Diplomatie de la famine : comment les pénuries alimentaires pourraient changer la face du monde

Par La Rédaction
24 avril 2022 17:42 Mis à jour: 31 août 2022 23:12

Correctif: une erreur avait été faite, en fin d’article, sur les spécificités de la production de blé français, inversant les proportions de blé dur et blé tendre. Elle est maintenant corrigée.

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Il y a 90 ans, Staline menait un génocide par la faim en Ukraine, accaparant l’ensemble des récoltes de blé et provoquant de manière volontaire la mort de près de 4 millions d’Ukrainiens. Ce fut appelé l’Holodomor.

La faim est aujourd’hui encore une arme de destruction massive, mobilisée à plein dans la guerre en Ukraine. Pour obtenir la reddition des troupes ukrainiennes pendant le siège de Marioupol bien sûr, mais plus largement sur tout le territoire ukrainien : de multiples témoignages transmis à la Commission européenne indiquent que les soldats russes ont reçu l’ordre de détruire les appareils agricoles et de poser des mines anti-personnel dans les champs, rendant impossibles la mise en semis de l’année. « La seule explication possible est qu’ils veulent créer une famine comme moyen d’agression » analyse le Commissaire européen à l’agriculture, Janusz Wojciechowski.

Le maïs et le tournesol, traditionnellement plantés en avril dans ces « terres noires » ukrainiennes, qui sont parmi les plus fertiles du monde, ne le seront donc pas cette année. Déjà une panique par anticipation fait des vagues dans les supermarchés français, où des clients ruent sur les stocks d’huile de tournesol, vidant les rayons comme ils l’avaient fait au début de la crise Covid-19 en 2020.

La situation est pourtant autrement inquiétante ailleurs : le ministre de l’agriculture ukrainien a imploré l’Union européenne d’envoyer des graines de tomates, de choux, de betteraves, de concombres, d’oignons et de carottes afin de nourrir la population du pays. Sur le pourtour méditerranéen et jusqu’à la corne de l’Afrique, frappée de sécheresse pour la quatrième année consécutive et hautement dépendante des importations, le pire semble proche. Près de la moitié de la population somalienne est menacée par la faim, et la situation n’est pas meilleure au Kenya et en Éthiopie. Or, non seulement la production agricole ukrainienne est à l’arrêt, mais les ports de la Mer Noire étant bloqués, aucune exportation de la production 2021 n’est plus possible. Des pays comme l’Égypte ou l’Iran, lourdement dépendants et qui doivent subventionner le blé pour assurer l’alimentation quotidienne de leur peuple, pourraient ne pas tenir le choc, alertent certains.

Les précédentes crises alimentaires mondiales de 2008 et 2012 avaient déclenché des émeutes de la faim, renversé des gouvernements et déclenché les soulèvements du printemps arabe. De nouveaux afflux de populations désespérées sont donc à attendre en Europe : la Banque mondiale estime que les prix des denrées alimentaires pourraient augmenter de 37 % en raison de la guerre, une hausse qui sera surtout ressentie par les pauvres et les empêchera d’acheter d’autres produits de base. D’après les Nations-Unies, l’indice mondial des prix alimentaires a déjà atteint son niveau le plus élevé depuis 30 ans !

Quels outils de résilience face à cette crise ? Le Brésil a connu de mauvaises récoltes en 2021 et n’est pas en mesure de soutenir l’effort mondial. L’Europe et les États-Unis vont être freinés dans leur capacité à aider par deux éléments majeurs : le premier est la dépendance aux engrais chimiques de leur production agricole, qui sont à 80% produits par la Russie, et donc bloqués par la guerre. Pénurie d’engrais, pétrole plus cher, le mélange est de la nitroglycérine pour l’alimentation mondiale.

Le second est l’absence de stocks alimentaires en Europe. C’est le chercheur Frédéric Wallet, de l’INRAE, qui le rappelle à Usine Nouvelle, précisant que chaque pays européen dépend de la solidarité des autres et qu’une ville comme Paris ne dispose que de 72 heures d’autonomie alimentaire en cas de crise majeure.

C’est donc véritablement, une nouvelle fois, la question du modèle de société qui se pose à travers la crise ukrainienne. Le Covid-19 nous a montré incapables d’indépendance sanitaire, la guerre fait de même pour l’indépendance alimentaire, et ceci alors que la France est un des plus grands pays agricoles au monde. Malgré cela, elle dépend massivement d’engrais chimiques importés et produit essentiellement du blé tendre,  pour des questions de productivité à l’hectare. Elle ne saura donc compenser le manque de blé dur lié à la crise ukrainienne. À une heure où des surfaces agricoles sont dédiées à la production d’agrocarburants ou servent à produire du kilogramme de viande hachée, proches de nous la famine grandit. Elle pourrait avoir des répercussions géopolitiques majeures en déstabilisant des gouvernements qui, pragmatiques, répondront par des rhétoriques anti-occidentales. Il serait donc temps de ne plus considérer le domaine vital qu’est l’alimentation comme un espace possible de spéculation. La crise des semi-conducteurs semble bien futile à côté de la question de garantir à tous l’accès au blé et à l’eau, derrière laquelle – au-delà de la simple question d’humanité – se tient celle du maintien de la paix, là où elle existe encore.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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