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Accord UE-Mercosur : inquiétudes et colère dans les milieux agricoles européens

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Une manifestation des agriculteurs contre l'accord de libre-échange entre l'UE et les pays du Mercosur, à Crespin.

Photo: FRANCOIS LO PRESTI/AFP via Getty Images

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Durée de lecture: 6 Min.

Le projet d’accord commercial entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) suscite une vive inquiétude dans les milieux agricoles européens, qui redoutent une déstabilisation de filières déjà fragiles. En France, première puissance agricole du continent, les syndicats dénoncent un texte « déséquilibré » et « obsolète », négocié depuis vingt-six ans.

L’accord prévoit de faciliter les échanges entre les deux blocs : l’UE réduirait ses droits de douane sur plusieurs produits agricoles latino-américains – viande bovine, porc, volaille, sucre, riz ou miel – tandis que le Mercosur ouvrirait davantage son marché aux produits européens, notamment les alcools, chocolats, fromages, lait en poudre et huile d’olive.

Des quotas qui attisent la méfiance

Selon Bruxelles, les volumes concernés restent limités : 99.000 tonnes pour la viande bovine (1,6% de la production européenne), 180.000 tonnes pour la volaille (1,4%) et 190.000 tonnes pour le sucre (1,2%). Au-delà de ces quotas, les droits de douane redeviendraient « quasiment prohibitifs », assure la Commission européenne.

Mais sur le terrain, les producteurs jugent ces garanties insuffisantes. Ils craignent une concurrence déloyale fondée sur des normes sociales, environnementales et sanitaires bien moins strictes qu’en Europe. Pour les éleveurs bovins, le risque est particulièrement fort : les 99.000 tonnes de viande importées pourraient se concentrer sur les morceaux nobles (l’aloyau), représentant jusqu’à un quart de la production européenne.

Le Mercosur fournit déjà la majeure partie des importations de ces coupes, à des coûts inférieurs de 18% à 32%, selon l’Institut de l’élevage.

Des garanties européennes jugées insuffisantes

Pour tenter d’apaiser les craintes, la Commission a proposé début septembre des clauses de sauvegarde renforcées en cas de hausse brutale des importations ou de chute des prix, incluant un suivi spécifique des « produits sensibles ». « S’il existe un préjudice sérieux ou un risque, l’Union peut décider de limiter ces importations à la suite d’une enquête », explique un haut fonctionnaire européen.

Ces engagements ne rassurent pas les milieux agricoles. À Bruxelles, on insiste pourtant : « tout produit du Mercosur doit respecter les normes strictes de l’UE en matière de sécurité alimentaire ». Mais les syndicats rappellent les failles récurrentes des contrôles.

Des doutes sur la traçabilité et les contrôles

« En théorie, la viande traitée aux hormones de croissance ne peut entrer dans l’UE, mais en pratique, la traçabilité est imparfaite », observe l’économiste Stefan Ambec, coauteur d’un rapport remis au gouvernement. « Il y a des audits d’abattoirs organisés avec la Commission, mais on ne suit pas facilement le bétail avant cette étape, excepté en Uruguay », ajoute-t-il.

Un audit européen mené fin 2024 a d’ailleurs mis au jour des failles dans les contrôles de la viande bovine au Brésil, notamment sur « la fiabilité des déclarations sous serment des opérateurs » quant à l’usage d’hormones interdites en Europe.

La Commission affirme continuer à travailler « sur les contrôles sanitaires et phytosanitaires », assurant qu’« il n’y a pas de risque accru sur la qualité des produits » et que seules les exploitations autorisées du Mercosur peuvent exporter vers l’UE.

Une opposition persistante en France

En France, la ministre de l’Agriculture Annie Genevard a réaffirmé son opposition à l’accord, malgré la présentation des clauses de sauvegarde. Le président Emmanuel Macron, qui avait indiqué en juin être prêt à le signer d’ici fin 2025 « sous condition », est désormais soupçonné par plusieurs syndicats d’entretenir un « double discours ».

« Il veut faire croire que la France s’oppose à l’accord pour éviter de grands mouvements de contestation », fustigent plusieurs responsables agricoles. Face à l’instabilité politique actuelle, ils réclament désormais une position claire et ferme du chef de l’État.

L’agriculture locale sacrifiée ?

L’un des reproches centraux formulés par les opposants à l’accord réside dans sa logique économique : il favoriserait les exportations de voitures et de machines-outils européennes, en contrepartie d’une ouverture accrue du marché agricole à des produits sud-américains à bas coûts. Pour de nombreux syndicats, le compromis revient à sacrifier l’agriculture locale sur l’autel de l’industrie automobile et manufacturière, mettant en péril des dizaines de milliers d’exploitations et d’emplois ruraux.

Au-delà du secteur agricole, l’accord couvre aussi les biens industriels et les services. Il doit permettre aux entreprises européennes d’exporter plus facilement des voitures, des pièces détachées, des machines-outils, des équipements médicaux et des produits chimiques vers les pays du Mercosur, qui appliquent encore des droits de douane élevés sur ces catégories. En retour, le bloc sud-américain bénéficierait d’un meilleur accès au marché européen pour ses matières premières, ses métaux, son cuir et certains produits manufacturés.