Estimer pour la première fois le débit des rivières à l’échelle planétaire avec le satellite SWOT

Par Jerôme Monnier, Professeur des universités, mathématiques appliquées, INSA Toulouse
16 décembre 2022 21:31 Mis à jour: 16 décembre 2022 21:31

Le satellite SWOT (NASA-CNES) lancé vendredi 16 décembre va permettre de mesurer les eaux du globe sur 90% de sa surface : les océans bien sûr mais aussi pour la première fois les lacs, réservoirs et rivières. Pour les rivières de largeur supérieure à 100 mètres, les mesures seront fournies avec une densité spatiale de l’ordre de 250 mètres et une fréquence aux alentours de 11 jours.

À partir de mesures de hauteur de la surface d’eau d’une rivière, un défi scientifique consiste à en déduire son débit Q (m3/s). Les débits des rivières sont très mal connus dans les régions du monde très peu instrumentées (par exemple le bassin amazonien, les grands bassins asiatiques, africains et bien d’autres à travers le monde).

Les rivières et fleuves agissent comme les veines de nos territoires. Estimer le débit des rivières de notre planète demeure un enjeu majeur scientifique mais aussi surtout un enjeu socio-économique.

L’agriculture représente 70 % de la consommation d’eau douce dans le monde (90 % dans certains pays), l’industrie 19 % et l’usage domestique 12 % seulement (dont une grande part est due aux usages ménagers tels que lave-linge, lave-vaisselle, arrosage, salle de bains et une très faible part est en lien avec la boisson). A ce jour, 1 habitant sur 2 de notre planète vit dans des zones touchées par une grave pénurie d’eau au moins un mois par an.

Les activités humaines dépendent de la quantité d’eau disponible mais modifient également la ressource. Typiquement, la politique de gestion d’un barrage pour développer l’agriculture d’une région peut engendrer un manque dans une région plus en aval. Des tensions entre régions ou usagers (agricultures, industries, populations) peuvent survenir. De nombreux exemples existent à travers le monde (par exemple au Moyen-Orient ou au sud des États-Unis d’Amérique pour ne citer que ces deux régions du monde).

L’Europe connaît elle aussi des tensions autour de l’usage de l’eau ; l’été 2022 nous l’a encore montré. Des risques surviennent aussi en lien avec l’extrême inverse, à savoir le « trop d’eau » qui s’écoule. Les inondations représentent près de la moitié des risques naturels avec pour la seule année 2021, plus de 50 évènements majeurs et plus de 80 milliards de dollars de dégâts.

Ces constats s’aggravent et vont encore plus s’aggraver avec le dérèglement climatique croissant.

Des modèles mathématiques pour estimer le débit des rivières

La variable clé pour quantifier les flux d’eau d’une rivière est le débit Q (m3/s). On à la relation simple Q=A.U, A (m2) étant la section en travers de la rivière, U (m/s) la vitesse moyenne de l’eau dans cette section, mais ces quantités A et U ne seront pas mesurées depuis l’espace.

Schéma du calcul du débit des rivières. Jérôme Monnier, Fourni par l’auteur

Des mesures précises de débits sont disponibles à une fréquence journalière (voire horaire) dans les régions industrialisées seulement, par exemple en France via le réseau Vigicrues. A contrario, dans les régions moins industrialisées, les données sont souvent inexistantes ou au mieux très approximatives : les débits des rivières à un instant donné sont globalement très mal connus à l’échelle planétaire.

Lorsque la vitesse d’écoulement d’une rivière U (m/s) et sa profondeur H (m) sont inconnues, on ne sait pas directement déduire son débit Q (m3/s) de manière simple. Par contre, le débit peut potentiellement être estimé via des modèles mathématiques plus complexes. Cela passe par une estimation de la forme et de la profondeur de son lit et aussi de paramétrisations physiques comme le coefficient de friction de l’écoulement sur le terrain.

La difficulté d’estimer ces débits est accrue lorsque les mesures altimétriques de la surface de l’eau (qui ne correspond donc pas à la profondeur H de la rivière) ne sont disponibles qu’en quelques points de la rivière.

La révolution des mesures SWOT et des algorithmes qui en découlent

Le satellite SWOT va donc permettre de «cartographier» les hauteurs d’eau des rivières (de plus de 100 mètres de large) du globe à une fréquence de 11 jours environ.

Des recherches pluridisciplinaires intenses ont été nécessaires pour savoir déterminer le débit des rivières à partir de telles mesures. Ces travaux (majoritairement franco – états-uniens) aboutissent à des algorithmes de calcul implémentés sur des calculateurs. Cinq algorithmes aux méthodologies différentes ont été jusqu’à présent inter-comparés sur la base d’« observations synthétiques » issues d’un simulateur de l’instrument SWOT qui vient d’être lancé.

Les travaux menés à l’Université de Toulouse et tout particulièrement à l’INSA – Institut de Mathématiques de Toulouse, l’Observatoire Midi-Pyrénées, en partenariat avec l’INRAe et le groupe privé CS (sur financements CNES) ont conduit à un algorithme disponible au sein d’un logiciel de recherche ouvert à toutes les communautés scientifiques.

Les premiers ingrédients d’un tel algorithme sont les équations de Saint-Venant datant du XIXe siècle enrichies d’équations dédiées à ce contexte observationnel bien particulier et issues de nos récentes recherches. Les ingrédients suivants sont des méthodes mathématiques du type contrôle optimal, semblables à celles utilisées pour contrôler la trajectoire d’un robot ou déterminer l’état initial de l’atmosphère avant une prévision météorologique, combinées à des méthodes probabilistes et des méthodes d’apprentissage machine («intelligence artificielle»).

Les résultats obtenus permettent d’espérer des estimations de débits relativement précises (à 30 % près) dans les régions non instrumentées, en temps quasi réel.

Les estimations sur la base des mesures réelles SWOT devraient être disponibles (si tout se passe comme prévu) à l’issue d’une année complète de survol du satellite, le temps de la calibration des modèles.

Ces estimations de débit des rivières à l’échelle planétaire devraient contribuer à l’amélioration de nos connaissances sur le cycle de l’eau, contribuer à l’amélioration des modèles numériques d’inondations mais aussi de sécheresses, permettre de mieux estimer l’interaction entre les grands fleuves (non instrumentés) et les courants océaniques locaux, permettre de mieux estimer l’impact des différents usages de grands cours d’eau non instrumentés y compris transfrontaliers, et aussi contribuer aux politiques de gestion de l’eau de nombreux états sur la base de connaissances globales et ouvertes.


Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science en libre accès », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, veuillez consulter la page Ouvrirlascience.fr.The Conversation

Jerôme Monnier, Professeur des universités, mathématiques appliquées, INSA Toulouse

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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