Le long chemin pour contrer la guerre de la Chine contre la religion

Par Ethan Gutmann
18 mai 2023 08:01 Mis à jour: 19 mai 2023 09:39

C’est le matin à Istanbul. Or, Joseph repense à sa routine matinale dans le camp, celle avant que ne commence son service de 16 heures. Après que les prisonniers entonnent des chants communistes pour leur petit-déjeuner, les gardes chinois leur font visionner une vidéo tournée dans le style « cinéma vérité ». On y voit d’abord des agents chinois en civil s’attaquer à des Ouïghours, les entasser dans des voitures banalisées et leur mettre des sacs sur la tête.

Ensuite, la caméra s’éloigne, montrant non pas la Chine, mais une rue étrangère avec des panneaux en allemand, en arabe ou en anglais. Selon Joseph, le film est une moquerie : Essayez de fuire, je vous prie. Nous sommes partout. Même à Washington, D.C.

« Des caméras de télévision nous filmeront-elles à Washington ? »

« Peut-être, Joseph. Vous êtes les premiers chrétiens à sortir des camps et à entrer aux États-Unis. La première famille kirghize. Peut-être même la première famille intacte. »

« Vous vous assurerez qu’il n’y a pas de médias chinois là-bas, n’est-ce pas ? »

« Je ne peux pas faire ça, Joseph. Les États-Unis sont un pays libre. »

Julie, la femme de Joseph, ne peut s’empêcher de demander : « On peut se couvrir le visage alors ? »

« Non. »

Joseph sourit d’un air triste : « Redis-moi. Pourquoi devons-nous faire cela ? »

« C’est ce qu’on appelle la ‘formation media’. Nous voulons simplement que tu sois à l’aise devant la caméra. Écoute Joseph, la presse s’intéresse à toi. Si la presse ne s’intéressait pas à toi, nous attendrions beaucoup plus longtemps à Istanbul. »

Le nom de naissance de Joseph est Ovalbek Turdakun. J’utilise le nom chrétien qu’il a adopté pour ne pas porter atteinte à sa chance quasi surnaturelle. Miracle n° 1 : Julie a fait sortir son mari des camps du Xinjiang en moins d’un an. Miracle n° 2 : avec leur fils de 9 ans, la famille a franchi la frontière chinoise pour se rendre au Kirghizstan, où j’ai interviewé Joseph pour la première fois. Miracle n° 3 (le « miracle de Noël ») : le 15 décembre 2021, 48 heures avant qu’un sac ne couvre la tête de Joseph, mon ami Conor Healy a permis à la famille de quitter Bichkek et de prendre un vol à destination d’Istanbul.

Une spécialiste britannique des médias partage notre conversation à distance. Sentant que Joseph est à l’aise, elle parle chinois:

« Joseph, il y a une question que tout journaliste vous posera : nous avons tous entendu le gouvernement chinois affirmer que les ‘camps de rééducation’ sont terminés. Que vous avez tous été réformés. Aujourd’hui, les camps sont fermés. Il n’y a plus de travail forcé. Tout le monde est rentré chez soi. »

Joseph demeure silencieux pendant un moment. Puis il dessine sur un bloc-notes devant lui. La voix basse, il explique : « Laissez-moi vous parler de mon camp, des bâtiments où j’ai vécu. »

« Les murs étaient épais de 15 cm. Exactement. Du béton armé. Je crois qu’il y a un cadre métallique à l’intérieur. Les portes des cellules sont aussi épaisses, quelques centimètres de moins, mais elles sont en métal. Comme un coffre-fort de banque, vous voyez ? Chaque porte est équipée de huit serrures électroniques : deux de chaque côté, en haut et en bas. Quand ils ouvrent cette porte, on peut entendre les verrous claquer. »

Joseph tambourine ses doigts sur la table : « L’un après l’autre. Maintenant, la porte peut s’ouvrir. Mais il y a une énorme barre d’acier au milieu. Cette barre maintient la porte sur le cadre en béton. Il n’y a donc qu’une fente dans la porte, juste assez grande pour qu’un prisonnier puisse passer la tête en dessous, juste assez large pour qu’il puisse se faufiler à travers. Chaque prisonnier met deux minutes à franchir cette porte et près d’une heure est nécessaire pour vider la cellule – en moyenne, vous comprenez. Ce temps perdu n’a pas d’importance pour la police. Empêcher les évasions est leur seule préoccupation. Les coins sont tous arrondis, de sorte qu’il est impossible de s’y cogner la tête pour s’enfuir ensuite, d’une manière ou d’une autre, de l’hôpital. Chaque prisonnier se voit attribuer trois policiers. Si vous êtes grand et gros, vous en avez cinq. »

Joseph explique que même si la police disparaissait miraculeusement au cours d’une catastrophe naturelle, la robustesse des murs transformerait le camp en tombe collective : « Même un tremblement de terre de magnitude 7 ne pourrait nous affranchir d’une telle structure. »

« Vous croyez que des camps sont construits comme ça pour un an ou deux ? » demande Joseph. Son regard se pose sur l’écran, puis sur moi. « Non, bien sûr. C’est pour une longue période. C’est permanent. »

C’était notre dernière « formation médias ». Trois semaines plus tard, nous nous sommes envolés pour l’aéroport international de Dulles. Les fonctionnaires américains ont accueilli la famille Turdakun à l’aéroport avec des casquettes de baseball des Washington Nationals et des biscuits aux pépites de chocolat fraîchement cuisinés. Miracle n° 4 : les États-Unis ont réussi. Pourtant, nous n’avons pas déployé autant d’efforts pour sauver Joseph que s’il avait détenu des documents du Parti communiste chinois (PCC) ou des secrets nucléaires. Nous avons sauvé Joseph parce qu’il a un super pouvoir : une mémoire absolue, une mémoire presque photographique de la disposition interne du camp, un aperçu fugace de la salle de viol et l’emplacement exact de chaque caméra Hikvision, y compris celle qui se trouve au-dessus des toilettes. Chaque jour, Joseph chuchotait à ses compagnons de cellule des questions sur le camp, jusqu’à ce que l’un d’eux lui réponde : « Tu essaies de faire des estimations chiffrées, n’est-ce pas ? Cesse immédiatement. Tu vas tous nous faire tuer. »

Le hasha

À la recherche de réfugiés ouïghours, qu’ils aient ou non un statut légal, j’ai voyagé en Asie centrale et en Turquie. Les autorités locales considèrent, à juste titre, que ce type d’enquête nuit à leurs relations avec la Chine. La plupart d’entre eux ayant de la famille en Chine, je n’ai pas exigé de noms. J’ai enregistré leur témoignage, je l’ai envoyé de façon sécuritaire puis je l’ai effacé de mon appareil mobile.

J’ai interrogé un vieil homme ouïghour – barbe blanche classique, regard fixe – dans un village du sud du Kirghizistan, près d’Osh. Ce dernier a grandi dans le Turkestan oriental (que les Chinois ont rebaptisé « Xinjiang », littéralement « nouvelle terre »). En 1985, les autorités chinoises locales lui ont ordonné de travailler environ trois jours par mois. Lorsque je lui ai demandé quel travail faisait-il pour la Chine, il a souri devant la formalité de ma question et a répondu : « J’ai pelleté de la merde pour le Parti. »

Un intellectuel chinois, aussi appelé de la « classe noire », envoyé à la campagne pendant la Révolution culturelle aurait pu parler de ce type d’expérience pendant des heures. Même Xi Jinping mentionne s’être fait asperger de fumier sur le visage alors qu’il était secrétaire du parti dans un village. Pour les Chinois Han d’un certain âge, il s’agit là d’un humble rite de passage. Leurs enfants n’auront jamais à occuper de tels emplois. Pourtant, pas un seul Ouïghour ou Kazakh ne m’a raconté son histoire de cette manière.

Vétéran de « plus de 40 » missions de travail forcé, Abdurehim Parach, intellectuel et poète ouïghour, incarne le stoïcisme ouïghour. Le travail forcé ouïghour est bien antérieur à la plume des journalistes occidentaux sur le sujet, dit-il. « Tout n’a pas commencé avec Xi Jinping. » Imaginez plutôt l’histoire de la grenouille (le peuple ouïghour) dans la marmite, qui tente de plus en plus vainement de sortir. Ayant grandi dans un village de 3000 habitants ouïghours dans la région de Kashgar, j’ai demandé à M. Parach si, en 1985, alors qu’il avait neuf ans, le contrôleur de son village était chinois ou ouïghour. « À l’époque, cela n’avait pas d’importance », répondit-il.

« Depuis cette époque, je sais qu’il y a du hasha – hasha signifie travail forcé – dans mon village. » M. Parach décrit cette pratique comme un moyen, pour les pauvres, de payer les impôts. Chaque année, les familles ouïghoures désignaient une personne pour aller aux champs pendant deux semaines, ou pour collecter de l’argent en vue d’un pot-de-vin. Si la « personne choisie » ou le pot-de-vin ne se présente pas, la famille est passible d’une une amende. « Pour la population ouïghoure, il était normal de travailler gratuitement pour l’État (…) il s’agissait d’un hasha traditionnel et normalisé. Et nous n’étions pas en désaccord avec cela. Pas du tout. »

Le hasha lui-même avait souvent peu d’impact en termes de rendement net des cultures, mais pour les membres locaux du parti, le travail forcé constituait une monnaie d’échange.

M. Parach considérait cette petite bureaucratie comme un petit prix à payer si les Ouïghours sont laissés tranquilles : deux jours de travail par mois et par famille. La confiscation des terres n’est envisagée qu’en dernier recours. Pas de gardes armés patrouillant dans les champs de coton. Aucun fils séparé de sa famille pendant plus d’un mois. Les femmes ouïghoures ne font pas de hasha.

Or, en janvier 1994, raconte M. Parach, le vent a tourné : « L’hiver était glacial, très froid. Mes amis et moi glissions sur l’étang gelé pour nous rendre à la hasha. » Au point de rassemblement, « les autorités chinoises nous ont ordonné de débarrasser de la glace toutes les rigoles d’irrigation ».

Les jeunes hommes pensaient qu’il s’agissait d’une plaisanterie : « Cela pourrait être compréhensible ailleurs. Mais il n’y avait plus d’eau dans le système d’irrigation. À Kashgar, l’hiver est très sec. Au printemps, une pluie fraîche fait fondre la glace en quelques heures. » Les garçons ont supposé qu’il s’agissait d’une sorte de jeu « pour nous occuper, pour nous empêcher de nous rassembler ou pour nous empêcher de comploter contre l’État ». L’un d’entre eux a osé dire : « Il n’y a aucune raison d’enlever la glace. »

Les Chinois ont réagi en faisant appel à tout le village. « Nous avons passé trois jours à utiliser des pioches et des pelles sur les quatre kilomètres de glace qui s’étaient formés sur le canal d’irrigation (…) chaque famille a dû dégager cinq à dix mètres. » Ensuite, « Le Hasha est devenue interminable. [Au départ], les autorités avaient ordonné cinq jours de travail par mois (…) Or, il s’agissait maintenant de travail inutile : des récoltes de coton mal planifiées, le creusement d’un sol qui n’avait jamais été planté (…) tout cela pour s’assurer que nous n’ayons jamais de temps pour nous. »

« Yasin », un garçon de ferme aux yeux rieurs et plissés, a remarqué un changement cet été-là : les patrons chinois refusaient de fournir de l’eau potable dans les champs de coton pour « casser les travailleurs ».

Le 5 février 1997, les forces armées chinoises ont tiré sur des manifestants ouïghours à Ghulja. Si l’on inclut les arrestations massives qui ont suivi, Bahtiyar Shemshidin, un ancien agent du Bureau chinois de la sécurité publique à Ghulja, m’a dit que les estimations internes de la police faisaient état de 400 morts. À la suite des événements de Ghulja, un imam musulman et un garçon de ferme ont affirmé que l’obligation du hasha par famille avait doublé pour atteindre 70 jours par an. Yasin a vu les autorités chinoises ordonner aux Ouïghours de préparer les champs pour la plantation du coton. « Puis des entrepreneurs chinois Han, qui avaient apparemment passé un accord avec les autorités locales, sont venus planter le coton. »

Dans la préfecture d’Aksu, « River Boy » a grandi dans un village ouïghour sur les rives de la rivière Muzat. Il parle avec admiration du « froid intense » de la rivière et de son « courant extrêmement rapide et puissant, toujours en mouvement ». En 1998, alors que River Boy avait 17 ans, les contrôleurs du village ont annoncé que la rivière Muzat serait détournée et ont ordonné aux garçons ouïghours de se rendre au bord de la rivière. On leur a dit de poser des trépieds métalliques en travers de la rivière, qu’il s’agissait d’un travail facile, « pas d’un travail de soulèvement de grange ».

Or, les trépieds étaient aussi lourds que des obstacles antichars. Deux garçons étaient nécessaires pour les soulever, même pour quelques secondes, et ce travail devait se faire sous l’eau. Les garçons au visage de pierre sont donc restés immobiles, tandis que les ouïghours âgés descendaient vers la rivière et discutaient bruyamment entre eux. « Ils pourraient utiliser n’importe quelle machine lourde pour creuser, déplacer des fondations dans la rivière ou même déverser des pierres et du gravier dans la rivière. Mais au lieu de cela, ils veulent utiliser nos garçons ! » Les contrôleurs écoutèrent, se regroupèrent et déclarèrent brusquement que la grande poussée commencerait le lendemain.

Ce matin-là, les garçons et les aînés ont pris place. À l’improviste, un détachement de police est arrivé et « un policier chinois a tiré en l’air avec son pistolet ». Les aînés se taisent alors que « trois policiers poussent un garçon dans la rivière ». Paniqué, le garçon finit par retrouver son équilibre malgré le courant changeant, et les garçons commencèrent à déplacer les trépieds à l’intérieur de la rivière. Alors que deux garçons s’avançaient de quelques mètres dans la Muzat, le trépied s’enfonça profondément dans le lit de la rivière. Leur prise se déforma brusquement. Tout le monde regarda les garçons haleter et s’immerger, haleter et s’immerger – les yeux exorbités. Puis, tout à coup, certains se firent emporter par la rivière. « Les autres garçons (…) ont lutté pour regagner la rive. Certains pleuraient. ‘Nous ne voulons pas y retourner. Nous allons tous nous faire tuer’. »

Une équipe de recherche ouïghoure a descendu la Muzat. Quelques heures plus tard, ils ont transporté les corps des garçons jusqu’au centre du village où un millier d’Ouïghours attendaient. Cinq voitures de police sont arrivées. Une fois de plus, un seul policier a appelé à l’ordre et a tiré en l’air avec son pistolet. Cette fois, tout le monde a crié : « Tirez sur nous, tirez sur nous ! Regardez combien nous sommes ici ! Combien d’entre nous pensez-vous pouvoir tuer ? » La police recule lentement. Les Ouïghours ont envahi le détachement de police, leur arrachant les armes des mains. Le policier qui avait tiré le premier coup de feu de la journée a été attaché à l’avant d’un tracteur. Le point culminant de l’incident de Muzat fut lorsqu’un fermier ouïghour a poussé le policier dans la rivière, l’immergeant à plusieurs reprises, « jusqu’à ce qu’il supplie qu’on lui laisse la vie sauve ».

Avant le coucher du soleil, 30 soldats armés sont entrés dans le centre du village et ont effectué des raids de maison en maison. Les « séparatistes » ont été enlevés au petit matin et condamnés à trois ans de prison.

Aucune enquête n’a été menée sur les décès, le travail des enfants ou le plan de détournement. Le hasha local s’est poursuivi, mais l’envergure des projets a été discrètement réduite. Sur les rives de la rivière, les trépieds rouillent comme un monument cruel aux morts. Des tentatives de détournement de la Muzat n’eurent plus jamais lieu.

Une « éducation » supérieure

En septembre 1998, Meryem Sultan, 13 ans, faisait la queue pour entrer dans l’un des trois bus qui devaient emmener ses camarades de classe ouïghours dans une prison abandonnée du Tarim Laogai (travail forcé dans le Tarim). Là, les élèves dérouleraient leur couverture sur des bâches en plastique roulées à même le sol en ciment et cueilleraient du coton dans les champs pendant un mois.

Or, un seul bus est arrivé. Les administrateurs de l’école du « comté d’Onsu n° 1 » ont ordonné aux trois classes de s’y entasser. Pendant le trajet chaotique de quatre heures vers les champs de coton, un garçon de 15 ans, « Ali », a déclaré qu’il ne pouvait plus respirer et s’est effondré. Le bus a roulé pendant une heure avant de s’arrêter. Meryem a regardé Ali se faire transporter à l’hôpital.

Meryem était « une bonne cueilleuse » qui remplissait toujours le quota quotidien de coton. Et Ali était le frère aîné de sa meilleure amie. Cette nuit-là, alors qu’elle était allongée sur le sol de la prison abandonnée qui leur servait de dortoir, elle a imaginé qu’Ali se reposait lui aussi. Meryem savait que les étudiants chinois Han dormaient chez eux ce soir, mais le hasha faisait « partie de l’école ». Dans quatre semaines, elle rentrera elle aussi à la maison.

Le lendemain, on lui a annoncé la mort d’Ali, mais que sa famille a reçu mille dollars.

Des années plus tard, lorsque Meryem s’est inscrite à l’université de Pékin, elle a demandé au professeur : « Devrons-nous faire du hasha ? » et tout le monde a rit. « Cela m’a fait réfléchir à pourquoi nous devions obéir à toutes ces règles strictes (…) pour nous former à être comme des machines, à obéir sans poser de questions aux ordres reçus d’en haut, pour que nous n’écoutions que le Parti. »

Le Parti a récemment converti l’ancien collège de Meryem en camp de concentration. Meryem voyait « Ali dans ses rêves », mais c’était il y a longtemps.

Je n’ai jamais interviewé une femme portant un niqab. Le seul indice visuel dont je dispose est son regard, intelligent et expressif. C’était en mai 2007, au moment de la remise des diplômes. Rabiya avait 17 ans et avait été sélectionnée pour des « examens spéciaux » destinés à déterminer les « dispositions à prendre pour l’avenir ».

« Avant même de connaître les résultats de l’examen, j’ai été guidée, avec 25 autres jeunes étudiantes, dans une grande salle », se souvient-elle. Le directeur de l’école leur a annoncé qu’elles avaient été choisies pour « une opportunité formidable : des cours de formation gratuits, tels que l’étude de la langue chinoise, pour vous préparer à travailler dans les usines de Chine continentale ».

Le silence s’installe. « Aucune d’entre nous n’avait accepté de participer à un quelconque cours de formation », explique Rabiya. Les professeurs nous entouraient. Ils nous surveillaient. Même lorsqu’une fille devait aller aux toilettes, deux professeurs l’escortaient à l’aller et au retour. » Pour éviter tout conflit avec les parents à l’extérieur de l’école, les enseignants ont attendu. Douze heures plus tard, un bus est arrivé et les filles ont été emmenées dans l’obscurité au « lycée de formation professionnelle du comté de Payzawat ». Trois semaines plus tard, les filles ont été forcées de monter dans un train surveillé. À Tianjin, des responsables chinois les ont conduites dans une grande usine et leur ont dit : « Vous êtes le groupe numéro trois. »

Dans le même comté, une jeune femme ouïghoure de 16 ans, la « Graduation Girl », a été invitée à venir chercher son diplôme lors d’une « cérémonie spéciale ». Pourtant, une fois les élèves entrés dans l’auditorium, ils ont remarqué des agents de sécurité verrouiller les portes. Le professeur principal a levé les mains et attendu patiemment que les chuchotements cessent. Puis il a dit : « Vous allez aller en Chine intérieure. Et vous allez travailler. »

Les parents se sont rassemblés autour de l’entrée de l’école et un représentant a pris la parole : « Vos filles doivent se rendre dans les usines. Mais elles seront surveillées de près et en toute sécurité. » Le nouveau hasha exigé pour chaque famille ouïghoure correspond à une année de travail, a-t-il expliqué. Alors, si vous partez et rentrez chez vous dès maintenant ? Votre famille sera libérée du hasha jusqu’au retour de votre fille. Mais si « une fille ne se rend pas à l’usine (…) si ses parents essaient de mettre des bâtons dans les roues (…) les jours de hasha se multiplieront ».

Rabiya est certaine que 210 filles ouïghoures ont cousu des shorts masculins sur une chaîne de montage. Or, puisqu’elle ne sait pas lire les caractères chinois, la marque des vêtements, le nom de l’usine et son emplacement demeurent un mystère. Mais cela est sans importance. Il leur était interdit de quitter l’enceinte. Ils ne voyaient même pas les travailleurs chinois – Rabiya soupçonne qu’ils étaient payés à la pièce et qu’ils travaillaient à des heures normales. « Les seuls Chinois qui travaillaient la nuit étaient les directeurs. « Nous travaillions dans un grand hall, avec une caméra au centre – elle tournait pour surveiller les gens à leur convenance – et des caméras au plafond dans les quatre coins. Pour utiliser les toilettes, il fallait présenter une carte métallique. Si la caméra de surveillance ne décelait pas la carte, « nous étions toutes punies en perdant notre salaire ».

Les administrateurs de l’usine ont dit aux filles que leur salaire équivalait à 50 dollars (46 €) par mois. Deux semaines plus tard, on leur a dit : « Vous êtes venues à Tianjin en train. Vous devez donc maintenant payer votre billet. » Six mois plus tard, on leur a dit : « Vous devez payer votre billet de train pour le retour. »

Le salaire était donc en réalité de 35 dollars (32 €), à condition de respecter les quotas : « Certains jours, nous devions terminer 800 articles, d’autres jours 700 (…) Nous travaillions généralement jusqu’à minuit, voire 1 heure du matin. Vous savez, nous devions nous lever avant 6 heures du matin, mais ils ne se souciaient pas de notre épuisement. Même quand nous étions malades ». Tous les 15 jours, les filles avaient un jour de congé pour laver leurs vêtements. Rabiya raconte : « Nous étions encore très jeunes et nous n’avions jamais été séparées de notre famille aussi longtemps. Chaque fois que nous appelions nos parents, nous finissions par pleurer. » La mère de Rabiya lui disait : « Sois patiente, l’année va passer très vite. Par la grâce de Dieu, tu rentreras bientôt à la maison. » Mais sa voix se brisait, et Rabiya savait que sa mère luttait pour retenir ses larmes.

Au début du mois de septembre, la jeune fille diplômée a été placée dans un « train spécial sans voyageurs locaux, entièrement contrôlé ». Nous étions environ 150 dans chaque wagon, en plus des enseignants et des gardes. Les filles ont été emmenées dans une usine à Pékin pour coudre des sacs de mode pour Da Xing, une entreprise chinoise de vêtements, à raison de 10 à 12 heures de travail par jour. Les repas étaient de l’ordre de la subsistance afin d’inciter les filles à acheter des en-cas aux stands de nourriture de l’entreprise. « Il n’y a pas eu de violations ni d’humiliations officielles à l’encontre des Ouïghours (…) mais le racisme était omniprésent. Les travailleurs chinois nous disaient toujours : ‘Vous puez la graisse de mouton’. C’est ainsi qu’ils nous traitaient. »

Rabiya et ses collègues avaient un superviseur immédiat ouïghour. Ils l’appelaient « Oncle » et il était le paratonnerre de toutes leurs plaintes. Or, au milieu de l’année, à minuit, l’Oncle a confronté les directeurs d’usine chinois : « Vous faites travailler ces enfants pendant des heures extrêmement longues. Pourquoi leur mettez-vous autant de pression ? Pourquoi les exploitez-vous plus que nécessaire ? »

« Ils doivent continuer à travailler », a-t-on répondu. « Ils ne peuvent pas quitter le travail maintenant. »

L’Oncle fit le premier geste – une prise de bras. Il y eu une empoignade, une morsure, une contre-morsure, puis les Chinois ont battu l’Oncle « assez sévèrement ». Cette nuit-là, deux filles ouïghoures ont fait des plans secrets pour s’échapper, mais elles ont découvert qu’elles ne pouvaient pas monter légalement dans un train pour Urumqi. Une trêve s’installe.

Une nuit, à une heure du matin, l’Oncle s’adresse à nouveau aux directeurs d’usine : « Il est trop tard maintenant. Nous devons nous arrêter et laisser ces enfants se reposer, car ils travailleront aussi demain. »

« Ils doivent terminer la commande ! »

« Si vous ne leur permettez pas de se reposer, comment pourront-ils continuer à travailler ? »

Les bousculades reprennent. Puis les Chinois encerclent l’Oncle, le font tomber et le piétine « sans pitié ». Les filles ouïghoures ont commencé à lancer spontanément des pièces de machinerie. Mais les Chinois étaient distraits : l’oncle est-il en train de mourir ?

Alors que l’ambulance était en route, les événements se sont bousculés : L’oncle était parti, peut-être mort – le seul lien des filles avec Kashgar, avec le comté de Payzawat, le seul rempart qui empêchait les Chinois de les kidnapper toutes. Les filles se sont rassemblées sur le sol de l’usine, se tenant les unes les autres, gémissant, s’évanouissant, pleurant – priant pour que quelqu’un leur sauve la vie. Avant cela, la seule chose que Rabiya souhaitai était que vienne son tour pour rentrer à la maison. Maintenant, elle était frappée de sa peur la plus profonde : je ne reverrai jamais plus ma famille.

Le lendemain matin, un contingent d’administrateurs ouïghours est venu au dortoir. Les filles se sont levées ensemble et ont déclaré leur solidarité : « Nous ne travaillerons plus. »

« On leur a dit : ‘Vous avez un contrat d’un an. Ce n’est pas fini. Vous devez travailler, vous devez continuer. L’usine a une énorme commande à faire d’urgence. Vous devez l’honorer.' »

Sans argent, sans échappatoire et avec l’Oncle à l’hôpital, les filles se sont mises au travail en silence. Une fois l’année terminée, Rabiya est rentrée chez elle en train. Ses parents ont fait un pot-de-vin, qui a été accepté, et Rabiya n’est jamais retournée en Chine intérieure.

Le niqab de Rabiya était bien repassé. La façon dont Rabiya m’a raconté son histoire me montre qu’elle ne craint pas les imams locaux, et encore moins le regard d’un juif américain. Je soupçonne Rabiya de porter son niqab parce qu’elle ne fait confiance à personne.

Au cours de l’été 2008, les autorités chinoises ont renvoyé « Graduation Girl » et ses compagnons de travail dans un train à destination de Kashgar. Pour étouffer les rumeurs locales infondées selon lesquelles elle avait été violée en Chine intérieure, et pour éviter qu’elle ne soit entraînée dans une deuxième année de travail forcé, un garçon de ferme, « Batur », l’a épousée un an plus tard.

À l’époque, une fin heureuse était encore possible. Rappelez-vous les propos – « soigneusement supervisées » et « totalement sécuritaire » – que l’école a donnés aux parents. Malgré la terreur de Rabiya de se faire kidnapper et de ne plus jamais revoir sa famille, les femmes ouïghoures n’étaient pas systématiquement ciblées par le trafic sexuel à l’époque. Plutôt que de se réchauffer en cuillère avec leurs collègues sur un sol en ciment, Rabiya et la « Graduation girl » ont dormi sur des couchettes individuelles, à raison de 12 femmes ou de six femmes par chambre respectivement. Les deux femmes ont mangé de la nourriture halal. Personne n’a été contraint de manger du porc. Aucun micro ou caméra n’était visible dans le dortoir ou les toilettes. Les gardes chinois ne les ont pas violées. Dix ans plus tard, toutes ces menues protections ont disparu.

Peu après le mariage, le mari de la jeune « Graduation girl », Batur, s’est disputé avec un fonctionnaire chinois de bas niveau au sujet des enlèvements de jeunes filles ouïghoures lors de la remise des diplômes. La punition de Batur a consisté à effectuer des relevés de terres agricoles « au nom de l’État chinois ». Chaque année, les responsables du parti allouaient davantage de terres agricoles aux Chinois. Et s’ils avaient besoin d’irrigation, d’engrais, de routes, les autorités locales les leur fournissaient. Mais pas aux Ouïghours.

Pour un agriculteur ouïghour, la terre est ce qu’il y a de plus précieux. Batur doit maintenant comptabiliser le butin chinois. Batur ne se souvient pas des chiffres. Pourtant, à mesure que les terres ouïghoures reculaient, le travail dans les nouveaux champs chinois est devenu un engagement annuel de 100 jours auquel étaient astreintes les familles agricoles ouïghoures.

Un cuisinier ouïghour, Yusef, dirigeait une unité alimentaire mobile dans un vaste « bingtuan », des installations paramilitaires chinoises qui favorisent l’installation des Chinois Han. Yusef décrit son bingtuan comme « des champs sans fin, sans fin. Comme une mer sans fin. On ne voit pas les limites (…) Elle est trop loin. Les champs sont blancs de coton et tous les travailleurs sont des Ouïghours. Seulement des Ouïghours ».

Beaucoup d’entre eux étaient des étudiants ouïghours, arrachés de leur salle de classe et forcés d’écouter des discours motivationnels dans les casernes : « ‘Vous devez remercier l’Université du fond de votre âme de vous avoir donné ces conseils du Parti communiste chinois’ – [explétif] comme ça. » Mais Yusef affirme que tout se résumait à des soldats chinois armés patrouillant dans les champs. En juillet 2009, Urumqi a brièvement été le théâtre d’émeutes raciales entre Ouïghours et Chinois Han. Avant juillet, explique Yusef, « les soldats gardaient une apparence professionnelle ». Après juillet, le « racisme » des soldats a été ouvertement libéré. « Nous ne travaillons pas avec les Ouïghours », disent-ils avec mépris.

À partir de 2015, le Parti a ordonné la construction du camp. Une structure de surveillance de masse – utilisant des points de contrôle humains et des lecteurs électroniques pouvant déterminer à distance la race et le niveau de stress d’un individu – est devenue la norme. Fin 2016, un million de personnes étaient détenues dans les camps. Au départ, les camps étaient destinés à l’endoctrinement. Au fil du temps, ils sont devenus des lieux d’hébergement pour le travail forcé.

En 2019, j’ai interviewé des réfugiés dans un camp au Kazakhstan. Du côté des femmes, il y a un groupe d’adolescentes d’environ 18 ans qui peuvent quitter les camps plus tôt. L’annonce de la « remise des diplômes » est souvent faite au cours du déjeuner. Les administrateurs du camp mentionnent le travail à la ferme, la production de tissus ou le fait que « ces filles iront travailler dans une usine à l’Est ». Il n’y a rien de caché ici, de légers applaudissements sont encouragés. Le Parti nie l’incarcération de masse, la prise forcée de médicaments psychoactifs, la torture, le viol systématique, la stérilisation forcée, le rasage des cheveux pour l’exportation de perruques chinoises, la déportation massive des Ouïghours à l’étranger et la récolte systématique contrôlée par l’État. Le travail forcé a simplement été rebaptisé « programme d’emploi ».

Nés esclaves, étiquetés comme terroristes

De retour en Turquie, « Abraham » a pris la pleine mesure de la situation, simplement en me donnant un aperçu de sa famille. Sa femme et tous ses enfants sont incarcérés et travaillent ou sont placés dans des orphelinats. Ses trois frères sont en prison, l’un cueille du coton, les autres produisent du ciment. J’ai demandé à Abraham s’il lui arrivait de parler à sa famille. Il m’a répondu : « Il n’y a personne à la maison. Il n’y a que des enfants et des personnes âgées. Tout le monde est dans les camps, contraint de travailler. Ou dans un orphelinat. Ou en prison. »

Ce que décrit Abraham porte un nom : l’esclavage personnel. On naît esclave, un bien, sans droit à une famille. De nos jours, les blocs d’enchères sont électroniques, mais le résultat final est le même : déchirer la famille, briser la culture et réduire l’individu à une mule pour transporter des marchandises.

Il n’y avait rien d’inévitable à cela. Le PCC disposait de voies de sortie : le projet « Go West », par exemple. Construire des infrastructures modernes, attirer des fonds étrangers, mettre de l’argent dans les poches des Ouïghours. Ils s’assimileront. Nous ne saurons peut-être jamais si certaines factions du parti avaient des intentions relativement bonnes, bien que condescendantes, à l’égard des Ouïghours et des Kazakhs, car la véritable date clé pour le parti n’est pas l’incident de Ghulja, ni l’attentat de la gare de Kunming, ni les émeutes d’Urumqi. La seule date qui compte est celle du 11 septembre.

Présentés comme des mandataires de la CIA le 10 septembre, le parti a rebaptisé les groupes séparatistes ouïghours en terroristes islamiques le 12 septembre. Il y aura toujours des jeunes hommes qui prendront les armes – j’ai interviewé un Ouïghour qui s’était entraîné comme soldat rebelle – mais se concentrer exclusivement sur l’action et la réaction, c’est passer à côté des objectifs de la guerre du PCC contre le terrorisme. Le public visé est le Chinois Han. La guerre n’est pas destinée à être gagnée, mais à justifier l’assaut de l’État chinois contre les Ouïghours.

Pourquoi ? Ce n’est pas une explication sans équivoque, mais on peut trouver des schémas dans les témoignages des réfugiés, en particulier par ce qui est absent : l’islamophobie, par exemple, est à peine évoquée. Ou encore les musulmans Hui de Chine. On m’a dit que les Hui sont plus stricts dans leur pratique musulmane que les Ouïghours. Mais comme les Hui parlent le mandarin, ils ne semblent pas être détenus dans les camps. Pourtant, près de la moitié des réfugiés mentionnent le racisme des Chinois Han.

Je crois l’explication est plausible. Lorsque j’étais à Pékin, mes homologues chinois du monde des affaires savaient qu’un bon moment se passait dans un club ouïghour. Le plaisir consistait à se défier mutuellement de manger du pénis d’âne bouilli tout en regardant de prétendues « femmes ouïghoures », en tenue Kismet, se tordre et se retourner. Bonne musique. La meilleure de Pékin. Mais tout cela semblait transgressif, ségrégé et exploitant – peut-être comme les « clubs de jazz nègres » des années folles. Le racisme des Chinois Han est réel – pas comme les micro-agressions qui nous inquiètent en Occident. Il s’agit d’un racisme authentique du type « ces gens sont des singes ».

La question est de savoir à quoi ressemble réellement l’avenir de l’emploi des Ouïghours. Le travail en prison est mondialement négligé. Le dernier arrêt de la longue route des droits de l’homme. Pourtant, si le nombre brut de Ouïghours dans les camps est actuellement en baisse, beaucoup ont été transférés dans des prisons alors que les camps sont de plus en plus axés sur le travail forcé.

Ali, un homme d’une quarantaine d’années, est à la fois tendu et ridé, sous-alimenté, avec des yeux intelligents. Il s’agit exactement ce que l’on peut attendre d’un homme qui a vécu ce qu’il appelle « 12 ans d’esclavage (…) je n’ai jamais été payé par l’État chinois pour aucun des travaux effectués ».

Ali a été détenu en 1998, interrogé pendant deux ans, puis a travaillé sans interruption jusqu’en 2012.

Son premier emploi était dans « l’usine de la première prison » : 20 bâtiments, 5000 travailleurs, tous produisant des carreaux de sol en ciment. Ali empilait, chargeait et déchargeait. Il était prudent, mais le problème était le poids. La moitié des travailleurs avaient les jambes ou les pieds cassés, voire les deux.

Le travail suivant d’Ali consistait à tailler et à polir des pierres de fantaisie, ce qui ne nécessitait que peu de force physique, puisqu’il suffisait de fixer les pierres dans des cadres métalliques, à l’aide d’un « gros pot rempli de colle liquide ». Ils avaient des masques, mais la fumée de la colle combinée aux produits chimiques pour faire briller les pierres était « toxique ». Ali souffrait de vertiges chroniques, de désorientation et « [ses] yeux larmoyaient constamment [s’il] ne portait pas un masque très serré ».

Son dernier emploi consistait en une chaîne de montage de 150 personnes fabriquant des pantalons pour les travailleurs des compagnies pétrolières. La journée de travail durait 12 heures. Ali cousait les poches. La chaîne de production générait une « fine poussière », mais les délais étaient stricts, si bien que la poussière s’accumulait par vagues, comme une maison abandonnée dans le désert. « Personne ne se soucie de la santé. Il suffit de travailler et de travailler. Personne ne se soucie de savoir si vous portez un masque ou des lunettes de protection. (…) La poussière s’accumule sur votre corps et peut créer un problème pulmonaire si vous ne portez pas de masque, mais la poussière bloque également votre vue lorsque vous cousez (…) Vos yeux s’affaiblissent. Le bruit blesse votre cerveau. Vous vous sentez mal tout le temps parce qu’il y a si peu de nourriture (…) c’est vraiment une persécution. »

En 2005, les Nations unies ont envoyé une équipe d’enquêteurs visiter la première prison d’Urumqi. Ali et les autres prisonniers avaient été informés à l’avance qu’ils devaient simplement travailler et garder une expression neutre, oublier les coups et des humiliations arbitraires. J’ai demandé à Ali de se remémorer les moments qui étaient tolérables d’une manière ou d’une autre. Il s’est rappelé, avec fierté, qu’avant que le célèbre auteur ouïghour du « Pigeon sauvage » (The Wild Pigeon) ne meurt, il était son compagnon de cellule.

Après une fouille corporelle visant à s’assurer qu’il ne portait pas de calepin, Ali a été libéré en 2012. Il s’est enfui au Viêt Nam, au Cambodge, en Thaïlande, en Malaisie et enfin en Turquie.

Ali était techniquement accusé d’être un « séparatiste ». Sa peine, qui était constamment prolongée, était purement basée sur son refus constant de divulguer des informations sur ses amis. Ali a déclaré que l’accusation elle-même était « hors de propos et ridicule ». Il n’a jamais été question de politique, mais seulement de loyauté personnelle.

« Une fois que le parti s’est rendu compte qu’il pouvait gagner de l’argent sur le dos des Ouïghours ordinaires, il a inventé des excuses – vous êtes un séparatiste, vous utilisez WeChat – et il a transformé tout le Turkestan oriental en une chaîne de montage. Les Chinois encadrent les Ouïghours, et les Ouïghours travaillent dans ces prisons. Gratuitement. Pour rien. Il n’y a pas de charges, il n’y a pas de culpabilité. Mon crime et celui de mes amis ? C’est d’être né au mauvais endroit sur cette terre. »

Je n’ai pas eu le cœur de demander à Ali s’il avait une femme ou une petite amie. Sa déception et son irritation lorsque j’ai mis fin à l’entretien au bout de trois heures – juste au moment où nous commencions à avancer – ont semblé répondre à cette question. Je soupçonne que le sort d’Ali est une prémonition de l’avenir des Ouïghours : des femmes travaillant dans des usines et confinées dans des dortoirs jusqu’à ce qu’elles aient dépassé l’âge de procréer, et des hommes isolés, désespérément seuls, qui mourront du cancer et de défaillances d’organes bien avant l’heure.

Les réfugiés ouïghours veulent retrouver la terre promise, mais il n’y a pas de lumière à l’horizon pour les guider. Ou peut-être juste une lueur.

En novembre 2022, les étudiants des universités chinoises ont organisé des veillées aux chandelles pour commémorer l’incendie d’un immeuble d’habitation à Urumqi. Les barricades Covid empêchaient les familles de s’échapper, alors qu’une mère ouïghoure criait piteusement. De toute évidence, les étudiants chinois en avaient assez des confinements. Pourtant, tous les étudiants de premier cycle qui ont tenu une bougie – soi-disant pour les morts ouïghours – ont été sciemment exposés à la reconnaissance faciale et risquent aujourd’hui la ruine universitaire.

Que la lumière soit. C’est le moment d’avant-guerre de la Chine : une élite politique peu sûre d’elle entraîne une grande nation dans l’obscurité, dans une renaissance à grande échelle du plus vieux crime de l’humanité. Il faudra des millions de bougies pour éclairer le chemin de retour de la Chine.

De RealClearWire

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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