« Scandaleux et profondément illégitime » : la journaliste en garde à vue pour avoir enquêté sur les ventes d’armes de la France, s’explique

Par Emmanuelle Bourdy
25 septembre 2023 18:25 Mis à jour: 25 septembre 2023 18:25

Ce 21 septembre, la journaliste Ariane Lavrilleux, collaboratrice du média d’investigation Disclose, s’est exprimée auprès de Reporters sans frontières (RSF). Ayant été placée en garde à vue pour avoir enquêté sur des ventes d’armes de la France, elle a été libérée ce mercredi 20 septembre au soir.

Après la publication (en novembre 2021) d’articles d’Ariane Lavrilleux dans le média Disclose – articles traitant de ventes d’armes françaises à l’étranger et d’un possible détournement égyptien d’une opération de renseignement française dans le pays – le ministère français des Armées avait porté plainte pour « violation du secret de la Défense nationale » et une enquête préliminaire avait alors été ouverte. Placée en garde à vue le 19 septembre dernier, la journaliste a été remise en liberté 48 heures plus tard. Ce jeudi 21 septembre, elle a dévoilé le déroulement de son interpellation, face à la caméra de RSF.

« J’ai invoqué mon droit au silence pendant toute la durée de l’interrogatoire »

À 6 h 05 du matin ce 19 septembre, des agents du renseignement intérieur français et des magistrats – « qui sont en théorie chargés de la lutte anti-terroriste » a souligné la journaliste – ont débarqué chez cette dernière. Ils ont commencé à perquisitionner son domicile, principalement ses outils de travail, ses ordinateurs, ses téléphones et ses clés USB, puis ont utilisé « tout un tas d’outil de logiciel de cybersurveillance » afin d’extirper ses données.

Elle a ensuite été placée en garde à vue dans les geôles de l’hôtel de police de Marseille, pour en sortir 39 heures plus tard. Outre « le manque de sommeil, la fatigue [et] un manque d’accès à l’eau », la journaliste raconte avoir été malade, d’où une première nuit « assez éprouvante ». Les gardiens de l’hôtel de police ont même refusé « pendant plusieurs heures », de lui donner accès aux médicaments antidiarrhéiques, prétextant qu’elle n’avait pas d’ordonnance.

« Le lendemain de cette nuit assez pénible j’ai été auditionnée à plusieurs reprises par des agents de la DGSI sur mon travail de journaliste, sur depuis quand je travaillais avec Disclose, sur des articles et des enquêtes qu’a fait Disclose et mes confrères de Disclose sur les ventes d’armes, sur la diplomatie des ventes d’armes de la France et j’ai opposé le silence, j’ai invoqué mon droit au silence pendant toute la durée de l’interrogatoire parce qu’il y a un droit inaliénable en démocratie qui s’appelle le ‘secret de la protection des sources’ et la liberté d’informer », a-t-elle poursuivi.

Empêcher que cela ne « devienne une traque généralisée des journalistes et de leurs sources »

Considérant cette garde à vue comme « scandaleuse et profondément illégitime », elle a estimé que le « seul but » de celle-ci était d’empêcher « tous les journalistes de faire leur travail ». Les agents de la DGSI « cherchaient par tous les moyens à obtenir des informations sur comment Disclose et moi-même avions enquêté, avions des sources sur ces sujets sensibles, sur cet angle mort de l’action gouvernementale dont même les députés n’ont pas connaissance », a-t-elle révélé, soulignant qu’ils ont même tenté de la faire parler en utilisant « une technique de manipulation des services de renseignement ».

« Maintenant, ce qui reste au-dessus de ma tête, c’est l’épée de Damoclès de la mise en examen. J’ai aucune information, aucune certitude. Placer en garde à vue une journaliste, on a vu que c’était possible, donc après tout, à partir de ce moment-là où on a franchi un cap, pourquoi pas franchir le cap de la mise en examen ? » s’est-elle interrogée.

Souhaitant interpeller les parlementaires, elle a déclaré que seule « une mobilisation très forte de tous les journalistes » et de « tous les citoyens » empêchera que cette affaire ne « devienne une traque généralisée des journalistes et de leurs sources ». « Il faudrait appliquer la directive du premier ministre sur le secret de la défense nationale » qui dit que celui-ci « ne peut pas être invoqué pour un motif illégitime et arbitraire », a-t-elle conseillé.

« On a détourné des moyens de la lutte antiterroriste pour traquer une journaliste »

« Là en ce qui me concerne, on a révélé des faits d’intérêt public extrêmement importants de crimes d’État commis par la dictature égyptienne et dans lequel la France est impliquée, a apporté un soutien matériel, financier via du renseignement militaire, et donc ces faits doivent être portés à la connaissance du public », a-t-elle estimé, consciente qu’il ne faut pas non plus faire des révélations « tout azimut de ce qui relève de la défense nationale », car il est « très important de protéger les forces spéciales, les opérations, les hommes qui travaillent à la sécurité nationale ». Mais, a-t-elle nuancé, la défense nationale ne doit pas être utilisée « pour cacher des crimes, parce que là on devient des criminels ».

Sur C médiatique (France 5), Ariane Lavrilleux a déclaré ce dimanche 24 septembre : « Les jours passent et je suis de plus en plus en colère, de plus en plus scandalisée de ce qui m’est arrivé », ajoutant « parce qu’on a détourné des moyens de la lutte antiterroriste pour traquer une journaliste ». Ariane Lavrilleux a par ailleurs obtenu de nombreux soutien, notamment de la part de ses confrères, mais également d’ONG telles qu’Amnesty International.

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