Jean-Philippe Delsol : « Le décrochage économique de la France est dû à l’excès de ses réglementations et de ses dépenses publiques qui entravent l’activité et découragent les initiatives »

Par Julian Herrero
1 mai 2024 19:14 Mis à jour: 6 mai 2024 10:59

ENTRETIEN – Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’Institut de Recherches Économiques et Fiscales (IREF). Il répond aux questions d’Epoch Times sur les charges patronales en France.

Epoch Times – Jean-Philippe Delsol, selon un rapport de l’OCDE mis en ligne la semaine dernière sur « les impôts sur les salaires », la France est championne du monde des charges patronales. « Les employeurs en France paient 26,6% des coûts de main-d’œuvre sous forme de CSS (cotisations de sécurité sociale), soit le niveau le plus élevé parmi les pays de l’OCDE », est-il écrit dans l’étude. Quelle est votre analyse ? Êtes-vous surpris par ces données ?

Jean-Philippe Delsol – Malheureusement ces données ne sont pas étonnantes. La France est le pays du monde le plus généreux en matière sociale. La France consacrait en 2021 33,4% de son PIB à des dépenses sociales privées et publiques contre 28,7% en moyenne dans l’Union européenne, 30,6% en Allemagne, 27,9% aux Pays Bas et 27,4% en Suède. En pourcentage du PIB, les dépenses sociales françaises sont supérieures à celles de tous les autres pays de l’UE et de l’OCDE.

Pourtant, il y a beaucoup de pays développés dans lesquels on vit aussi bien sinon mieux qu’en France et qui ont des dépenses sociales moindres.

Les causes principales de cette obésité sociale de la France tiennent sans doute à l’obsession française de faire gérer tout le système social par l’État en octroyant à ses personnels un statut de la fonction publique obsolète et qui empêche une bonne gestion des personnels titulaires à vie. Le quasi-monopole accordé à des institutions publiques pour gérer les retraites, les assurances sociales, le chômage… ont créé des monstres coûteux et mal gérés.

Ces données montrent-elles que les politiques de baisse de charges mises en œuvre par le gouvernement n’ont eu aucun effet ?

Depuis le début des années 1990, les gouvernements successifs ont pris pour habitude de traiter le problème du chômage des personnes les moins qualifiées en créant des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires, comme la réduction Juppé, la ristourne Fillon, les exonérations mises en œuvre par Lionel Jospin ou le CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) sous François Hollande.

Les organismes sociaux sont devenus des machines infernales gérées par des apprentis sorciers. La gestion en est éclatée autant que les ressources. Avec le temps, le coût du mitage de l’assiette des cotisations sociales a littéralement explosé, passant de 0,5 % du PIB en 1993 à 2,5 % en 2022 (soit 66 milliards d’euros), poussant l’exécutif à financer la protection sociale par une kyrielle de taxes affectées, ajoutant encore de l’impôt à l’impôt.

La France est devant ses voisins européens en matière de cotisations patronales. En Italie, les cotisations patronales représentent 24 % des coûts de main-d’œuvre, 23,3 % en Espagne. Il y a en outre, un écart considérable entre la France et les pays anglo-saxons. 10,1 % au Royaume-Uni, 7,5 % aux États-Unis. Comment expliquer cette différence majeure entre nous et le monde anglo-saxon ?

Il faut nuancer parce que certains pays choisissent de financer essentiellement leurs « assurances sociales » par les impôts comme en Angleterre (le système de Beveridge), tandis que d’autres le financent par les cotisations (système bismarckien). Donc les taux de cotisation ne mesurent pas nécessairement l’effort social.

Mais en France, on finance les systèmes sociaux à la fois par les cotisations (environ 60%) et par l’impôt (environ 40%). À titre d’exemple, le système de retraite par répartition qu’on nous a dit pendant longtemps à l’équilibre, est en fait en déficit d’environ 125 milliards d’euros par an, financés par nos impôts.

Le moyen de réduire les charges sociales, n’est pas de tenter une énième correction d’un système défaillant, mais de l’ouvrir à la concurrence. Bien sûr, certaines dépenses doivent être prises en charge par la collectivité comme les handicaps congénitaux ou liés à des catastrophes, les aides aux familles ou aux plus démunis (RSA) qui pourraient continuer à être financées par la CSG. Mais les autres risques peuvent être couverts par des assurances, comme n’importe quel risque.

La liberté pourrait être laissée à chacun de recevoir son salaire complet, charges comprises, et de s’assurer, auprès de la compagnie ou mutuelle de son choix, pour son chômage, sa retraite ou sa maladie, dans un cadre a minima fixé par la loi, ce qui permettrait de faire évoluer les comportements naturellement.

Chacun trouverait vite son intérêt à moins recourir aux assurances pour payer moins de cotisations. C’est ainsi que cela fonctionne à la satisfaction générale pour les assurances habitation ou automobiles dont les risques ne sont pas moindres.

Selon plusieurs experts, l’Europe serait en train de décrocher économiquement et de s’appauvrir par rapport aux États-Unis. Y a-t-il selon vous une corrélation entre d’un côté, les charges élevées et de l’autre, l’appauvrissement de notre continent et donc du décrochage face à l’Amérique ?

Le décrochage de la France sur le plan économique est évidemment dû à l’excès de ses réglementations et de ses dépenses publiques qui entravent l’activité et découragent les initiatives : les prélèvements obligatoires en 2022 représentaient 46,08% du PIB français contre une moyenne de 34,04% dans l’OCDE.

Non seulement le poids de l’État renchérit inutilement les coûts de production et réduit drastiquement la compétitivité, mais l’intrusion permanente et obsessionnelle du secteur public dans la vie privée des entreprises et des individus annihile ceux-ci et leur fait perdre le goût du risque.

On habitue les gens à tendre la main plutôt qu’à se redresser les manches. Et en plus on critique à tout va ceux qui réussissent et qui se sont enrichis. Ainsi le pays languit et se meure doucement dans une égalité par le bas qui partage la misère plutôt que de favoriser la prospérité de tous, au risque de certaines inégalités.

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