’environnement en reçoit 36 % et la solidarité internationale 5 %. Bien que ces produits soient labellisés, ils ne permettent pas toujours d’identifier parfaitement les projets et la gestion réalisée, confirmant que les Français préfèrent confier la gestion de leur épargne à des organismes spécialisés plutôt que de désintermédier l’investissement (seulement 500 millions d’euros investis directement dans le capital des entreprises solidaires).

Compte tenu du potentiel de développement de l’ESS, les montants alloués par la finance solidaire sur ces enjeux restent assez faibles même si les progressions sont constantes et significatives.

Le nombre d’emplois dans l’ESS financés par les mécanismes de la finance solidaire reste plutôt marginal compte tenu des besoins affichés (600 000 à 700 000 emplois nécessaires d’ici 2020). Au final, l’épargne solidaire ne représente que 0,16 % de l’épargne des Français… et donc une goutte d’eau dans l’océan de la finance mainstream.

Qui sont les épargnants solidaires ?

Les chiffres de la finance solidaire sont à remettre en perspective avec les épargnants qui la constituent : les ménages et épargnants individuels, au nombre d’un million environ. Selon l’étude proposée par Finansol, l’épargnant solidaire possède plusieurs profils d’âge et de capacité d’épargne. En général, ce serait majoritairement un homme de 46 ans qui épargnerait en moyenne environ 4 300 euros et originaire d’Ile de France ou du sud-est de la France.

Plusieurs décompositions sont proposées : l’épargnant bancaire solidaire (femme, 52 ans, environ 11 300 euros investis dans des livrets, fonds ou SICAV…), l’épargnant via une entreprise solidaire (homme, 49 ans, environ 3 400 euros investis dans des parts d’entreprises), les épargnants salariés solidaires via l’épargne salariale (homme, 44 ans, environ 3 400 euros placés sur des placements solidaires de manière volontaire par l’épargnant ou obligatoire par l’entreprise).

Ainsi, les personnes morales ne sont pas recensées ici, minimisant quelque part l’impact réel de ce type d’effort d’investissement compte tenu de la capacité financière des particuliers par rapport aux investisseurs professionnels et institutionnels.

Logique d’impact

La finance solidaire se différencie pleinement du courant de la finance responsable, plus orientée sur l’exclusion des fonds d’investissement d’entreprises controversées ou de secteurs d’activité et pratiques jugés non éthiques, ainsi que sur l’intégration dans les portefeuilles d’investissement d’entreprises ayant de bonnes pratiques environnementales, sociales et de gouvernance mais ne portant pas systématiquement de projets solidaires et générant un impact social/environnemental.

Ce qui différencie clairement les deux concepts, c’est la mesure de la performance extra-financière. Un investissement solidaire permet à l’épargnant de tracer les montants investis et donc de pouvoir directement mesurer la valeur éthique de son investissement. L’enjeu de l’impact est de pouvoir le mesurer afin que l’investisseur puisse réellement estimer si son choix d’investissement est en corrélation avec ses attentes éthiques.

Comment mesurer l’impact ?

L’intérêt de l’investisseur solidaire est de sacrifier tout ou partie de la performance financière de son placement pour rechercher un intérêt social et éthique. La rentabilité est donc double. Mais l’épargnant solidaire cherche-t-il réellement à mesurer l’impact de son placement ?

L’épargnant individuel possède généralement une culture financière et économique moins développée qu’un investisseur institutionnel. Il s’en remet la plupart du temps au label certifiant les produits responsables ou solidaires pour faire son choix, engageant sa confiance dans les méthodologies utilisées par ces auditeurs et organismes de certification.

Mais une fois l’acte de placement effectué dans un produit de partage ou solidaire, l’épargnant individuel ne recherche pas systématiquement la quantification de l’impact de l’investissement (comment est utilisé cet argent, sur quels types de projets est-il alloué par les entreprises solidaires financées, quels sont les impacts sociaux et environnementaux de ces projets ?).

La finance solidaire est surtout un mouvement proposé aux ménages et épargnants individuels via le système bancaire classique et ne recensent pas l’ensemble des investissements réalisés par les fonds d’impact investing type business angels ou capital-investissement, ou par les projets financés par les plateformes participatives de crowdfunding qui engagent que l’impact généré par l’investissement soit bien mesuré dans le temps (lien objectifs-résultats sociaux).

Un problème de référencement pour la finance solidaire… et donc de visibilité ?

L’acte de financement solidaire reste très simple à appréhender pour l’ensemble des épargnants mais complexe à matérialiser et formaliser compte tenu du manque d’identification et d’éducation. La plupart des organismes bancaires ne mettent pas en avant de manière prioritaire ce type de financement malgré une communication parfois plus visible que les produits sur les étagères.

Le travail effectué par les organismes de promotion et de labellisation permet aux épargnants cette identification, mais comment connaître ces organismes ? Qui informe ? La démarche éthique a toujours été formalisée par une action individuelle et une capacité à agir en conscience (Aristote, Morin, Ricœur…), mais dans la masse d’informations économiques et financières proposées, l’essentiel se dilue et devient parfois invisible.

L’autre inconvénient est la complexité des produits proposés : la grande majorité des épargnants individuels ne maîtrisent pas tous les enjeux des « méthodologies de gestion 90/10 » (90 % des actifs du fond placé de manière conventionnelle et/ou avec une gestion responsable, 10 % dans des entreprises et projets solidaires).

Trop d’appellations et d’enjeux (finance solidaire, 90/10, fonds de partage, fond d’impact, microcrédit, crowdfunding, finance responsable, ISR…) créent au final une véritable jungle lexicale qui ne permet pas une identification propre et claire pour la majorité des investisseurs.

Comment pousser les investisseurs à adhérer ?

L’acte initial viendra de l’individu et de sa capacité à casser la culture hégémonique au sens de Gramsci. L’Homme doit sortir en conscience de l’individualisme et du matérialisme vulgaire pour revenir à plus d’entraide et de collectif comme le présentait Aristote, Pierre Kropotkine ou Elinor Ostrom.

Il est aisé de recommander le changement des institutions et du business model des banques et institutions financières (diriger les capitaux vers les projets vertueux au service de l’Homme), encore faut-il que la conviction existe. En cela, le développement du concept de finance solidaire comme celui de la finance responsable permet d’armer le changement dans le temps et de promouvoir les projets innovants et durables. En cela, le rôle d’éducation et d’information est rempli.

Mais y-a-t-il un réel désir de changement ? Au-delà des discours et à l’ère du story-telling, l’envie est-elle réellement formalisée ? Pour donner plus de visibilité, il faudra inexorablement engager une volonté « macro » et politique qui donne une vision claire et identifiée et concentre ses forces sur ce type de développement permettant un ré-encastrement de la finance au sein de l’économie et donc des relations sociales comme le proposait Polanyi.

Christophe Revelli, Professeur de finance responsable et conseiller scientifique du MSc Finance de Kedge Business School, Kedge Business School

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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