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Couches, pots et pantalons fendus : comment on apprend la propreté aux enfants à travers le monde

novembre 29, 2017 8:20, Last Updated: novembre 28, 2017 21:39
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Un enfant de deux ans est-il trop jeune pour apprendre à faire ses besoins sur le pot ? Pour la plupart des petits, c’est effectivement trop tôt. En particulier pour les garçons. C’est en tous cas ce que les pédiatres américains répondraient à cette question. Aujourd’hui, seul un enfant américain sur deux peut se passer de couches à l’âge de trois ans.

Les pantalons fendus,en Chine, permettent aux enfants de faire leurs besoins librement. (Daniel Case, CC BY-SA)

Si elles lisaient cela, les grands-mères chinoises seraient effarées, et diraient probablement qu’à l’aide des « pantalons fendus », la plupart des enfants peuvent être propres dès l’âge deux ans. Ce vêtement traditionnel est en effet pourvu d’une ouverture sur la couture de l’entrejambe, qui permet aux enfants d’uriner et de déféquer à leur guise sans souiller leurs vêtements. C’est le vêtement de prédilection de tous les petits Chinois qui vivent à la campagne.

Quand il s’agit d’évoquer les différentes méthodes d’entraînement à la propreté (et bien d’autres sujets concernant l’éducation des enfants), chacun a tendance à présenter son choix comme la seule option valable. De nos jours, les parents sont confrontés à des conseils soi-disant fondés scientifiquement et présentés comme pertinents pour tous les enfants, même lorsque les différentes stratégies en question sont en conflit direct les unes avec les autres. Avec plus de 2 000 livres de conseils parentaux imprimés en anglais et pléthore de blogs sur l’éducation des enfants – il existe même une parodie du genre – on comprend aisément pourquoi beaucoup de parents se sentent perdus quant à la façon d’élever leurs enfants.

En tant qu’anthropologue, j’étudie depuis 25 ans les pratiques liées à l’éducation des enfants dans le monde. Ayant vécu avec mon mari (l’écrivain Philip Graham) dans de petits villages de la forêt tropicale d’Afrique de l’Ouest pendant de longues périodes, je suis convaincue que nous, humains, sommes une espèce résiliente, capable de prospérer dans une foule de contextes différents. La découverte de l’incroyable diversité des façons d’élever les enfants à travers le monde nous a incités à repenser et à modifier certaines des pratiques d’éducation des enfants de notre propre famille (autour du partage du lit, de l’indépendance et des tâches ménagères, par exemple).

Qu’on se le dise : il n’existe pas de modèle unique qui conviendrait à tous les parents du monde pour élever ses enfants. Pour diffuser ce message, mes collègues et moi-même avons écrit un essai intitulé « A World of Babies : Imagined Childcare Guides for Eight Societies », fondé sur nos études ethnographiques de terrain au long cours en Israël et dans les territoires palestiniens, en Chine, au Portugal, au Pérou, au Danemark, en Côte d’Ivoire, en passant par une communauté somalo-américaine de Minneapolis. En détaillant les multiples solutions apportées aux défis quotidiens auxquels sont confrontés les parents du monde entier, nous espérons montrer qu’il existe plus d’une voie pour élever un enfant adapté à la vie en société – et permettre aux parents angoissés de se détendre !

Apprendre la propreté dès la naissance ?

Alors, pourquoi les parents choisissent-ils une pratique éducative donnée plutôt qu’une autre ? Souvent, c’est pour des raisons qui ont trait à l’argent et la disponibilité des produits. Étudions le cas de l’apprentissage de la propreté.

En Côte d’Ivoire, les mères Beng commencent à « entraîner » les intestins de leurs nourrissons quelques jours après leur naissance. Elles administrent en effet des lavements aux bébés deux fois par jour, à partir du jour où le cordon ombilical desséché du nouveau-né tombe. Avec cette pratique, au bout de quelques mois seulement, l’enfant ne défèque plus du tout en journée.

Comment expliquer une telle pratique, apparemment extrême ? D’une part, les couches jetables ne sont pas disponibles dans les villages Beng – comme dans la plupart des pays du Sud. Et même si elles étaient vendues sur les marchés locaux, peu de familles pourraient se les acheter, dans des régions où l’on vit de l’agriculture de subsistance. Rappelons aussi que pour la planète, les couches jetables posent problème, étant le troisième plus grand article de consommation dans les décharges, tandis leur [production nécessite quelque 7 milliards de gallons de pétrole chaque année.

Mais la disponibilité et le coût des couches n’expliquent pas tout. La vie professionnelle et les valeurs d’une société donnée sont aussi des facteurs déterminants dans les choix des parents.

Une babysitter Beng portant un enfant. (Alma Gottlieb, CC BY-ND)

En Côte d’Ivoire (comme ailleurs en Afrique subsaharienne), les bébés Beng passent la plupart de leurs journées au dos de quelqu’un. Souvent, cette personne n’est pas la mère, puisqu’elle travaille dans les champs pour nourrir sa famille nombreuse. La société Beng (contrairement à la société chinoise traditionnelle) qualifie aussi tous les excréments (y compris ceux des bébés) de dégoûtants, et la pensée d’un bébé qui défèque sur le dos de quelqu’un produit du dégoût.

Compte tenu de l’attitude locale vis-à-vis des excréments, aucune baby-sitter ne s’occuperait d’un enfant susceptible de déféquer sur son dos quand elle le porte. Par conséquent, commencer un apprentissage de la propreté dès la naissance permet d’aider les mères à continuer de travailler aux champs. En ce sens, l’apprentissage précoce de la propreté favorise un approvisionnement alimentaire adéquat pour la famille de la mère.

Un observateur occidental pourrait frémir d’horreur à l’évocation de cette pratique, imaginant qu’il s’agit d’un traumatisme précoce pour l’enfant, qui en gardera forcément des séquelles émotionnelles. Mais, si l’on fait abstraction des ravages de la pauvreté qui peuvent mettre en péril leur santé et réduire les opportunités éducatives et économiques, ces bébés très tôt entraînés à la propreté semblent devenir des adultes aussi heureux et adaptés à la vie en société que les enfants qui portent des couches.

Le rôle du contexte culturel

Par rapport à ce qui la motive, cette pratique n’est pourtant pas si aussi exotique qu’elle y paraît de prime abord à un lecteur non-Beng. Aux États-Unis et en Europe, le travail des femmes peut également dicter le calendrier d’entraînement au pot, mais avec un démarrage plus tardif. Beaucoup de crèches n’acceptent que les enfants complètement propres. Si une mère qui travaille manque d’options pour faire garder son enfant à domicile, elle peut s’efforcer de former son tout-petit à la propreté le plus tôt possible, afin de retourner travailler à plein temps.

Cette jeune fille palestinienne s’occupe de son petit frère dans le cadre de la famille étendue ou « hamula », un mode d’éducation collectif. (Bree Akesson, CC BY-ND)

Pour les mères au foyer ou les mères qui travaillent et dont les parents vivent suffisamment près pour prendre soin de leur enfant, différents contextes peuvent présider aux décisions en matière d’apprentissage de la propreté. Dans les territoires palestiniens, par exemple, de nombreuses femmes commencent à apprendre la propreté à leur enfant dès l’âge de 14 ou 15 mois. Ce n’est possible que parce qu’elles ne travaillent pas à l’extérieur de la maison ; elles ont le temps. Une Palestinienne qui travaille commencera cet apprentissage plus tard, peut-être vers l’âge de deux ans. Comme les femmes de la famille élargie (« hamula ») s’occupent de l’enfant pendant que la mère travaille, de sorte qu’il n’y a pas de nécessité à commencer plus tôt l’apprentissage de la propreté.

Quand on prend la peine d’explorer le contexte local de la vie quotidienne des gens, certaines pratiques qui peuvent nous sembler exotiques, voire abusives – pantalons fendus, lavements infantiles – semblent soudain moins étranges. Ouvrir l’esprit de nouveaux parents inquiets à d’autres manières d’élever des enfants peut apaiser leur angoisse de « mal faire » et de nuire à l’avenir de leur enfant. En réalité, il existe de nombreuses « bonnes façons » d’élever un enfant.

Alma Gottlieb, Professor Emerita of Anthropology, African Studies, and Gender and Women’s Studies, University of Illinois at Urbana-Champaign

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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