Comment la culture du millet traditionnel pourrait aider les paysans en Inde à faire face aux aléas climatiques

Par Laura Verdelli, Maître de conférences en Aménagement de l'espace et Urbanisme, Université de Tours et Bertrand Sajaloli, maître de conférences, département de géographie, Université d’Orléans
29 novembre 2022 18:15 Mis à jour: 29 novembre 2022 18:16

Avec le changement climatique, la culture du riz inondée en Inde est aujourd’hui doublement menacée par l’ampleur des épisodes de sécheresses et, a contrario, par la violence des précipitations.

Par exemple, fin juin 2022, dans l’Assam, État du nord-est de l’Inde, les inondations issues de pluies sept fois plus importantes que la normale saisonnière ont été si meurtrières qu’elles ont jeté des centaines de milliers d’habitants sur les routes de l’exil et emporté des milliers d’hectares de rizières et de grenier. De même, de mars à mai 2022, la canicule a été si intense (près de 50° à l’ombre le vendredi 13 mai à l’ouest du Tamil Nadu) qu’elle a affecté la production de blé, décimé le bétail, asséché rivières et réserves d’eau, et eu de graves conséquences en termes de santé humaine.

Le programme de recherche PATAMIL, « Équité alimentaire et projets alimentaires de territoire, région Centre–TAMIL Nadu, regards croisés », lancé en janvier 2022, émet l’hypothèse que les cultures traditionnelles, moins sensibles aux aléas climatiques et nutritivement riches, sont plus adaptées au changement climatique contemporain. Supportant mieux les fortes chaleurs et les déficits en eau, elles améliorent également le régime alimentaire des petits producteurs qui n’ont pas les moyens de consommer leur propre riz. Les millets, notamment la variété Raghi, particulièrement sobre et résistante, contribuent dès lors à la sécurité alimentaire des paysans indiens.

Un épi de petit millet, septembre 2022. B. Sajaloli, Fourni par l’auteur

Abordant ainsi la question de l’adaptation au changement climatique, la recherche met à disposition des travaux scientifiques (en lien avec l’expertise des associations présentes sur les territoires) qui incitent les agriculteurs à se retourner vers des cultures moins gourmandes en eau et en produits phytosanitaires afin de nourrir une population croissante.

Le projet suit et analyse les impacts des activités d’ONG partenaires du projet comme la Dhan Foundation. Créée en 1997, la foundation est une organisation professionnelle du développement qui œuvre pour la réduction de la pauvreté, l’équité, la sensibilisation écologique. Elle accompagne depuis une dizaine d’années, les petits agriculteurs engagés dans la culture du millet.

Dans l’État du Tamil Nadu, les terrains choisis se situent dans le territoire de Pondichéry, à Maduraï et dans les Jawadhu Hills, situées sur une extension des Ghats orientaux qui, très vallonnées, bénéficient d’un climat plus frais et sont pionnières dans la réintroduction du millet (figure 2).

Sites investis par le programme PATAMIL. Fourni par l’auteur

Si, jusqu’à l’Indépendance indienne (1947), le petit millet était la culture principale, la Révolution verte a permis une formidable augmentation des récoltes céréalières par l’introduction de variété de riz inondé (paddy). La culture des millets est alors devenue marginale, confinée dans les parcelles impropres à la culture du riz et pratiquée par des castes défavorisées : depuis 50 ans, 42 % de la surface en millet a été remplacée) par d’autres cultures céréalières (riz, blé et maïs) alors que l’instauration d’un programmation de redistribution publique (Public Distribution System, PDS) par l’État indien a rendu le riz garant de la sécurité alimentaire.

Ainsi, de nombreuses recettes traditionnelles ayant comme ingrédient principal le millet, jadis à la base de l’alimentation quotidienne, sont aujourd’hui oubliées : il s’agit dès lors que la réorientation des cultures accompagne la réintroduction du goût pour les millets sur les tables ainsi que dans les chaînes de distribution et de restauration. L’ambition est donc de remettre au goût du jour, via la capitalisation du patrimoine culinaire historique, des mets tombés en désuétude auprès des classes moyennes.

Recettes à base de raghi.

Faire évoluer les pratiques

La question de l’adaptation au changement climatique passe donc par l’évolution des pratiques et des goûts alimentaires. Le programme de recherche se situe ainsi à la convergence entre les sciences agronomiques, les sciences humaines et la promotion de la gastronomie traditionnelle.

Par leurs qualités nutritives, leur résistance aux variations climatiques, la sobriété de leurs besoins en eau et engrais, et leur faible demande en travail manuel, les millets répondent aux enjeux posés par le changement climatique à tel point qu’ils attirent maintenant l’attention du gouvernement central, notamment en ce qui concerne les solutions aux problèmes de malnutrition.

Ce regain d’intérêt soudain doit toutefois tirer les leçons de la Révolution verte, notamment en veillant à ne pas remplacer la monoculture du riz pas la monoculture du millet. Se pose donc la question de la conservation des différentes espèces de petit millet, entre autres par la valorisation des cultures et des savoirs indigènes, mais aussi par le développement de politiques différenciées adaptées à la variété de situations locales.


Le programme de recherche PATAMIL « Équité alimentaire et projets alimentaires de territoire, région Centre–TAMIL Nadu, regards croisés » (financé par la région Centre–Val de Loire, 2022-2025) aborde la question de l’adaptation au changement climatique par le biais de la justice et de l’équité alimentaires.

Laura Verdelli, Maître de conférences en Aménagement de l’espace et Urbanisme, Université de Tours et Bertrand Sajaloli, maître de conférences, département de géographie, Université d’Orléans

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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