Le Brexit vu de la rue, au Québec et en Écosse

4 juillet 2016 14:06 Mis à jour: 23 décembre 2019 20:16

« Sécession » est un mot qui serpente, menace et attire ceux pour qui la souveraineté nationale est le seul chemin pour l’auto-détermination. Une petite majorité de Britanniques a préféré cette option à celle d’une Union européenne qu’ils voyaient comme envahissante et dépassant les nations. Une majorité d’Anglais et de Gallois, deux des quatre pays constituant le Royaume-Uni, ont voté en ce sens. Les deux autres, Irlande du Nord et Écosse, ne l’ont pas fait.

L’Écosse, qui a eu en 2014 son propre référendum pour décider de devenir indépendante du Royaume-Uni, est profondément affectée par le vote du Brexit, un sentiment que semblent comprendre les habitants de la province francophone du Canada – le Québec – qui a elle-même tenu deux référendums pour son indépendance. Et, si en 1980 les Québécois avaient largement dit « oui » au maintien au sein du Canada, les résultats du second référendum en 1995 n’ont permis que de justesse d’éviter une sécession : 0,7% de votes en plus pour le « oui » et un résultat encore aujourd’hui controversé du fait du manque de précision de la question posée au peuple québécois et des 2% de votes invalidés. Les Québécois, qui jugent aujourd’hui le Brexit à distance, ont le cœur qui penche du côté de l’Union, celle-ci promettant de pouvoir être État souverain tout en bénéficiant de la sécurité d’une grande union politique et économique.

Fatigue référendaire

Jean-Jacques Hubert, habitant de Montréal, résume le sentiment de nombreux Québécois : « La Grande-Bretagne est une île, et elle n’est plus la Grande-Bretagne d’il y a 200 ans… je ne vois pas quel avantage ils peuvent avoir à se séparer de l’Union européenne, pas du tout ».

Les Écossais ont la même impression générale, inquiets de voir la sortie de l’Union affecter l’économie du pays, leur fermer les opportunités permises par la présence au sein de l’Union et empêcher leurs enfants de trouver un travail sur le continent.

Que les Anglais aient pu déraciner leur pays de l’Union européenne en pesant plus que les votes écossais et nord-irlandais, avec un peu d’aide des gallois – ne stimule cependant pas de nouvelles velléités d’indépendance au Québec : les Québécois n’ont plus le goût de flirter avec l’idée de sécession et le mot « souveraineté » déclenche des soupirs à Montréal. Après deux référendums, si le rêve n’est pas mort pour tous, il est devenu irréaliste pour la plupart. Lorsqu’on demande dans la rue si l’exemple du Brexit pourrait provoquer un nouveau référendum, la plupart répondent comme Georges Maukovic de Montréal : « Je n’y crois plus et la plupart des gens n’y croient plus non plus d’ailleurs ». « Pour certains peut-être, mais pas pour les Québécois », ajoute Guy Lalumière.

Après des décennies de débat sur l’indépendance, les Québécois se concentrent aujourd’hui sur leur qualité de vie, l’emploi et la capacité du gouvernement fédéral à répondre à leurs préoccupations. Les partis politiques indépendantistes en paient aujourd’hui le prix avec une érosion continue de leur part de voix dans les élections provinciales, et plus encore lorsque leur discours se durcit. Au point qu’ils ont dû recentrer leur message sur l’identité culturelle québécoise et les programmes sociaux spécifiques à la province. La même chose n’est pas vraie en Écosse où le Brexit a mis la population – et la classe politique – en ébullition.

Un référendum après l’autre

Des quatre pays constituant le Royaume-Uni, l’Écosse est celui qui a le plus fortement marqué sa volonté de rester dans l’Union européenne. Le camp du « leave » a mené de 7 points en Angleterre et de 5 points au Pays de Galles, alors que le « remain » a gagné par 12 points en Irlande du Nord et un impressionnant 24 points en Écosse. C’est bien plus que les 10 points par lesquels les Écossais ont choisi de rester dans le Royaume-Uni lors du référendum de 2014. Être membre de l’Union européenne semble donc bien plus important pour les Écossais que de rester dans le Royaume-Uni. Nicola Sturgeon, Première ministre écossaise et dirigeante du parti national écossais, en est consciente et s’active déjà pour obtenir un accord avec Bruxelles qui permettrait un maintien de l’Écosse dans l’Union ; mais face à l’opposition de l’Espagne et de la France, il lui est aujourd’hui impossible d’obtenir l’unanimité requise des États membres. D’après une enquête d’opinion du Sunday Post écossais, 60% des Écossais sont aujourd’hui favorables à l’indépendance de leur pays, conséquence directe du Brexit. Madame Sturgeon mènerait déjà une préparation active du référendum permettant d’acter celle-ci.

Dépression référendaire

Car à Édimbourg, la perte de l’Europe n’est pas encore digérée et les habitants tentent de mesurer les conséquences de cette nouvelle réalité. Même Alison Hardy, qui voulait voter pour le « leave » – mais a finalement été convaincue par ses fils, inquiets de leur futur professionnel, de choisir le « remain » – est déçue : « Nous sommes tous comme des poulets sans tête qui continuent de courir. Personne ne sait ce que le futur va nous apporter ».

Son mari, John Hardy, à la retraite des télécom, voit un futur sombre : « Je pense que cela va être un désastre. Nous serons en sous-performance économique pour les cinq à dix années à venir. Vu mon âge, c’est l’essentiel du temps qu’il me reste à vivre. »

L’espoir restant semble ne tenir qu’à la possibilité de réformes politiques au Royaume-Uni pour gommer les importantes différences régionales de niveau de vie, ou dans l’Union elle-même, que ses lenteurs technocrates ont mis face au goût des hymnes nationaux. « Il faut absolument des réformes », dit June Thorburn. « Ce qui vient de se produire pourrait être la sonnette d’alarme vis-à-vis de l’Union, pour qu’elle mène les réformes nécessaires. Mais comme nous n’en faisons plus partie, nous n’en bénéficierons pas. »

Le camp du « remain » a argumenté sur le fait qu’être État membre de l’Union était positif pour l’économie insulaire. Mais une majorité de votants ne l’ont pas cru. À Montréal, un autre observateur tente de l’expliquer : « Ils ne se sentent pas représentés par le gouvernement, là est le problème fondamental » croit Johannes Van Der Horst, un habitant de Toronto de passage dans la capitale québecoise. « Les gens ressentent qu’ils souffrent, que ce soit parce qu’on les néglige ou parce que le gouvernement n’est pas assez fort, et cela est utilisé par les mouvements indépendantistes ».

Indépendantisme et nationalisme – sont-ils une démocratie en action comme le pensent les Écossais de l’euro-sceptisme et les démocrates américains de la vision politique de Donald Trump, ou bien des concepts passéistes et creux qu’on remplit avec la peur des électeurs face à un monde en évolution ? Ceux qui ont fait choisir le « leave » au Royaume-Uni ont manifesté l’inquiétude de voir leur gouvernement transférer trop de pouvoir à une autorité distante. La réponse mécanique a été de réduire la distance entre le lieu de pouvoir et le peuple, quitte à réduire aussi son territoire et sa puissance économique.

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