Rencontre Macron-Xi Jinping : l’Europe impuissante face à l’espionnage chinois ?

La Chine déploie des ressources colossales pour façonner les opinions, espionner économies et entreprises, pénétrer institutions et universités.

Par Germain de Lupiac
29 avril 2024 09:09 Mis à jour: 2 mai 2024 18:03

À quelques jours de la rencontre entre Emmanuel Macron et le leader chinois Xi Jinping, les affaires d’espionnage présumé de la Chine en Allemagne et au Royaume-Uni, révélées récemment, rappellent combien Pékin mobilise un immense réseau de renseignement sur un continent insuffisamment armé pour y répondre.

À l’approche des élections européennes, Allemagne et Royaume-Uni ont annoncé le 22 avril l’arrestation ou l’inculpation de cinq personnes soupçonnées d’espionnage au profit de la Chine. Le lendemain, un agent chinois présumé au cœur du Parlement de l’Union européenne a été arrêté.

Rien ne permet de lier les affaires entre elles, ni d’expliquer la concomitance de leur révélation dans un monde qui règle traditionnellement ses différends discrètement. Mais, à l’aube d’une rencontre entre Xi Jinping et Emmanuel Macron pour célébrer les 60 ans des relations bilatérales, elles soulignent un phénomène dénoncé par les services européens et démenti avec force par Pékin: la Chine déploie des ressources colossales pour façonner les opinions, espionner économies et entreprises, pénétrer institutions et universités.

Une prise de conscience tardive de l’Europe

« Il y a une longue tradition du renseignement chinois orienté vers la captation de patrimoine informationnel, de brevets, de ressources intellectuelles stratégiques », résume pour l’AFP Alexandre Papaemmanuel, professeur à l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris. Longtemps, le Vieux Continent n’a pas pu ou voulu voir. « La prise de conscience a été tardive, due en partie à une naïveté, une confiance excessive en une mondialisation un peu utopiste ».

La menace, pourtant, est bien réelle. « C’est un des plus importants services du monde si ce n’est le plus important », estime Paul Charon, spécialiste de la Chine à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM), à Paris et co-auteur de « Les opérations d’influences chinoises: Un moment machiavélien« , une étude majeure pour comprendre l’étude de l’influence chinoise. Selon lui, la branche renseignement du ministère chinois de la Sécurité publique (MSP), le 1er bureau, compterait entre 80.000 et 100.000 membres.

Certaines sources évoquent par ailleurs jusqu’à 200.000 agents au ministère de la Sécurité de l’État (MSE). « Mais la réalité c’est que personne n’a de chiffres et qu’on en est réduit à des spéculations », souligne le chercheur.

Les activités du renseignement chinois se concentrent sur la survie du régime chinois, la collecte de renseignement – politique, économique, scientifique, militaire – et la guerre informationnelle. Un domaine dans lequel tout l’appareil d’État est engagé.

L’appareil chinois impliqué au premier plan

En août dernier, le think tank américain CSIS listait entre autres, parmi les organes d’influence, l’armée, les MSE et MSP, les ministères des Affaires étrangères et de l’Industrie ainsi que diverses organisations du Parti communiste chinois (PCC).

« Une vaste gamme d’acteurs non-étatiques ou quasi-étatiques sont aussi impliqués, depuis les hacktivistes jusqu’aux entreprises privées », relevait le CSIS.

Le processus est moins coordonné qu’en apparence: l’appareil chinois est tiraillé entre centralisation et autonomie des provinces, Etat et parti, administration et querelles idéologiques.

« On se représente la Chine comme un État doté d’un appareil bureaucratique soumis et très efficace. C’est ce que les Chinois aimeraient nous faire croire », souligne Paul Charon auprès de l’AFP. Mais l’administration « agit le plus souvent dans l’improvisation » avec « quelques lignes directrices (…) qui demeurent vagues et font surtout figure de symboles ».

Les récentes affaires ne surprennent personne tant elles s’inscrivent dans une activité identifiée comme croissante. Mais à quel point? « On détecte plus d’opérations d’abord parce que les services chinois sont manifestement plus actifs, mais aussi parce qu’on s’y intéresse plus. Mais on ne sait pas quelle est la part immergée de l’iceberg. Les opérations observées représentent-elles 10% de leurs activités ou 60% ? Nous n’en savons rien et cela illustre dramatiquement nos lacunes », admet Paul Charon.

Des affaires sensibles d’espionnage en Allemagne 

Pékin qualifie de « pure invention » les soupçons d’espionnage, a déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois Wang Wenbin, suite à une affaire d’espionnage en Allemagne et au Parlement européen.

Un assistant d’un eurodéputé allemand est soupçonné d’avoir espionné des opposants chinois en Allemagne et d’avoir partagé des informations sur le Parlement européen avec un service de renseignement chinois.

Trois autres allemands, soupçonnés d’espionnage pour les services secrets chinois, évoluaient dans le milieu de la recherche scientifique et auraient collecté des informations sur des « technologies innovantes pouvant servir à des fins militaires », selon le parquet. Au moment de leur arrestation, les suspects étaient en train de négocier d’autres projets de recherche susceptibles d’être utiles pour renforcer la capacité de combat de la Chine, notamment dans le domaine maritime.

Sans surprise, Pékin a demandé « à l’Allemagne de rester vigilante quant aux tentatives de nuire aux relations bilatérales » et « de mettre fin à la farce politique anti-Chine ». Montrant que la question est sensible, l’ambassadrice allemande à Pékin dit avoir été convoquée. « C’est un geste qui en dit long », a déclaré la diplomate Patricia Flor.

En somme, le régime chinois peut espionner illégalement des pays occidentaux et quand ils sont pris la main dans le sac, cela peut nuire aux relations bilatérales et les pays attaqués sont accusés de manipulations anti-chinoises.

Et en Grande-Bretagne…

Selon des médias britanniques, le gouvernement s’apprête à imputer à Pékin une cyberattaque contre la commission électorale et contre des parlementaires critiques envers le gouvernement chinois.

Selon Scotland Yard, deux Britanniques ont été accusés d’avoir obtenu, recueilli, enregistré, publié ou communiqué des documents ou informations « censés être directement ou indirectement utiles à un ennemi ».

Le chef du commandement antiterroriste Dominic Murphy a souligné qu’il s’agissait d’une « enquête extrêmement complexe au sujet d’allégations très graves ». Selon des informations de presse datant de septembre dernier, l’un d’eux avait eu des contacts avec des députés du parti conservateur au pouvoir alors qu’il occupait un poste d’assistant parlementaire. Parmi eux figuraient le secrétaire d’Etat à la Sécurité, Tom Tugendhat, et Alicia Kearns, la présidente de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des communes.

Le Premier ministre Britannique, Rishi Sunak, a souligné que la Chine « représente une menace économique pour notre sécurité et le défi d’une époque ».

À quoi le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois a répondu : « Ce que nous voulons souligner, c’est que la Chine a toujours adhéré au principe du respect mutuel et de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays pour coopérer avec les pays du monde entier, y compris l’Europe », a déclaré M. Wang, se défaussant de toute responsabilité.

L’Europe doit sortir de sa passivité

La faiblesse des connaissances occidentales sur la Chine et la multiplicité des fronts – le terrorisme, la guerre en Ukraine, l’embrasement du Moyen-Orient notamment – affaiblissent encore le Vieux Continent, en panne de moyens adéquats face à un adversaire qui observe, collecte, rassemble et analyse massivement.

« La richesse d’un service de renseignement se mesure aux données qu’il peut collecter », explique Alexandre Papaemmanuel, évoquant « de gigantesques activités cyber chinoises pour récupérer d’importants volumes de données sensibles ».

Pour Paul Charon, « la plupart des services européens ont consenti des efforts importants pour mettre en place des dispositifs de contre-espionnage efficaces, mais les services chinois – organisation, capacités, modes opératoires – demeurent trop méconnus ».

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