Manifestations des agriculteurs allemands: «C’était une tentative de division» selon un député et agriculteur allemand

En Allemagne, le mouvement de protestation contre la politique de la coalition gouvernementale prend de l'ampleur. De plus en plus, les agriculteurs se mettent en réseau entre eux et les associations d'agriculteurs avec les entrepreneurs. Cela ne plaît pas à tout le monde. Nous nous sommes entretenus à ce sujet avec Peter Guhl des agriculteurs libres

Par Erik Rusch
14 janvier 2024 17:24 Mis à jour: 14 janvier 2024 17:24

Peter Guhl dirige à Teldau, dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale, une exploitation agricole familiale avec des vaches laitières, un engraissement de bœufs de pâturage et sa propre laiterie de ferme. Il est également député de l’arrondissement de Ludwigslust-Parchim. Nous avons parlé avec lui des tentatives qu’il voit de diviser les agriculteurs dans leur protestation.

EPOCH TIMES – Vous avez décrit le fait que, lors des protestations, on se met de plus en plus en réseau et pas seulement entre agriculteurs. Quelle est l’idée derrière cela ?

Dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale, il y a une initiative qui s’appelle « Unternehmeraufstand MV (révolte des entrepreneurs) ». Ce sont des gens qui s’inquiètent de l’évolution de ce pays d’un point de vue économique et politique. Ce sont essentiellement des PME indépendantes qui veulent que leurs intérêts soient représentés sous la forme d’une organisation informelle.

Suite aux manifestations d’agriculteurs organisées par l’Union allemande des agriculteurs à Berlin le 18 décembre, des représentants d’Unternehmeraufstand MV nous ont approchés et nous ont dit : « Vos problèmes sont aussi les nôtres. Ne pourrions-nous pas organiser ensemble une manifestation ordonnée dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale ? »

Nous avons très vite compris que nous avions effectivement les mêmes problèmes et que nous poursuivions donc les mêmes objectifs, même au-delà des intérêts purement particuliers des agriculteurs.

Maintenant, le lundi 8 janvier, nous descendions donc ensemble dans la rue pour protester dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale.

Quels sont les problèmes que vous associez aux entrepreneurs de la classe moyenne ?

En ce moment, l’association allemande des agriculteurs se concentre exclusivement sur les thèmes de l’exonération de la taxe sur les véhicules pour les véhicules agricoles et forestiers et sur l’augmentation de la taxation du diesel pour les agriculteurs. C’est à juste titre que l’association s’oppose avec une grande indignation à ces deux augmentations massives de taxes. Ces mesures ont désormais été partiellement supprimées, mais nous, agriculteurs, les payons toujours sur le budget fédéral du ministère de l’Agriculture.

Selon les nouveaux plans, cet argent sera pris aux pêcheurs et à d’autres projets agricoles. Ce n’est donc pas un cadeau que le gouvernement fédéral nous a fait hier. Mais en plus de cela, nous sommes confrontés depuis un certain temps déjà à de nombreux autres problèmes qui nous concernent, nous et les autres entrepreneurs de la classe moyenne. En tant qu’entreprises agricoles, nous nous considérons comme faisant partie de la classe moyenne. Il y a, par exemple, le thème des péages, qui pèse sur mon exploitation à hauteur d’environ 25.000 euros par an. Il y a aussi la taxation du CO₂, qui touche chaque citoyen et pas seulement les entrepreneurs.

Des agriculteurs se rassemblent le 8 janvier pour une protestation en colonne à Klaistow, dans le Brandebourg. (Erik Rusch/Epoch Times)

Avez-vous un chiffre à ce sujet ? Quel est le poids financier de la taxation du CO₂ pour vous ?

C’est un calcul très difficile, car la taxation du CO₂ concerne indirectement toutes les marchandises et tous les produits achetés, jusqu’aux produits de consommation courante. Je suis membre du conseil d’arrondissement de notre région. À la fin de l’année dernière, nous nous sommes âprement battus contre l’augmentation des taxes sur les déchets pour nos citoyens. L’augmentation provient en très grande partie d’une taxe sur le CO₂ pour les déchets résiduels non recyclables destinés à l’incinération.

Ce n’est qu’un exemple de la difficulté de filtrer les coûts de la taxe sur le CO₂. Ensuite, il y a une autre augmentation massive des impôts sous la forme de la nouvelle taxe sur les matières plastiques. Cela aussi concerne tout le monde. À cela s’ajoute l’augmentation de la TVA pour le secteur de la restauration, qui entraînera des pertes importantes et très probablement l’abandon de nombreuses entreprises dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale et une réduction du nombre d’offres culturelles. C’est un petit aperçu de ces choses sans précédent qui sont prévues, qui doivent être mises en œuvre maintenant, qui ont déjà été mises en œuvre et qui nous unissent dans la protestation.

Vous avez laissé entendre que l’on essayait d’empêcher de manière ciblée cette mise en réseau entre les associations, les groupes professionnels ou les couches de la population. D’où vous vient cette impression ?

Je fais partie de l’équipe de presse des « Freie Bauern (paysans libres) », une association qui défend les intérêts des exploitations agricoles familiales. Nous sommes une offre alternative à l’Union allemande des paysans et à d’autres groupes d’intérêts professionnels. Bien sûr, cela n’est pas bien vu. L’Union allemande des paysans continue de prétendre représenter 90% des agriculteurs en Allemagne et de pouvoir parler en leur nom. C’est un mensonge en soi, mais il est maintenu parce qu’il apporte des avantages financiers et que la fédération ne veut rien céder de son énorme pouvoir.

C’est pourquoi il existe naturellement un intérêt à maintenir les associations alternatives aussi petites que possible. Cela se fait notamment en essayant subtilement de nous placer du côté de la « droite », par exemple par le biais d’articles de presse comme celui de l’ancien porte-parole des Verts pour la politique agricole, Friedrich Ostendorff, contre lequel nous avons intenté avec succès une action en cessation parce qu’il nous a imputé de telles choses.

Or, le vendredi 5 janvier, le journal « Lübecker Nachrichten » a publié une déclaration du président de l’association des agriculteurs du Schleswig-Holstein, Klaus-Peter Lucht.

Il a déclaré, après l’action de protestation sur le quai du ferry contre le vice-chancelier et ministre de l’économie Robert Habeck (Verts), qu’il se distançait de tous les « radicaux », notamment des agriculteurs libres. Je doute qu’il y ait chez nous des tendances populistes ou d’extrême droite, et encore moins des extrémistes de droite.

Nous sommes partis pour défendre les intérêts des exploitations agricoles, avec tout le sérieux nécessaire, mais dans le cadre d’un dialogue constructif et de qualité avec tous. Cela implique aussi d’être parfois intransigeant sur certains points. Mais cela n’a rien à voir avec le radicalisme. Nous nous en démarquons clairement.

Ce que Klaus-Peter Lucht a lancé via un grand quotidien allemand est une tentative de division. Cela réussit malheureusement toujours, et on prend ensuite ses distances avec le groupe concerné. Hier, après la manifestation contre le ministre de l’économie Habeck au débarcadère des ferries de Schlüttsiel, c’est ce qui s’est passé. Des collègues professionnels ont écrit dans les groupes : « Ce qui s’est passé là n’est pas du tout acceptable ». On se désolidarise « avec la plus grande fermeté », mais sans vraiment savoir ce qui s’est réellement passé là-bas.

Les agriculteurs se rassemblent le 8 janvier pour une marche de protestation à Potsdam, dans le Brandebourg. (Erik Rusch/Epoch Times)

Y a-t-il d’autres exemples ?

Oui, plus de 8000 entrepreneurs sont actuellement organisés dans le cadre de la révolte des entrepreneurs de MV. Toutes les secondes, des messages arrivent dans un groupe WhatsApp sur les protestations actuelles. Des petites et très petites entreprises s’y annoncent, des studios de photo ou de beauté aux entreprises de transport, en passant par les pharmacies, etc. L’un explique qu’il vient avec une camionnette, l’autre veut apporter du café et des gâteaux. Puis une entreprise de transport se manifeste et déclare vouloir participer avec dix camions.

Au même moment, le vendredi 5 janvier, j’ai entendu à la radio publique « Norddeutscher Rundfunk » (NDR) que l’association des fédérations d’entreprises pour le Mecklembourg-Poméranie occidentale se désolidarisait de la révolte des entrepreneurs MV, en raison des « slogans et objectifs » qui y sont mentionnés, dit-on. Il s’agit de fantasmes de renversement.

Certes, ici et là, certains diront : « Il faut que la Coalition feu tricolore disparaisse ». Mais je n’ai pas vu de fantasmes de renversement. Il est tout de même légitime de penser que nous avons besoin d’autres hommes politiques.

Je crois que nous avons besoin d’une politique fondamentalement différente. Ce n’est malheureusement pas le fait d’avoir d’autres hommes politiques qui le garantit. Il n’y a rien d’interdit à exiger une telle chose. Si un mannequin de paille avec le visage de Habeck est suspendu à une potence en forme de feu, c’est autre chose. Je m’en distancerais alors effectivement.

On ne peut donc pas dire que la politique soit directement derrière tout cela, mais ce sont aussi des intérêts de pouvoir propres à l’Union des agriculteurs allemands.

La politique s’en réjouit naturellement et encourage tout cela d’une manière ou d’une autre. Elle dispose ainsi d’un bel alibi pour continuer à ne rien faire, selon la devise : « Si vous vous mettez d’abord d’accord, nous verrons ensuite ce que veut la majorité ».

L’association allemande des agriculteurs ne regroupe pas seulement les agriculteurs, mais aussi la fédération Raiffeisen et l’association de l’industrie laitière. Ils paient des cotisations volontaires. Pour une telle association, il devient alors difficile de représenter les deux parties.

C’est pourquoi le débat sur la bonne direction à prendre en matière de politique laitière en Allemagne, par exemple, se poursuit aujourd’hui encore. Jusqu’à présent, aucune amélioration n’a pu être obtenue.

Merci beaucoup pour cette interview.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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