Ces médias sociaux qui servent l’offensive de la Chine contre les Ouïghours

Par Charlotte Allen
14 juillet 2021 05:03 Mis à jour: 14 juillet 2021 05:05

Le régime chinois empêche ses citoyens d’accéder à presque toutes les plateformes provenant des médias sociaux occidentaux, tels que Facebook, Google, Twitter, YouTube, Instagram et autres. À cela s’ajoutent les sources d’information internationales classiques dont la BBC, le New York Times et le Wall Street Journal. Le « Grand Pare-feu » de la Chine, comme on l’appelle, est considéré comme le système de censure en ligne le plus sophistiqué au monde, sur le plan technologique.

Pourtant, même s’il censure à l’intérieur de ses propres frontières, le régime chinois n’a aucun scrupule à utiliser les médias sociaux occidentaux, en particulier YouTube et Twitter, pour mener une guerre de propagande ailleurs, notamment sur la question du traitement des 13 millions de musulmans turcophones ouïghours qui vivent dans le Xinjiang, à l’extrême ouest de la Chine. Il s’agit d’une guerre à deux volets. D’une part, la Chine a diffusé une abondance de vidéos de propagande sur YouTube et Twitter, dépeignant les Ouïghours comme des terroristes extrémistes alors que le régime chinois feint d’être une force bienveillante ayant remplacé la pauvreté par la prospérité pour la majorité des habitants du Xinjiang. D’autre part, plusieurs vidéos ont été supprimées de YouTube, alors que des défenseurs des droits de l’homme exposaient la torture et le travail forcé endurés par plusieurs membres de la minorité ethnique et religieuse.

Plus d’un million d’Ouïghours – soit près d’un dixième de la population ouïghoure totale du Xinjiang – seraient confinés dans un réseau de camps de détention semblables à des prisons, où des centaines de milliers d’entre eux ont été contraints de travailler dans l’énorme industrie cotonnière du Xinjiang (la région produit 20 % du coton brut mondial). D’autres travaillent dans les centaines d’usines nouvellement construites à l’intérieur ou à proximité des camps, dont certaines, dit-on, fournissent de grands producteurs tels que Nike, Coca-Cola et Calvin Klein (tous trois nient que leurs chaînes d’approvisionnement utilisent le travail des esclaves).

À l’exception d’une visite occasionnelle du village Potemkine, les journalistes se sont vu interdire l’accès aux sites d’internement de masse, que la Chine appelle par euphémisme « centres de formation professionnelle et d’éducation », mais suffisamment d’images et de photos prises par des drones ont été envoyées hors de Chine, et celles-ci corroborent les comptes-rendus des survivants et semblent donner l’heure juste sur les conditions horribles qui y règnent.

Des Ouïghours du Mouvement d’éveil national du Turkménistan oriental (ETNAM) organisent un rassemblement devant le ministère des Affaires étrangères américain pour demander au président Joe Biden d’accroître la pression sur le Parti communiste chinois, à Washington, le 5 février 2021. (Alex Edelman/AFP via Getty Images)

Les camps de détention de masse ont été une réponse aux affrontements ethniques sanglants dans les rues d’Urumqi, la capitale du Xinjiang, en 2009, ainsi qu’aux attaques contre des piétons et des voyageurs à Pékin en 2013 et à Kunming, dans le sud de la Chine, en 2014. Le régime chinois a imputé ces incidents à des terroristes islamiques et, en 2016, a commencé à construire les camps destinés à héberger les Ouïghours et d’autres musulmans turcs soupçonnés d’« indigne de confiance » et d’avoir des sentiments nationalistes séparatistes. Cela peut signifier regarder du contenu religieux sur Internet, avoir un parent à l’étranger ou télécharger une application interdite.

L’objectif de ce réseau de camps en pleine expansion, ainsi que des politiques de la Chine ailleurs dans le Xinjiang, est la « déradicalisation ». Cela signifie détacher brutalement les Ouïghours de leur identité religieuse et culturelle musulmane : les faire manger du porc, raser la barbe des hommes et les soumettre à des heures de rééducation politique. Des milliers d’enfants ont été séparés de leurs parents, et les femmes ouïghoures emprisonnées subiraient des avortements et des stérilisations forcés. Elles se feraient même couper les cheveux pour les vendre à l’industrie mondiale des perruques. Dans les villes du Xinjiang, le régime chinois a détruit ou profané des dizaines de mosquées et de lieux saints islamiques qui attiraient autrefois des dizaines de milliers de pèlerins. Le gouvernement a également encouragé les Chinois han – la majorité ethnique écrasante de la Chine – à s’installer au Xinjiang et à diluer la population sur le plan démographique, au point que les han représentent aujourd’hui environ 40 % des habitants du Xinjiang.

En 2019, après la parution d’une vidéo filmée par un drone dévoilant des centaines d’hommes aux yeux bandés au Xinjiang, chargés dans un train, le crâne rasé et les mains enchaînées, les médias d’État chinois ont placé sur YouTube des documentaires vidéo peignant les Ouïghours comme ayant perpétré des milliers d’actes de terrorisme de 1990 à 2016, et gérant même des camps terroristes pour endoctriner les enfants. Ce qui sous-entendait que l’internement de masse était bien mérité.

La dernière campagne chinoise sur les médias sociaux adopte une approche différente qui minimise, voire nie, l’existence des camps de détention et du travail forcé. Le 23 juin, le New York Times et ProPublica, une organisation journalistique à but non lucratif, ont publié les résultats d’une analyse de plus de 3 000 vidéos apparues ces derniers mois sur YouTube et Twitter. Dans ces vidéos, des commerçants, des chauffeurs de taxi, des retraités, des mères et des grands-mères décrivent en ouïghour ou en chinois (avec des sous-titres en anglais) la vie heureuse et prospère qu’ils mènent actuellement au Xinjiang et dénoncent les politiciens américains et d’autres personnalités publiques qui ont critiqué les politiques répressives de la Chine. Les vidéos ont un caractère scénarisé, les intervenants utilisent souvent des phrases identiques ou presque, et ce pour des centaines de vidéos. Un vendeur de voitures d’occasion contacté par l’équipe de ProPublica a déclaré que les autorités locales chargées de la propagande avaient produit la vidéo en question, et il a orienté le journaliste vers le bureau de la propagande (qui ne les a pas rappelés).

À peu près au même moment où ces milliers de vidéos produites sur demande ont commencé à apparaître, YouTube a brusquement fermé la chaîne Atajurt Kazakh Human Rights, qui recueille et publie des témoignages vidéo de parents de détenus étant dans les camps du Xinjiang. Le propriétaire de la chaîne, l’activiste kazakh Serikzhan Bilash, publiait ces vidéos, environ 11 000 à ce jour, sans plainte de YouTube, depuis 2018. Puis, soudainement, le 15 juin, YouTube a décidé que Bilash avait « violé les directives de la communauté » contre la divulgation de données personnelles en publiant des informations d’identification, qui assureraient aux spectateurs que les proches sont de vraies personnes. Le 18 juin, YouTube a rétabli la chaîne, mais quatre jours plus tard, il a verrouillé certaines des premières vidéos, affirmant qu’elles violaient potentiellement sa « politique relative aux organisations criminelles », qui interdit les contenus faisant l’éloge d’organisations criminelles ou terroristes. Il n’existe aucune preuve directe démontrant que les actions de YouTube aient été exercée à la suite de la pression du régime chinois, mais la synchronisation, alors que le Congrès semble prêt à adopter une loi pour obliger les entreprises américaines à prouver que leurs produits n’ont pas été fabriqués dans le cadre du travail forcé – semble plus que fortuit.

Le moment choisi montre également que le régime chinois, tout en étant parfaitement disposé à censurer les médias sociaux occidentaux à l’intérieur de ses propres frontières, n’a aucune objection à tirer parti de ces mêmes médias sociaux lorsqu’ils servent ses propres objectifs.

Charlotte Allen est rédactrice en chef de Catholic Arts Today et collabore fréquemment avec le média « pour la libre pensée » Quillette. Elle est titulaire d’un doctorat en études médiévales de l’Université catholique d’Amérique.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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