Comment la Chine a utilisé deux incidents d’auto-immolation: l’un fabriqué, l’autre censuré

Par Jocelyn Neo
23 février 2020 19:17 Mis à jour: 24 février 2020 07:58

À une époque où il est difficile de distinguer les fausses informations des faits, le citoyen lambda se retrouve souvent victime. Dans certains cas, un gouvernement va décider de la manière dont une nouvelle est présentée. En voici deux exemples, à travers le cas d’incidents d’auto-immolation – l’un réel et l’autre fabriqué – qui ont été traités très différemment par le régime communiste chinois.

Les immolations de manifestants tibétains

Depuis que Tapey, un moine tibétain d’une vingtaine d’années, s’est immolé par le feu le 27 février 2009 pour protester contre les années de répression du régime chinois, plus de 150 Tibétains, dont des moines et des nonnes, ont suivi le mouvement, selon la Campagne internationale pour le Tibet. Nombreux sont ceux qui pensent que la « réforme » forcée du régime chinois est à l’origine de cet acte de protestation désespéré.

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Cette photo montre un mur du musée du Tibet, dans l’état de l’Himachal Pradesh, recouvert de portraits de jeunes Tibétains qui se sont auto-immolés pour protester contre la domination chinoise au Tibet. (©Getty Images | LAURENE BECQUART/AFP)

Dhondup Tashi Rekjong, écrivain tibétain et rédacteur en chef du journal Karkhung, a déclaré à VOA News en 2013 que depuis 1959, le régime chinois a « tenté de détruire et d’anéantir systématiquement la culture, la religion, la politique, etc. du Tibet ».

« Tous ces éléments se sont accumulés pour devenir la cause des auto-immolations tibétaines », a-t-il poursuivi.

Lobsang Sangay, le président du gouvernement tibétain en exil en Inde, exprime des sentiments similaires. Il a déclaré à Free Tibet en 2011 que « ces incidents sont une indication claire des griefs réels des Tibétains et de leur sentiment de profond ressentiment et de désespoir face aux conditions de vie au Tibet ».

Malgré le nombre de Tibétains immolés par le feu, le régime chinois a toujours nié l’existence du phénomène.

« Aucun des 46 000 moines et nonnes des quelque 1 700 monastères du Tibet, ni aucun résident local, ne s’est auto-immolé », a ainsi déclaré Padma Choling, alors président du Comité permanent du Congrès du peuple de la Région autonome du Tibet, rapporte le magazine Time.

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Une femme lors d’une exposition de portraits de victimes d’auto-immolation au Tibet, présentée par la branche taïwanaise d’Amnesty International à Taipei le 29 juin 2012. (©Getty Images | Mandy Cheng/AFP)

Le régime chinois a également mobilisé toutes ses ressources pour couvrir l’information et l’empêcher d’être diffusée dans le monde. Ceux qui l’ont diffusée ont dû faire face aux conséquences.

Lobsang Thinley, un Tibétain, a été arrêté et torturé pour avoir dit à ses amis en Inde avoir vu un moine s’immoler en 2011. Il a d’abord été détenu arbitrairement pendant un an et demi, puis condamné à trois ans de prison pour « divulgation de secrets d’État », selon ce qu’il a déclaré au Centre tibétain pour les droits de l’homme et la démocratie  en 2017 après s’être enfui en Inde.

Les familles et les amis des Tibétains qui ont tenté de partager des récits d’immolation ont également été pris pour cible par le régime chinois.

Tsangyang Gyatso, président de la Jonang Welfare Association, est né et a grandi au Tibet mais vit aujourd’hui en Inde. Il a déclaré à la TCHRD qu’après avoir révélé son identité et informé le monde des auto-immolations qui se produisaient au Tibet, ayant reçu les informations des Tibétains au Tibet, sa famille a dû faire face à des répercussions.

Après que les médias d’État du régime chinois, dont Qinghai TV, ont diffusé un programme désignant Tsangyang comme l’un des instigateurs des protestations contre les immolations, ses frères et sœurs ont été interrogés à plusieurs reprises par les autorités.

« Ils ont été soumis à de longues heures d’interrogatoire pour obtenir des informations sur mon passé et sur ce que je faisais en Inde », se souvient-il. « Les membres de ma famille sont constamment surveillés ».

Dans ces exemples, le Parti communiste chinois (PCC) essaie de dissimuler les incidents bien réels d’immolation de Tibétains ; il a par contre largement diffusé dans le monde un autre cas d’immolation par le feus.

Les immolations de la place Tiananmen

Le 23 janvier 2001, alors que les familles chinoises préparaient l’arrivée du Nouvel An lunaire, les médias d’État ont rapporté que cinq personnes, dites pratiquantes de Falun Gong, s’étaient immolées par le feu sur la place Tiananmen à Pékin.

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Une mise en scène à visée de propagande (©Capture d’écran vidéo | Falsefire)

Popularisé en Chine en 1992, le Falun Gong, également connu sous le nom de Falun Dafa, est une pratique physique et spirituelle ancrée dans la tradition bouddhiste. Plus de 70 millions de personnes ont adopté cette pratique en Chine, pour des raisons allant de la recherche d’amélioration de la santé à celle d’un retour aux traditions spirituelles chinoises. Cependant, en raison du nombre important de personnes le pratiquant sans possibilité de contrôle par le régime, celui-ci a lancé une campagne de répression de cette pratique en juillet 1999. Arrestations massives, détentions et tortures ont suivi.

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Des pratiquants de Falun Gong à Shenyang. (©The Epoch Times)

Lorsque la persécution du mouvement a commencé, de nombreux citoyens chinois étaient favorables au Falun Gong et opposés à son interdiction. Cependant, les opinions ont massivement changé après la diffusion massive de l’incident d’auto-immolation.

Une mise en scène macabre

Peu de temps après, des soupçons sur la possible mise en scène de l’immolation par le régime chinois ont commencé à faire surface, alimentés par le fait que le nombre de victimes était passé de cinq personnes dans les premiers jours à sept, une semaine plus tard. Un article du Washington Post du 4 février 2001 rapportait de plus que les voisins de deux des victimes présumées – et décédées – ne les avaient jamais vues pratiquant le Falun Gong.

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Images de la télévision chinoise montrant un homme brûlé évacué la la place Tian An Men le 23 janvier 2001. (©Getty Images | Newsmakers)

Ces voisins ont ensuite expliqué qu’il y avait quelque chose d’étrange chez Liu Chunling, qui travaillait dans une boîte de nuit, frappait sa fille et avait chassé sa mère âgée – un comportement diamétralement opposé aux enseignements moraux du Falun Gong. L’article du Washington Post rappelle également que seuls les médias d’État étaient autorisés à interviewer les survivants et à interagir avec leurs proches.

Plus tard, d’autres preuves ont montré que l’incident avait été mis en scène. Des journalistes étrangers familiers avec la place Tiananmen ont déclaré que la police n’avait généralement pas d’extincteurs et que le bâtiment le plus proche était à 20 minutes aller-retour du lieu de l’immolation. Cependant, les images de l’incident montrent une dizaine de policiers porteurs d’extincteurs.

Les médias chinois ont également affirmé que les images en gros plan de l’incident provenaient de CNN. Mais Eason Jordan, alors chef de la nouvelle direction de CNN, a déclaré au Washington Post que les images utilisées dans les reportages de la télévision chinoise ne pouvaient avoir été obtenues de CNN, car leur cameraman avait été arrêté presque immédiatement après le début de l’incident.

Autre élément surprenant, Wang Jindong, un des immolés, a ses cheveux encore intacts et  une bouteille en plastique remplie d’essence entre ses jambes … qui n’a pas fondu.

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Images de la télévision chinoise sur la place Tiananmen le 23 janvier 2001. (©Getty Images | Newsmakers)

L’incident a ensuite été analysé et a donné lieu à un documentaire intitulé « False Fire« , primé au 51e Festival international du film de Columbia .

Epoch Times a également rapporté que, selon Sun Yanjun, alors professeur associé de psychologie à Capitol Normal University, les médias d’État chinois se sont « calmés » après que NTD, un média frère de cette publication, a diffusé le documentaire.

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