Mikaël Cherel, ancien équipier et ami, raconte à l’AFP l’évolution du coureur Romain Bardet, « le champion français de juillet » qui, après avoir été longtemps « enfermé » dans le corset du classement général, a fini par « retrouver la fougue » de ses débuts.
QUESTION: Que vous inspire sa décision d’arrêter ?
Mikaël Cherel: « Je ne suis pas surpris. Je pensais même qu’il allait arrêter avant. Romain est un perfectionniste. Il avait juste envie de bien finir, de ne pas faire l’année de trop. »
Quelle trace va-t-il laisser ?
« C’est la figure emblématique d’une décennie avec Thibaut Pinot. A eux deux, ils auront marqué leur génération. Romain a titillé Chris Froome en 2016-2017 sur le Tour de France. C’était le champion français de juillet. Un sacré palmarès, mais plus encore une attitude. La tête pensante du peloton. Quelqu’un d’avant-gardiste sur ce qu’on appelait les gains marginaux à l’époque et qui ne le sont plus du tout aujourd’hui, parce que c’est devenu la normalité. »
Comment cela s’exprimait-il ?
« Il optimisait ses résultats en suivant l’équipe Sky. Il savait se l’infliger car il avait compris que c’était nécessaire pour atteindre ses objectifs. C’était une façon aussi pour lui de porter ses responsabilités. Il était payé pour faire de grands résultats. Comment avoir le meilleur résultat ? C’était d’engager une bataille d’usure et de s’accrocher. Il était tellement résistant et endurant, avec des facultés de récupération au top. Il savait qu’en troisième semaine, il gardait son niveau. Mais je pense qu’il a longtemps couru contre nature. »
Pourquoi ?
« Chez nous, à AG2R, la consigne de Vincent (Lavenu, manager à l’époque, Ndlr) était qu’il se batte pour faire la meilleure place possible chaque jour et au classement général final. Il n’avait aucune échappatoire. Il ne pouvait pas se relever pour viser une étape. Il était un peu enfermé. Après la période du Covid en 2020, lorsque le niveau général s’est densifié, il a changé de conception. Il est redevenu le Romain qu’il était avant de passer pro, un attaquant. Il a retrouvé cette fougue. »
Il a été plus heureux ?
« C’est un mélange de sentiments. Il était aussi frustré de voir que ses meilleures valeurs de puissance ne le mettaient plus à la troisième ou quatrième place mais plutôt à la septième, huitième ou neuvième. C’était difficile à accepter. Mais cela lui a permis aussi de courir comme il aimait. »
Son image aussi au départ était celle d’un coureur un peu austère ?
« C’est quelqu’un d’extrêmement pragmatique. Pour vulgariser, Thibault Pinot était l’idole du milieu populaire, des socios, des supporters, et Romain des CSP+. On a passé beaucoup de temps à rire ensemble aussi, mais c’est vrai que c’est plutôt quelqu’un qui lit. C’est le premier mec que j’ai croisé qui lisait Le Monde Diplomatique. »
Vous êtes associé à l’un de ses plus beaux chapitres, lorsque vous attaquez ensemble sous la pluie dans la descente de Domancy pour propulser Bardet vers sa première victoire d’étape sur le Tour de France en 2016 à Saint-Gervais…
« C’était juste exceptionnel de vivre une telle émotion avec un pote, un membre de sa famille. De la complicité pure. Romain avait une confiance comme peut-être même ma femme n’a pas en moi. Il me disait: ‘Tu es mes yeux’. Dans les Saisies, il commence à pleuvoir, une pluie d’orage, je vois que les gars ne tiennent pas sur leur vélo. Lorsqu’on arrive en bas à Megève, je dis à Romain: il faut qu’on fasse la descente, parce que tu peux gagner. Il me dit: ‘Mika, si tu considères que c’est ça qu’il faut faire, on y va’. On remonte le peloton et on passe le train BMC avec Richie Porte et Amaël Moinard. Je suis proche d’Amaël, il me regarde et là je le vois dire: ‘putain, ils vont faire la descente’. »
L’audace de cette attaque révèle-t-elle déjà le coureur qu’il était vraiment ?
« Romain avait ça en lui. Sur les stages, on faisait les descentes à fond. C’est un joueur qui s’est canalisé. Sur le coup on n’a même pas pensé que c’était dangereux. On voulait juste faire le truc à fond. C’était un jeu. Et au final, c’est une des fois où je me suis le plus amusé sur un vélo. Derrière sur les critériums d’août, tout le monde me disait: ‘super Mika t’as fait un Tour de fou’. Sauf que c’était mon plus mauvais. Mais les gens n’avaient retenu que cette descente. »
PROPOS recueillis par Jacques KLOPP.
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