ENTRETIEN – La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic a été promulguée le 13 juin. Cette dernière prévoit entre autres la création d’un nouveau parquet national anticriminalité organisée, un régime carcéral renforcé dans les quartiers de haute sécurité et un dossier-coffre inspiré du droit belge.
Jean-Michel Fauvergue est l’ancien chef du RAID et député entre 2017 et 2022. La lutte contre le narcotrafic est vaine sans une stratégie globale clairement définie, estime-t-il.
Epoch Times : Quel est votre avis sur la nouvelle loi sur le narcotrafic ?
Jean-Michel Fauvergue : Le contenu de cette loi est excellent – les pouvoirs des enquêteurs sont renforcés et le volet répressif répond aux attentes que la situation actuelle exige.
Cela étant, depuis des années, les projets de loi s’enchaînent sans qu’une stratégie globale de long terme de lutte contre le narcotrafic soit développée. Tous les bons résultats dont vous entendez parler dans les médias sont le fruit du travail des policiers, des douaniers et des gendarmes, et ne sont pas la conséquence d’une stratégie mûrement réfléchie. Nous ne prenons pas le mal à la racine.
Il faut comprendre que nous sommes pris en étau entre d’un côté, ce que j’appelle la mâchoire du bas – celle des dealers du quotidien qui défient la République avec des actes de violence -, puis la mâchoire du haut – celle des cartels internationaux qui nous inondent de produits illicites mais aussi de cet argent sale (des centaines de milliards de dollars par an) qui corrompt nos fonctionnaires et nos systèmes économiques.
Le fléau du narcotrafic touche de plus en plus la jeunesse. Comment l’État peut-il briser l’emprise du narcotrafic sur les jeunes ? On sait que les narcotrafiquants jouent sur l’appât du gain pour les attirer.
Encore une fois, il ne faut pas se contenter de lutter contre l’emprise du trafic sur telle ou telle partie de la société. Ne séquençons pas les choses. Développons une stratégie globale qui vise l’ensemble des individus concernés de près ou de loin par le narcotrafic.
Je prône pour ma part une stratégie de combat menée notamment contre les trafiquants mais aussi les consommateurs qui doivent être traqués et sévèrement sanctionnés.
La lutte contre le narcotrafic doit être aussi pensée comme une politique de sécurité publique et pas uniquement comme une politique de santé publique. Les Français aspirent à la tranquillité et n’ont pas à être victimes des guerres des territoires des dealers alimentées indirectement par les consommateurs.
Pour libérer la voie publique, nous devons amplifier le récent mouvement d’« ubérisation » du trafic, le renvoyer derrière internet. Le nombre de délits et d’agressions de voie publique diminuera automatiquement.
Une fois cette première étape passée, il faudra développer les cyber-unités anti-stupéfiants et casser les réseaux les uns après les autres.
Ensuite, pour briser la mâchoire du haut, je pense que nous devons, sans tabou, commencer à ouvrir un débat sur la légalisation de la drogue, en regardant ce qui se fait ailleurs, quelles ont été les fautes commises et quels en sont les résultats.
Mais si on parle de légalisation, ne soyons pas naïfs et ayons présent à l’esprit qu’il faut se servir de cette évolution comme d’une arme efficace pour réduire l’emprise des cartels en les privant de cette énorme manne financière illicite.
Derrière le trafic, se cache une autre problématique. Celle de la hausse de la consommation de drogue. Le nombre d’usagers de cocaïne a presque doublé, passant de 600.000 en 2022 à 1,1 million en 2023, selon l’association Fédération addictions. Comment expliquez-vous cette augmentation de la consommation de drogue ? Est-ce révélateur d’une société de plus en plus malade sur le plan psychologique ?
Cette augmentation est révélatrice de notre échec dans les politiques ou plutôt les pseudo-politiques des gouvernements successifs des dernières décennies. Je le répète, nous payons cash l’absence de stratégie de lutte contre les trafics et si nous continuons ainsi, il n’y a aucune raison que les choses changent, d’autant que des dangers nouveaux nous guettent (trafic de contrefaçon et de contrebande de cigarettes en particulier).
À la lumière de ces évidences, je crois que l’augmentation de la consommation de la drogue n’a pas fini sa progression, si nous ne changeons pas notre manière de voir les choses.
L’urgence n’est pas de s’attaquer à des produits usités par un quart de notre population, toutes strates et opinion politiques confondues, mais de s’attaquer aux dealers, aux bandits et à ceux qui dirigent les réseaux. C’est cela la première priorité.
La deuxième priorité doit être de s’attaquer à l’argent sale de la drogue. Chaque année, au niveau national, il y a entre 4 et 6 milliards d’euros récupérés par les trafiquants.
Et puis, il y a le fléau de la corruption. Récemment, à Marseille, deux commissaires de l’OFAST ont été placés en garde à vue dans le cadre d’une affaire de trafic de cocaïne et de corruption active. Si nous ne voulons pas basculer dans un narco-État, nous devons très vite réagir.
Ce samedi avait lieu la 42e édition de la Fête de la musique. De nombreux actes de violence ont été recensés. Un total de 371 personnes ont été interpellées contre 326 en 2024. Des policiers ont été blessés et des personnes ont été poignardées, mais aussi piquées. Que traduit, pour vous, cette violence ?
Cette violence n’est pas nouvelle et n’est pas liée à la Fête de la musique. On la voit partout, pendant chaque événement, quel qu’il soit. Elle est consubstantielle désormais à ces événements festifs.
Nous avons affaire à des individus qui viennent à ces manifestations dans le seul but de créer des troubles. La problématique est la gestion des flux de ces individus.
Je pense que dans un avenir plus ou moins proche, nous serons contraints, lors de ces manifestations, de penser à un mécanisme légal instaurant (peut-être à la main des préfets) un état d’exception limité dans le temps et dans l’espace permettant de mettre en cause collectivement les protagonistes se trouvant sur les lieux d’un délit et les condamner tous pareillement.
Il faudra aussi mieux protéger juridiquement durant ce laps de temps les membres des forces de l’ordre agissant à cette occasion dans le cadre de leurs missions et sous les ordres de leurs chefs.
Ainsi, les magistrats pourraient prioritairement mettre en cause les délinquants et non pas les policiers qui utilisent la violence licite en riposte.
Pensez-vous que des peines plus dissuasives doivent être mises en place ?
Oui, tout à fait. Quand vous regardez les peines prononcées à l’encontre des individus auteurs de violence après le match PSG-Milan, ce n’est pas sérieux, l’opinion publique ne s’y retrouve pas . Certains magistrats affirment dans les médias qu’ils sont trop souvent stigmatisés, mais s’ils veulent que cela s’arrête, ils doivent simplement se montrer plus fermes.
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