Le système de retraite sera-t-il aussi généreux avec les générations futures qu’avec les retraités actuels ?

Par Henri Martin, Université de Lille
20 mars 2023 18:06 Mis à jour: 20 mars 2023 18:06

Dans les jours qui ont suivi la décision de l’exécutif, prise dans l’après-midi du jeudi 16 mars, de faire appel à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire passer la réforme des retraites, la contestation n’a pas faibli. Le samedi 18 mars, à deux jours du vote de la mention de censure contre le gouvernement, des rassemblements se sont déroulés dans plusieurs villes, à Paris comme en province. Certains cortèges ont compté plusieurs milliers de personnes et des heurts avec les forces de l’ordre ont éclaté, conduisant à plusieurs dizaines d’interpellations.

Que des étudiants et des jeunes actifs aient été à l’initiative de ce mouvement, lancée dès la soirée du 16 mars, invite à s’interroger, comme nous l’avons fait dans des recherches passées, sur les inégalités entre générations en matière de retraite. Notre système de retraite est, fondamentalement, un système par répartition dans lequel les cotisations versées par les actifs permettent de financer les pensions versées aux retraités. Contrairement à un système en capitalisation, les cotisations ne viennent pas constituer une épargne que l’assuré pourra ensuite liquider, après l’avoir fait fructifier, au moment de quitter la vie active.

Le tout repose donc sur une solidarité implicite. Les actifs d’aujourd’hui ne reçoivent rien en échange de leurs transferts vers leurs aînés, sinon la promesse d’être bénéficiaires de la redistribution quand ils seront à leur tour retraités. Ce contrat entre les générations implique de respecter un certain niveau d’équité de manière à ce qu’aucune ne s’estime lésée par le système. Cet objectif est d’ailleurs inscrit dans le Code de la Sécurité sociale :

« Les assurés bénéficient d’un traitement équitable au regard de la durée de la retraite comme du montant de leur pension, quels que soient leur sexe, leurs activités et parcours professionnels passés, leur espérance de vie en bonne santé, les régimes dont ils relèvent et la génération à laquelle ils appartiennent. »

Que peut-on aujourd’hui projeter en matière de retraites pour les générations futures de retraités ? Quelles différences avec les retraités actuels et passés ? La question, dite de « l’équité intergénérationnelle », fait l’objet d’éclairages réguliers par le Conseil d’orientation des retraites (COR) dans ses différents colloques et rapports annuels sur lesquels nous nous appuyons ici.

Qu’est-ce qu’être avantagé ?

La générosité du système de retraite envers une génération donnée se mesure à la fois à l’aune des bénéfices qu’elle a retiré du système de retraite mais aussi à partir des efforts contributifs qu’elle a fournis. Une génération qui aurait reçu beaucoup du système de retraite, mais qui aurait également davantage contribué que les autres générations ne peut ainsi pas être perçue comme spécialement avantagée.

Pour apprécier les bénéfices qu’une génération a retirés du système de retraite, le COR s’intéresse à deux indicateurs : le niveau de la pension de retraite en proportion du salaire, ce que l’on appelle aussi le taux de remplacement, mais aussi la durée de la retraite. Une génération dont les pensions de retraite sont élevées n’est pas nécessairement plus avantagée qu’une autre génération qui perçoit des pensions plus faibles si cette dernière a bénéficié d’une retraite plus longue.

Symétriquement, afin apprécier l’effort contributif d’une génération, le COR s’intéresse à deux autres indicateurs : le niveau des cotisations versées en proportion du salaire mais aussi la durée de la carrière. Une génération qui verse davantage de cotisations sociales n’est pas nécessairement désavantagée par rapport à une génération qui en paie moins mais qui a cotisé sur une durée plus longue.

Pour connaître les durées de carrière, de retraite et le niveau des pensions futures des générations encore actives aujourd’hui, le COR se livre à un exercice de projection. Celui-ci repose sur de nombreuses hypothèses en matière notamment de croissance économique mais aussi d’évolution de l’espérance de vie. Il suppose notamment que la réglementation actuelle restera inchangée et ne prend donc pas en compte le passage à 64 ans de l’âge légal d’ouverture des droits.

Plutôt qu’une prévision, il cherche ainsi à décrire le futur dans l’hypothèse où les tendances économiques et démographiques actuelles se poursuivraient. L’incertitude la plus importante repose sur les évolutions de l’espérance de vie, car les dernières données disponibles font état d’une stagnation de celle-ci, à rebours de la forte augmentation observée depuis plusieurs décennies.

Les générations des années 1940, grands bénéficiaires

Depuis la mise en place du système de retraite à la Libération, les taux de cotisation du régime général ont sensiblement augmenté, que ce soit la part salariale ou la part employeur. Il en est de même dans le régime complémentaire de l’Arrco. Pour la génération née en 1940, le taux de cotisation moyen était de l’ordre de 20% pour un salarié du secteur privé non-cadre. Il va s’élever à plus de 28% pour la génération née en 1990, ce qui représente une augmentation considérable de l’effort contributif au système.

Depuis les années 2000, les différents gouvernements ont utilisé avec davantage de parcimonie le levier de la hausse des taux de cotisations (avec pour objectif de ne pas nuire à la compétitivité de l’économie), ce qui explique que l’augmentation tend à ralentir pour les dernières générations.

Après s’être fortement allongée entre les générations 1940 et 1960, en raison notamment de la participation croissante des femmes au marché du travail, la durée moyenne de carrière va, elle, progressivement diminuer d’environ deux ans entre les générations 1960 et 2000. Cette diminution s’explique par des entrées plus tardives sur le marché du travail mais aussi par des carrières plus précaires. La tendance pourrait néanmoins être remise en cause en cas de relèvement de l’âge légal d’ouverture des droits à 64 ans.

Les générations nées vers 1940 ont ainsi bénéficié à la fois de taux de cotisation très faibles mais aussi d’une durée de carrière relativement faible. De ce point de vue elles ont nettement moins contribué au système que les générations suivantes qui ont cotisé plus longtemps et à des niveaux plus élevés.

Du fait des différentes évolutions réglementaires du mode de calcul des pensions (passage des 10 aux 25 meilleurs années au régime général, valeur des points dans les régimes complémentaires, augmentation de la durée requise pour le taux plein…), le taux de remplacement des retraités (ratio entre la pension de retraite et les salaires de carrière) va, lui, a priori diminuer au fil des générations. De 75% pour la génération née en 1940, il atteindrait 64% pour la génération née en 2000 dans un scénario où la croissance économique serait de 1% à long terme.

Cela ne signifie pas que le pouvoir d’achat des retraités va diminuer car les salaires vont continuer d’augmenter avec la croissance économique. Mais cela veut dire que le niveau de vie des retraités, qui est aujourd’hui légèrement supérieur à celui des actifs, va devenir assez nettement inférieur. En ce sens, les retraités futurs seront moins bien lotis que les retraités actuels.

Avec la réforme, des inégalités accentuées ?

Du fait d’une hausse probable de l’espérance de vie, qui ferait plus que compenser le recul de l’âge de départ à la retraite, la durée de retraite augmenterait au fil des générations, passant d’environ 24 ans pour la génération née en 1940 à 27,5 ans pour la génération née en 2000. Néanmoins, ce gain de durée de retraite serait amoindri en cas de relèvement de l’âge légal d’ouverture des droits à 64 ans ou d’évolution moins favorable de l’espérance de vie. Il s’agit de plus d’un chiffre moyen qui masque d’importantes disparités au sein d’une même génération, ce qui n’est pas ici notre propos.

Si les tendances observées se prolongent, et en raison des évolutions des règles du système de retraite, les jeunes générations, nées après 1980, auront des taux de remplacement nettement plus faibles que ceux de leurs aînés. Elles devront également reverser une part beaucoup plus importante de leur salaire pour financer le système de retraite.

En revanche, elles disposeront d’une durée de carrière un peu plus courte et d’une durée de retraite plus longue que les générations actuelles de retraités, du fait essentiellement des gains possibles d’espérance de vie. Ces deux contreparties à la baisse des taux de remplacement et à la hausse des cotisations pourraient cependant être mises à mal par le projet de relèvement de l’âge légal d’ouverture des droits à 64 ans.The Conversation

Article écrit par Henri Martin, Économie, systèmes de retraite, protection sociale, inégalités, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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