Les quatre hommes sont penchés au dessus des boules. Les accusations de tricherie volent rapidement entre ces habitués d’un club de pétanque au cœur d’Addis-Abeba, menacé par la rénovation de la capitale éthiopienne.
Tout autour de ce petit boulodrome situé à proximité de l’emblématique place Meskel, des grues sont à l’œuvre et des immeubles sortent de terre, symboles du développement urbain à marche forcée dans la ville.

« Nous sommes inquiets »
Et beaucoup craignent que ce club, fondé au début du siècle dernier par des Français et qui rassemble chaque jour des dizaines de boulistes amateurs, ne disparaisse.
« Nous sommes inquiets, car on nous a annoncé que la zone serait démolie et que tout le quartier serait relocalisé », déclare à l’AFP Daniel Bewektu, 38 ans, qui vient quotidiennement depuis près de 7 ans.

« Je ne pense pas que quiconque préservera cet endroit (…) Je ne crois pas qu’il y aura de d’alternative », poursuit-il.
Pour la plupart d’anciens cheminots
Le boulodrome, surnommé le Club des cheminots, en français dans le texte, est l’héritage de la ligne de chemin de fer construite sous le règne de l’empereur Menelik II entre 1897 et 1917 par Paris pour relier Djibouti, alors colonie française, à la capitale éthiopienne.
Le chemin de fer a ensuite été géré par la Compagnie du chemin de fer franco-éthiopien, une société essentiellement française, jusqu’à l’indépendance de Djibouti, en 1977. Se sont ainsi développées la pratique de la pétanque, et celle de la langue française.
Cette ligne a fermé en 2008, mais le club de pétanque lui a survécu. Les quelque 150 membres sont pour la plupart d’anciens cheminots.
Quatre pistes de pétanque
Sous un toit en tôle qui permet de s’abriter de la drache qui tombe drue en cette saison des pluies, s’alignent quatre pistes de pétanque bien entretenues. Le sable est importé de Dire Dawa, grande ville à 350 km à l’est d’Addis.

Lire, jouer au domino ou boire une bière
En ce samedi après-midi, des enceintes crachent de la musique locale.

Des hommes sont installés autour de tables en plastique, pour lire, jouer au domino ou boire une bière.

Les mêmes scènes se répètent
Sur les différents terrains de pétanque, les mêmes scènes se répètent. Des petites algarades sur des points contestés, le bruit du métal heurté, les « gobez » (« bien joué » en amharique, la langue nationale éthiopienne), lorsqu’une boule vient coller un cochonnet.

Des casiers hors d’âge
Assefaw Geremew se dirige vers un casier hors d’âge situé à proximité des pistes pour en sortir ses boules. C’est un rituel presque quotidien pour cet homme élancé de 68 ans, casquette sur la tête.

« J’ai commencé à jouer lorsque les Français étaient en charge » de la ligne ferroviaire, raconte cet ancien cheminot récemment retraité. Ces derniers « ont quitté l’Éthiopie mais nous avons repris le flambeau et perpétué ce jeu », sourit-il.

Si le club venait à disparaître, ce serait un déchirement pour ce bouliste amateur, qui a vu au fil des années les nombreux changements du quartier.
Transformation architecturale d’Addis-Abeba
Le Buffet de la gare, un célèbre hôtel-restaurant bâti en 1924, a été rasé en 2019 pour laisser place à un immeuble résidentiel flambant neuf. Cette transformation architecturale d’Addis-Abeba, qui consiste en un élargissement et une rénovation des rues, est portée par le Premier ministre Abiy Ahmed, qui dirige depuis 2018 d’une main de fer le pays d’Afrique de l’Est d’environ 130 millions d’habitants.

« On retrouve ses vieux amis et on rencontre de nouvelles personnes »
Pour M. Assefaw, privés du Club des cheminots, « les retraités n’auraient nulle part où aller ». « Ici, on peut rester aussi longtemps qu’on veut. On peut y passer la journée entière: on joue, puis on repart.

On retrouve ses vieux amis et on rencontre de nouvelles personnes », affirme-t-il, mettant en avant le prix extrêmement modeste pour devenir membre, seulement 6 biirs par mois pour les retraités (0,04 euro).
« Nous aimerions avoir un autre espace »
Dans l’incertitude, Alemneh Abebe, président de l’association de pétanque depuis 7 ans, et bouliste depuis plus de 20 ans, en appelle de son côté aux autorités. « Si possible, avec le soutien du gouvernement, nous aimerions avoir un autre espace », plaide-t-il.

Pessimiste, Daniel Bewektu, soupire : « Si on enlève ce lieu, la pétanque va disparaître ».
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