Culte du numérique : le conservatisme inquiétant de l’Éducation nationale

Par Aude Denizot
9 juin 2025 14:07 Mis à jour: 9 juin 2025 15:14

TRIBUNE – Alors que les collectifs de parents contre le numérique se multiplient, alors qu’un colloque à la Sorbonne est venu dénoncer les ravages de cette pédagogie moderne, alors que tous les scientifiques alertent sur les dangers de cet outil, l’Éducation nationale continue de vénérer religieusement son dieu : le dogme du numérique est solidement enraciné dans cette institution, forte de sa tentaculaire Direction du numérique et de ses innombrables Délégations régionales académiques au numérique éducatif, les Drane … Ce sont des milliers de personnes qui travaillent donc aujourd’hui pour imposer le numérique à ceux qui n’en veulent pas.

Parfois, ce sont les professeurs eux-mêmes qui protestent : dans un lycée très réputé de la région parisienne, les enseignants ont voté à l’unanimité contre l’installation de tableaux numériques. Qu’à cela ne tienne, on équipera quand même les salles de classe de l’établissement où tout le monde a froid l’hiver.

Dans tel collège d’un département du sud de la France, les parents réclament depuis des années des casiers pour leurs enfants mais en vain, car le coût de l’installation ne peut être supporté. Des tablettes seront en revanche généreusement distribuées.

En primaire, des conseillers pédagogiques de circonscriptions se plaignent de n’avoir aucun budget pour l’achat de manuels de spécimens (ils ne reçoivent que ceux des grands éditeurs) mais peuvent distribuer du matériel informatique (fourni gratuitement par les entreprises à l’éducation nationale) avec largesse. Ce sont de bons investissements en tant que produits d’appel réclamant maintenance et remises à jour. Sans compter les primes au numérique, accordées par l’institution aux projets « innovants » gourmands en technologie, mais refusées aux projets plus centrés sur les fondamentaux.

Le culte du numérique est donc prioritaire. Et ce n’est pas le navrant rapport de la Cour des comptes qui aidera à faire changer les choses, au contraire ! Le mot numérique est utilisé 77 fois et ce n’est pas pour le critiquer. On y apprend que ce sont 115 millions d’euros qui ont été dépensés pour équiper les écoles, sans compter les 200 millions d’euros mobilisés dans le cadre de France Relance.

Ce ne sont pas ces chiffres effrayants qui inquiète la Cour des comptes, mais l’absence de « vision consolidée de l’état de développement et d’utilisation des supports numériques dans l’enseignement primaire ». Certes, la Cour des comptes indique que cet usage du numérique devra être raisonné, tout comme l’Éducation nationale précise que le numérique doit désormais être limité à des usages pédagogiques.

Et l’on touche là le fond du problème : l’Éducation nationale, comme la Cour des comptes et beaucoup d’enseignants croient encore qu’il existe un intérêt pédagogique au numérique, que ce dernier permet un apprentissage individualisé et qu’il aide l’enfant à mieux progresser.

Cette croyance n’est fondée sur une aucune étude scientifique sérieuse. Elle n’est que le fruit d’un biais cognitif bien connu qu’on appelle le biais d’automatisation : l’homme fait davantage confiance à la décision prise par la machine qu’au raisonnement de l’être humain. C’est ce biais qui est à l’origine du terrible crash du vol Paris-Rio en 2009. C’est aussi ce biais qui confie l’éducation des enfants au numérique, avec les résultats catastrophiques que l’on sait.

Les logiciels éducatifs ont commencé à être déployés dans les années 2000, avec, parmi d’autres, le célèbre Adibou et ses déclinaisons Adibouchou pour les petits, et Adi pour les grands. Est-il surprenant que cette génération biberonnée au numérique éducatif soit justement celle qui, aujourd’hui, peine à faire un calcul simple et à écrire une phrase qui ait en sens ? Et croit-on sérieusement qu’une intelligence artificielle, qui ne rougit pas en assenant que l’auteur du Malade imaginaire est Jean de La Fontaine, fera mieux qu’Adibou ?

Mais le dogme est plus puissant que la réalité. Remettre en cause l’utilité du numérique, ce vieux machin, est encore impensable, sans doute parce que de juteux contrats sont passés avec les fournisseurs de machines et de logiciels.

Combien de temps faudra-t-il pour que l’Éducation nationale sorte de sa torpeur et de son conservatisme, pour enfin se moderniser en abandonnant ce qui ne marche pas ? Il faudrait, pour cela, que l’État souhaite réellement instruire les enfants plutôt que de satisfaire les appétits dévorants des industries du numérique.

Aude Denizot est professeure agrégée en droit privé à l’Université du Mans, auteure de Pourquoi nos étudiants ne savent-ils plus écrire (Enrick B, 2022) et secrétaire du GRIP 

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