Jean Messiha : « Dans quelle démocratie au monde fiche-t-on les gens en fonction de leur couleur politique ? »

"C’est une période de transition paradigmatique, dans laquelle la liberté d'expression est un enjeu capital"

Par Julian Herrero
19 février 2024 09:50 Mis à jour: 15 avril 2024 12:53

ENTRETIEN – Les Sages du Conseil d’État ont rendu leur décision la semaine dernière. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a 6 mois pour se prononcer sur le respect de Cnews de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance. Jean Messiha, le président du think tank Vivre Français, analyse pour Epoch Times cette décision. Il déplore une « forme de de tyrannie et de menace qui pèse non seulement sur la liberté d’expression, mais aussi sur la liberté politique », et considère que « nous assistons à la lutte entre deux systèmes idéologiques » : le système gaucho-progressiste et celui identitaire et souverainiste.

Epoch Times – Le 13 février, le Conseil d’État a rendu sa décision sur Cnews après avoir été saisi par l’association Reporters Sans Frontières (RSF) en 2022. Dans un communiqué, il « enjoint l’autorité indépendante Arcom de réexaminer dans un délai de 6 mois le respect par la chaîne Cnews de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance ». Quelle est votre réaction ?

Jean Messiha – Ce communiqué est assez inquiétant. En réalité, il écorne l’État de droit, le pluralisme des idées et la liberté d’expression.

Alors certes, le Conseil d’État évoque de nouvelles règles – une lecture lato sensu de la loi sur la liberté de la presse de 1986, mais à partir de cette décision, ce sont désormais tous les intervenants sur les plateaux de télévision qui vont voir leur temps de parole être décompté, alors que jusqu’à présent, ce traitement était réservé aux invités politiques.

Maintenant, les chaînes de télé et de radio vont devoir en quelque sorte ficher leurs consultants, éditorialistes, présentateurs et leurs animateurs en fonction de leurs courants politiques. C’est une forme de tyrannie et de menace qui pèse non seulement sur la liberté d’expression, mais aussi sur la liberté politique, et cette décision – contrairement à ce que j’entends, crée un régime d’exception pour Cnews.

Si le Conseil d’État dit que ça concerne l’ensemble des chaînes de télé et de radio, la réalité, c’est que l’Arcom devra seulement examiner au cours des 6 mois le cas de Cnews, c’est-à-dire que les autres chaînes ne passeront pas cet examen. En conséquence, si les autres chaînes ne respectent pas ces nouvelles règles, personne ne va les sanctionner.

Invité de l’émission « L’heure des Pros » le lendemain de la décision du Conseil d’État, le directeur-général de RSF, Christophe Deloire, a affirmé que cette décision n’était non « pas politique mais démocratique »…

Monsieur Deloire semble avoir une lecture tout à fait personnelle et idéologique de la notion de décision démocratique. Dans quelle démocratie au monde fiche-t-on les gens en fonction de leur couleur politique ou leur demande-t-on s’ils sont plutôt de gauche ou de droite, d’extrême gauche ou d’extrême droite ou du centre, avant qu’ils entrent sur un plateau ? In fine, cela revient à leur demander pour qui ils votent, et donc à briser le secret de l’isoloir.

Christophe Deloire ne comprend pas qu’il est en train de museler et de censurer l’une des seules chaînes qui ne parlent pas comme les autres, au nom de la liberté d’expression et au nom du pluralisme. Je ne vois pas en quoi éliminer une chaîne TV, à cause de son discours, va participer à la démocratie d’opinion et à la liberté d’expression.

Dans la même émission, le co-fondateur de RSF et maire de Béziers, Robert Ménard, a interpellé Christophe Deloire : « Le problème […] ce sont les liens incestueux qu’un certain nombre d’organisation de défense des droits de l’Homme […] a avec la gauche ». Partagez-vous cette analyse ?

Nous ne sommes pas simplement face à une idéologie, nous sommes confrontés à un paradigme au sens de Thomas Kuhn dans les sciences sociales, c’est-à-dire une idéologie mais avec des canaux. C’est tout un système. Il y a les politiques, les médias et tout un tas d’organisations infra-étatiques, infra-nationales, qui sont les garde-chiourmes de l’idéologie dominante.

Tout ce système idéologique se tient. Depuis 40 ans, vous avez un système idéologique gaucho-progressiste qui a refusé de montrer aux Français la réalité qu’ils vivent et qu’ils sont de plus en plus nombreux à vivre, comme par exemple, les crimes et délits commis par une certaine immigration massive et incontrôlée, ou la misère de la France rurale, dont les médias ne parlent jamais – à l’exception de Cnews.

Il y a donc une chaîne de télévision qui reprend cette réalité et le système gaucho-progressiste entend la museler comme il l’a fait avec les réseaux sociaux à partir des années 2010.

Nous assistons à la lutte entre deux systèmes idéologiques : le premier, qui est crépusculaire, c’est celui qui a gouverné et dirigé le monde occidental depuis une cinquantaine d’années et le deuxième, qui est un paradigme identitaire, souverainiste, de retour du peuple, de la nation, de la souveraineté et de l’identité. C’est une période de transition paradigmatique, dans laquelle la liberté d’expression est un enjeu capital.

Vous avez-vous-même été inscrit par l’Arcom en tant que personnalité politique alors que vous n’êtes membre d’aucun parti…

Au mois de novembre, j’apprends effectivement que l’Arcom a décidé de me placer sur une liste de personnalités politiques divers droite. Ensuite, j’ai décidé de répondre par courrier à l’autorité indépendante en précisant que je n’avais aucun engagement politique, pas de mandat électif, que je n’étais candidat à rien, que je ne représente aucun parti depuis plus de deux ans, et que je suis chroniqueur – mais cela n’a rien changé.

Aujourd’hui, je reste classé dans un courant politique auquel je n’ai jamais appartenu et dont j’ai découvert qu’il ne disposait que de 2 % du temps de parole.

J’ai fait un recours au Conseil d’État et j’ai porté plainte devant le tribunal judiciaire de Paris pour discrimination politique, mais toutes ces procédures sont très longues…

Aujourd’hui, je reste classé dans un courant politique auquel je n’ai jamais appartenu et dont j’ai découvert qu’il ne disposait que de 2 % du temps de parole. Par conséquent, le but est bien de me museler et de me censurer, et comme personne n’a réagi, pas même Cnews, malgré le bruit et le tapage que j’ai fait sur les réseaux sociaux, le Conseil d’État s’est dit qu’il pouvait aller plus loin.

Ce qu’il se passe aujourd’hui avec Cnews n’est que la généralisation à l’ensemble des intervenants de la chaîne de la jurisprudence qui m’a été appliquée en première instance.

L’an prochain a lieu le renouvellement des fréquences pour Cnews et C8. Redoutez-vous qu’elles ne soient pas renouvelées ?

Je crois que tout ce qui est fait actuellement autour de Cnews est une manière de préparer le terrain et de voir comment les gens réagiraient à une éventuelle décision de non-renouvellement des fréquences pour CNews et pour C8. La décision du Conseil d’État a profondément choqué l’opinion publique alors que CNews est passée première chaîne d’info de France devant BFMTV.

Il va falloir que le système idéologique assume de supprimer purement et simplement la première chaîne d’info de France, et là, il aura du mal à nous faire croire que c’est pour la démocratie et la liberté d’opinion.

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