L’agrile du frêne: l’insecte qui ravage nos forêts

4 août 2015 16:56 Mis à jour: 14 mars 2016 22:29

Qui pourrait croire, au premier coup d’œil, qu’un joli insecte vert émeraude tel que l’agrile du frêne cause tant de dommages aux forêts d’Amérique du Nord? En effet, selon le site web du Conseil québécois des espèces exotiques envahissantes, l’agrilus planipennis est un insecte ravageur exotique vivant naturellement dans le nord-est de la Chine, dans la péninsule coréenne et dans l’est de la Russie. Or, tel que l’exprime Jacques Brodeur, chercheur à l’Institut de recherche en biologie végétale: «Dans son aire d’origine, l’agrile a plusieurs ennemis naturels, que ce soit des parasites, des champignons, des bactéries qui exercent un certain contrôle sur les populations. Lorsque l’agrile a été introduit ici en Amérique, […] [étant donné l’absence de prédateurs] sa population a explosé.»

En effet, son étendue géographique croît rapidement et lorsque les symptômes d’infestation apparaissent, il est souvent trop tard pour en freiner la progression. À l’heure actuelle, l’agrile du frêne aurait décimé près de 100 millions de frênes. Notamment, en raison de l’augmentation du commerce international et du réchauffement climatique, la problématique des espèces exotiques envahissantes risque d’être de plus en plus importante au Québec. Pour cette raison, selon les experts, il importe de varier les espèces que l’on implante dans les aménagements urbains et forestiers afin d’augmenter la résilience des écosystèmes face à ces bouleversements.

Il est probable que l’insecte ait fait son entrée en Amérique du Nord au début des années 1990 par le biais de navires du commerce international ayant transporté du bois d’emballage contaminé. L’insecte aurait été détecté seulement au début des années 2000 dans la ville de Détroit aux États-Unis et à Windsor en Ontario, peu après. Il serait actuellement présent dans les régions de l’Outaouais, de la Montérégie et sur les couronnes nord et sud de l’île de Montréal où elle a fait son entrée en 2011. Selon Radio-Canada, au cours de la dernière année, le nombre de frênes dépistés positifs à Montréal aurait plus que doublé, passant de 205 à 572 spécimens entre les mois de février 2014 et 2015 et 1000 frênes auraient été abattus en 2014 seulement. L’insecte ne vole pas sur de longues distances. Le principal vecteur de propagation serait le déplacement par l’humain du bois ou du matériel de pépinière infestés.

Six frênes ayant succombé à l'agrile au coin du chemin Queen-Mary et de l’avenue Decelles, sur le terrain de l'Université de Montréal. (Frédérique Binette/Epoch Times)
Six frênes ayant succombé à l’agrile au coin du chemin Queen-Mary et de l’avenue Decelles, sur le terrain de l’Université de Montréal. (Frédérique Binette/Epoch Times)

Le tragique réside dans le fait que près du tiers des arbres du domaine public montréalais sont des frênes. En effet, la vie des arbres en ville est très dure et ces derniers subissent de multiples agressions: pollution atmosphérique, espace exigu pour le développement des racines, absorption du sel de déglaçage des trottoirs, écorchure du tronc lors du déneigement, etc. Ainsi, de nombreuses municipalités avaient privilégié les plantations de frênes en bordure de rue en raison de leur exceptionnelle résistance à ces facteurs par rapport à d’autres espèces d’arbres plus sensibles.

Non seulement avaient-ils été plantés en grand nombre sur l’île de Montréal, mais on en trouve également de nombreux spécimens naturellement présents dans le parc du Mont-Royal. En effet, tel que l’explique Éric Richard, biologiste de formation et directeur des services éducatifs aux Amis de la Montagne: «À peu près un arbre sur trois en ce qui concerne les arbres matures est un frêne. On a beaucoup de frênes en partie parce qu’il y a eu de nombreux épisodes de perturbations sur la montagne au cours des 50 à 60 dernières années, ce qui a favorisé son développement.»

En effet, selon le site officiel du Mont-Royal, de nombreux aménagements ont eu lieu au cours des dernières décennies: création de cimetières, construction d’hôpitaux, de pavillons collégiaux et universitaires, de routes et d’aires de stationnement, implantation d’une tour de télécommunications, etc.

Outre ces aménagements, Éric Richard note: «Il y a eu plusieurs coupes dans les années 1940 et 1950 qu’on a appelées “les coupes de moralité” […] Dans les parcs, il se passait beaucoup d’activités la nuit et, sous l’administration Drapeau, on voulait régler différents problèmes à Montréal. […] Donc on avait décidé, par mesure de sécurité publique, de morale publique, d’éclaircir les sous-bois. […] Une dizaine d’années plus tard, la Ville a dû replanter des dizaines de milliers d’arbres sur le sommet pour essayer de régler les problèmes d’érosion qui s’étaient créés.»

Ce n’est pas tout. En 1998, la tempête du verglas qui a frappé le nord-est de l’Amérique n’a pas épargné notre métropole. Outre l’écroulement des pylônes de plusieurs lignes à haute tension et les dommages causés aux propriétés, de nombreux arbres ont été endommagés sur l’île.

Toutes ces perturbations ont créé des troués dans le parc du Mont-Royal, ce qui a favorisé le développement du frêne. «Quand on coupe une forêt complètement, en général ce sont les arbres qui aiment la lumière qui vont pousser plus vite, qui vont s’installer, donc souvent ce sont les peupliers, les bouleaux […], alors que l’érable et le chêne vont prendre plus les zones ombragées», explique M. Richard. «Le frêne est un arbre qui profite plus des ouvertures. […] Il n’aime pas trop la lumière, mais il est capable de pousser à l’ombre, donc il va profiter des éclaircies pour s’installer.»

Les signes et symptômes

L’attaque de l’agrile du frêne est pernicieuse et doit être détectée rapidement par des spécialistes. L’insecte commence par pondre ses œufs à la cime, dans les cannelures de l’écorce et grignote les feuilles des tiges les plus hautes. Or, ce sont les larves qui causent le plus de dommages. Elles pénètrent sous l’écorce et se nourrissent du phloème de l’arbre où circule la sève. Petit à petit, ces dernières creusent des galeries qui bloquent complètement la circulation des sucres et des éléments minéraux.

Galeries creusées par les larves sous l'écorce, dans le phloème. (Frédérique Binette/Epoch Times)
Galeries creusées par les larves sous l’écorce, dans le phloème. (Frédérique Binette/Epoch Times)

Lorsque au stade adulte, l’agrile émerge de l’écorce en perçant un trou de sortie, en forme de D. Le dégarnissement de la cime et le jaunissement des feuilles sont les premiers signes d’infestation. L’arbre produit aussi des «gourmands», c’est-à-dire des pousses à la base du tronc. Lorsque les signes de présence de larves sont visibles à la base de l’arbre (galeries sous l’écorce et trous de sortie), il est généralement trop tard pour le sauver. Les premiers symptômes apparaissent environ une à deux années après le début de l’infestation et l’arbre dépérit souvent en moins de quatre ans.

(Frédérique Binette/Epoch Times)
(Frédérique Binette/Epoch Times)

Les solutions

La stratégie la plus souvent adoptée par les municipalités est de traiter les arbres qui ne sont pas ou peu infestés, en particulier les frênes matures, dans certaines zones ayant été ciblées comme étant plus à risques et d’abattre les frênes infestés et qui ont déjà perdu plus de 30% de leur feuillage. En effet, étant donné les nombreux services écologiques qu’ils rendent à la ville (purification de l’air, lutte aux îlots de chaleur, rétention des eaux de pluie, etc.), les arbres matures en particulier jouent un rôle de première importance dans le paysage urbain. Par ailleurs, la Ville de Beaconsfield estime qu’un arbre mature peut représenter jusqu’à 18% de la valeur foncière d’une propriété.

Le TreeAzin est le biopesticide privilégié pour contrôler l’infestation. Il est fabriqué à partir des semences du neem (ou margousier), une plante utilisée ancestralement en Asie et en Afrique pour ses propriétés médicinales et insecticides. L’injection de TreeAzin doit être faite par un spécialiste, tous les deux ans. Le coût varie en fonction du diamètre de l’arbre, mais avoisine les 200 $. Certaines municipalités remboursent une partie de ces frais – informez-vous! Quant à l’abattage, les coûts peuvent atteindre plusieurs centaines à plusieurs milliers de dollars selon la grosseur et l’emplacement de l’arbre.

Par ailleurs, une stratégie novatrice est mise à l’épreuve actuellement, soit la lutte biologique. En effet, la Ville de Montréal, en collaboration avec le Service canadien des forêts et l’Institut de recherche en biologie végétale, réalise des essais pour introduire un des parasites naturels de l’agrile du frêne: une guêpe asiatique (Tetrastichus planipennisi).

Deux sites de relâches sont actuellement à l’étude, le Jardin botanique de Montréal et le Bois-de-Liesse. «Si on se fie aux données américaines, ça prend environ deux à trois ans pour observer l’établissement des populations du parasitoïde et son impact bénéfique», selon Jacques Brodeur. «C’est un processus naturel qui prend quelques années avant de se mettre en place. Ce qui est intéressant, c’est qu’une fois que le parasite est introduit, il peut y avoir un effet à très, très long terme.» Des recherches similaires ont été entreprises ailleurs au Canada et aux États-Unis en milieu forestier, mais c’est à Montréal qu’elles sont conduites pour la première fois en milieu urbain.

Or, cette stratégie comporte aussi des risques. Outre l’agrile du frêne, une espèce exotique, il y a plusieurs espèces d’agriles qui sont indigènes au Québec. Cette guêpe va-t-elle affecter ces populations et rompre d’autres équilibres écologiques? «Le niveau de spécificité [de la guêpe asiatique vis-à-vis de l’agrile du frêne] est très grand. Il y a toujours un risque que d’autres agriles soient attaqués par le parasite. C’est quand même minime», indique M. Brodeur. «Depuis quelques années, il y a une entente entre le Mexique, les États-Unis et le Canada pour gérer l’introduction d’agents de lutte biologique. Il faut que ça passe à travers tout un processus […] avant qu’une autorisation ne soit émise.»

En effet, l’introduction de certaines espèces exotiques, même planifiée et de bonne foi, a parfois eu des effets néfastes. La coccinelle asiatique est un cas d’école, tel que l’exprime Jacques Brodeur: «À l’origine, la coccinelle avait été introduite parce qu’elle contrôlait les populations de pucerons dans diverses cultures […] sauf qu’on s’est rendu compte qu’elle était beaucoup trop agressive, envahissante, et maintenant c’est devenu un problème écologique parce qu’elle déloge des populations de coccinelles indigènes dans certaines régions. […] Ça, c’est une erreur qui a été faite dans le passé et c’est peut-être la plus connue ici, au Québec. Or, il y a aussi de nombreux exemples positifs d’introduction d’agents de lutte biologique (parasites, microorganismes) qui ont des effets bénéfiques, notamment en culture maraîchère.»

Conclusion

Étant donné l’abondance des échanges de commerce international, conjuguée au phénomène du changement climatique qui rend le climat plus propice à l’établissement de certaines espèces au Québec, il est à prévoir que des bouleversements écologiques, tels que celui de l’agrile du frêne, se reproduisent au cours des prochaines années.

Par ailleurs, bien que plus médiatisé, l’agrile du frêne n’est pas le seul pathogène à faire des ravages actuellement dans notre province: le noyer cendré est en déclin considérable en raison d’un champignon exotique (le chancre du noyer cendré). «Ici, sur le Mont-Royal, presque tous nos noyers sont affectés par ce champignon-là», précise Éric Richard. «On a beaucoup de plantes et d’espèces exotiques qui sont devenues des espèces envahissantes sur le Mont-Royal comme le nerprun cathartique qu’on essaie de limiter en le coupant.» Aussi, si on remonte dans l’histoire, dans les années 1930, à la suite de l’introduction de bois contaminé par un champignon en provenance d’Europe, de nombreux ormes du Québec ont succombé à la maladie hollandaise.

L’infestation par l’agrile du frêne était-elle prévisible au Québec? «Ah oui, c’était écrit dans le ciel, c’était inévitable. Si l’on se fie aux scénarios qu’on a observés dans les années passées dans le Midwest américain, en Ohio, dans le sud de l’Ontario, une progression vers le nord, vers Ottawa, c’était sûr que ça allait arriver à Montréal ou au Québec, c’était juste une question de temps», affirme M. Brodeur.

Et que peut-on faire pour la suite? Tous s’entendent sur l’importance de favoriser la biodiversité. «Si on apprend de nos erreurs, il ne faudrait pas mettre tous les œufs dans le même panier et faire comme on a fait avec le frêne, de le planter pendant des années et des années», souligne Jacques Brodeur. «Il faut diversifier nos arbres urbains pour que, s’il y a un problème similaire à l’avenir, ce soit moins tragique

«Comme on est en milieu urbain, c’est sûr qu’ici [dans le parc du Mont-Royal], on a pas mal toutes les menaces qui affectent la biodiversité […] si on réussit à la conserver [la biodiversité] sur le Mont-Royal, je pense que ça pourrait être encourageant pour le reste de la province», explique Éric Richard. En effet, ce dernier ne se décourage pas: «J’essaie d’être toujours un peu plus optimiste. Il y a des zones du parc qui sont en meilleur état qu’elles étaient il y a 20 ans, et la forêt a fait preuve de résilience dans le sens qu’elle a été capable de se régénérer. […] Je me dis, l’agrile ça va être un autre élément. On espère que la forêt va être capable de réagir et que, si on lui donne un petit coup de main, ça va l’aider à passer à travers cette nouvelle crise-là et qu’il n’y en aura pas trop d’autres tout de suite.»

Comment identifier un frêne?

Une feuille de frêne comprend plusieurs «folioles». Par exemple, sur la photo, les sept «petites feuilles» sont en fait des folioles et, ensemble, elles composent ce qui est considéré comme étant une seule feuille. Pour le frêne, les folioles sont opposées les unes par rapport aux autres. Sur la photo, nous en voyons trois paires, plus une foliole à l’extrémité. Attention, les feuilles du frêne peuvent être confondues à celles de l’érable à Giguère qui est abondant en ville. L’érable à Giguère a des folioles dentelées alors que pour le frêne, elles sont lisses. (Keith Kanoti, Maine Forest Service, Bugwood.org)
Une feuille de frêne comprend plusieurs «folioles». Par exemple, sur la photo, les sept «petites feuilles» sont en fait des folioles et, ensemble, elles composent ce qui est considéré comme étant une seule feuille. Pour le frêne, les folioles sont opposées les unes par rapport aux autres. Sur la photo, nous en voyons trois paires, plus une foliole à l’extrémité. Attention, les feuilles du frêne peuvent être confondues à celles de l’érable à Giguère qui est abondant en ville. L’érable à Giguère a des folioles dentelées alors que pour le frêne, elles sont lisses. (Keith Kanoti, Maine Forest Service, Bugwood.org)

Les frênes matures (photo A) ont une écorce épaisse avec des cannelures qui s’entrecroisent et rappellent des formes de losanges. La photo B montre l’écorce d’un jeune frêne qui est plutôt lisse et mince.

(T. Davis Sydnor, The Ohio State University, Bugwood.org)
Photo A (T. Davis Sydnor, The Ohio State University, Bugwood.org)
Photo B (Becca MacDonald, Sault College, Bugwood.org)
Photo B (Becca MacDonald, Sault College, Bugwood.org)

Bon à savoir

  • Il existe deux techniques de dépistage avant l’apparition de symptôme d’infestation, l’un par écorçage et l’autre à l’aide de piège collant. Dans les deux cas, elles doivent être conduites par un professionnel.
  • Pour les résidents de la ville de Montréal: une zone considérée comme étant à risque couvre un rayon de 300 mètres à partir duquel des frênes infestés ont été détectés. Consulter le site de la Ville de Montréal pour connaître les zones à risque. On y trouve des cartes ainsi qu’un moteur de recherche par code postal. Si vous êtes propriétaire d’un frêne dans une zone à risque, en vertu du Règlement relatif à la lutte contre la propagation de l’agrile du frêne sur le territoire de la Ville de Montréal en vigueur depuis le 1er juin 2015, vous avez l’obligation de traiter tous les frênes de votre terrain (sauf exception pour les frênes morts ou dont le dépérissement est avancé ou qui sont très jeunes – voir détails sur le site officiel). Vous êtes également admissible à une réduction de coût de 50% pour le traitement en faisant affaire avec une entreprise participant au programme de subvention. Le traitement doit avoir lieu entre le 15 juin et le 31 août, période du stade adulte de l’agrile.
  • Pour les résidents de la ville de Montréal: si vous avez sur votre terrain un frêne mort ou en dépérissement et ayant perdu plus de 30% de ses branches, vous avez l’obligation de demander un permis d’abattage (qui est gratuit) à votre arrondissement et de le faire abattre entre le 1er octobre et le 31 décembre de l’année en cours. Mieux vaut faire l’abattage dans les meilleurs délais parce qu’un frêne mort coûte plus cher à faire abattre. Un permis n’est pas exigé pour l’abattage des frênes très jeunes; des règles très strictes s’appliquent quant au déplacement et à la disposition du bois de frêne coupé – informez-vous!
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