La Finlande est-elle vraiment un pays si heureux ?

Le rapport sur le bien-être dans le monde présente de graves lacunes. Nous devrions repenser la façon dont nous mesurons le bien-être national

Par John Mac Ghlionn
27 mars 2024 20:26 Mis à jour: 27 mars 2024 20:26

Les Finlandais semblent avoir de nombreuses raisons de se réjouir ces derniers temps. En plus d’être le nouveau membre de l’OTAN, la Finlande a également été désignée comme le pays le plus heureux du monde, et ce pour la septième année consécutive, selon le dernier rapport annuel sur le bonheur dans le monde (World Happiness Report).

Cependant, derrière ces titres élogieux se cachent un certain nombre de vérités plutôt contradictoires et dérangeantes.

Que se passe-t-il réellement ?

Tout d’abord, le bonheur est une émotion fugace, l’une des nombreuses que nous ressentons chaque jour. Comme l’indigestion et les flatulences, il va et vient. En fait, l’être humain moyen connaît plus de 400 états émotionnels par 24 heures.

Bien qu’elle soit considérée comme le pays le plus heureux, la Finlande a un taux de suicide élevé, en particulier chez ses jeunes citoyens.

Parmi les 44 pays d’Europe, c’est en Finlande que la proportion de personnes de moins de 25 ans décédant d’une overdose est la plus élevée. En 2022, près de 30% des victimes de la drogue avaient 25 ans ou moins. En moyenne, les consommateurs de drogue finlandais meurent 10 ans plus tôt que les consommateurs des autres pays de l’UE.

En outre, un nombre croissant de Finlandais souffrent de dépression et d’anxiété, et le pays affiche l’un des taux de consommation d’antidépresseurs les plus élevés au monde.

Étant donné que la Finlande est plongée dans l’obscurité pendant une partie de l’hiver et qu’il existe une forte corrélation entre le manque de lumière et une mauvaise santé mentale, il n’est pas surprenant qu’un si grand nombre de Finlandais souffrent de graves problèmes de santé mentale. D’où la question suivante : Comment la Finlande peut-elle être considérée comme un pays heureux, et a fortiori comme le pays le plus heureux du monde ?

Le rapport de l’ONU mesure la satisfaction

Contrairement à la croyance populaire, le rapport sur le bonheur dans le monde (World Happiness Report 2024) ne mesure pas réellement le bonheur. Le rapport (PDF), commandé par le réseau des Nations unies pour les solutions de développement durable, analyse les données d’enquêtes mondiales menées auprès de citoyens de plus de 150 pays. Sur la base de l’évaluation de leur vie au cours des trois années précédentes – en l’occurrence, de 2021 à 2023 -, les pays sont ensuite classés en fonction de leur « bonheur ».

En réalité, ce qui est mesuré est plus proche du bien-être ou de la satisfaction. Et la différence entre bonheur et satisfaction va bien au-delà de la sémantique, comme le souligne le psychologue Daniel Kahneman, lauréat du prix Nobel.

Le bonheur s’apparente à une expérience éphémère qui se produit spontanément. Par exemple, on rencontre un ami cher que l’on n’a pas vu depuis des mois dans une brasserie locale et l’on se sent immédiatement heureux. Cependant, une fois l’ami parti, ce bonheur peut être remplacé par une autre émotion, comme la tristesse.

La satisfaction, en revanche, est un état d’esprit plus permanent. Il ne s’agit pas d’une émotion, mais de quelque chose de beaucoup plus solide et stable, un sentiment continu qui se construit au fil des semaines, des jours, des mois et des années.

Les Grecs de l’Antiquité l’avaient bien compris. Leurs philosophes appelaient la recherche de la satisfaction à long terme ‘eudaimonia’, qui se distinguait de l’hédonisme, la croyance selon laquelle rien n’est plus important que le plaisir.

Finlandais réalistes contre Américains irréalistes

Cela nous ramène aux Finlandais. Pour le Finlandais moyen, la vie est belle tout simplement parce que ses attentes sont réalistes.

En revanche, à la 23° place, les États-Unis, qui pour la première fois depuis 2012, ne figurent plus parmi les 20 pays les plus heureux, sont un lieu où les attentes irréalistes règnent en maître. C’est le cas depuis des années, nous dit-on.

La France ? Elle est classée à la 27e place. En recul de six marches. Et ce sont les jeunes, « moins heureux », qui baissent drastiquement la position française.

Chez les moins de 30 ans, entre 2021 et 2023, leur indice de bonheur classe l’hexagone à la 48e place. Les États-Unis, eux, se classent à la 62e place lorsqu’on se penche sur cette catégorie d’âge.

Mettre le bonheur sur un piédestal revient à pathologiser le sentiment inverse, la tristesse, une émotion humaine tout à fait normale. Comme le dit le célèbre psychothérapeute Adam Lane Smith, « il n’y a rien de mal à être triste. Cela ne veut pas dire que l’on soit déprimé. Tout n’est pas un problème à diagnostiquer ».

Aux États-Unis et ailleurs, de nombreuses personnes ont bénéficié de ce que l’on appelle la « course au bonheur », avec des auteurs qui vendent des livres nous encourageant à penser que nous sommes heureux, et des orateurs influents qui persuadent les masses de la possibilité d’une existence heureuse.

C’est logique. Qui ne veut pas être heureux ? C’est un sentiment merveilleux. Néanmoins, notre obsession devrait être de trouver des moyens de vivre une vie plus satisfaisante et de lutter contre le sentiment généralisé de mécontentement.

Les failles de l’obsession du PIB dans le rapport

Le rapport sur le bonheur dans le monde présente des lacunes, selon Daniel Benjamin, un universitaire qui a consacré des années de sa vie à explorer les ingrédients essentiels d’une vie vraiment agréable.

Professeur d’économie comportementale et de génoéconomie à l’université de Californie à Los Angeles, Daniel Benjamin souligne que le rapport mesure le produit intérieur brut (PIB) par habitant, un indicateur clé du progrès économique mais une mauvaise mesure du bien-être général.

En bref, l’amélioration du PIB par habitant est étroitement associée à une consommation et une production excessives, qui ne profitent qu’à une petite partie de la société tout en réduisant notre temps de loisirs et en nuisant à l’environnement. Malheureusement, note Daniel Benjamin, dans le cadre de cette approche, les guerres et les catastrophes naturelles peuvent même être considérées comme des événements favorables. Un PIB par habitant élevé ne garantit pas que les gens mènent une vie heureuse et satisfaisante, mais il figure toujours dans le rapport sur le bonheur dans le monde.

En outre, Daniel Benjamin et ses collègues ont montré que les questions d’enquête courantes utilisées dans les études sur le bonheur et le bien-être donnent souvent lieu à des interprétations erronées de la part des chercheurs et des personnes interrogées, ce qui a une incidence sur la collecte et la représentation des données.

En apportant de légères modifications à la formulation des questions d’enquête, a-t-il fait remarquer, les économistes et les participants peuvent mieux harmoniser leur compréhension des sujets abordés. Toutefois, ce n’est que le début d’un long processus visant à créer une mesure complète du bien-être international qui puisse éclairer les décisions politiques.

Daniel  Benjamin préconise l’élaboration d’un indice qui englobe divers aspects du bien-être – en d’autres termes, quelque chose de radicalement différent de l’actuel rapport sur le bonheur.

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