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Mayotte : « Il y a des fraudes à tous les niveaux et l’État demeure impuissant », alerte Alain Destexhe

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Photo: Crédit photo Alain Destexhe

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Durée de lecture: 7 Min.

ENTRETIEN – Le 10 juillet, sept mois après le passage dévastateur du cyclone Chido à Mayotte ayant entraîné la mort d’environ 40 personnes, la loi de programmation pour la refondation de l’île était définitivement adoptée. Le texte entend notamment renforcer la lutte contre l’immigration illégale, l’insécurité et accompagner le développement économique et social du territoire d’Outre-mer.

Alain Destexhe est un sénateur honoraire belge, médecin exerçant à Mayotte et auteur de Mayotte : comment l’immigration détruit une société (Texquis, 2025). La loi de programmation est utile, mais pas assez ambitieuse, déplore-t-il.
Epoch Times : Où en est-on aujourd’hui de la situation économique et sociale à Mayotte ?
La situation économique et sociale est catastrophique. Elle était déjà dramatique avant le passage du cyclone, mais aujourd’hui, c’est encore pire puisque la reconstruction de l’île a à peine commencé.
Malheureusement, l’économie de Mayotte repose seulement sur le secteur public, la grande distribution et la construction, ce qui est insuffisant. Beaucoup de Mahorais et d’immigrés illégaux vivent dans une grande précarité.
Le chômage reste-t-il élevé sur l’île ? Qu’en est-il de la situation en termes d’insécurité ?
Oui. Le taux de chômage à Mayotte s’élevait à 29 % en 2024 selon l’Insee, soit le taux le plus élevé de France. À cela s’ajoute le fait que beaucoup d’habitants ont perdu leur emploi après le passage du cyclone Chido.
L’insécurité est quasiment similaire à celle de l’année dernière, avec peut-être un léger recul de l’insécurité dans le sud de l’île. Mais globalement, la situation reste très grave. Début août, une jeune malgache de 19 ans a été assassinée sur la plage Mliha Chanfi. Un garçon de 12 ans a aussi été récemment tué lors d’un règlement de comptes.
Et à côté de ces meurtres, vous avez véritablement une délinquance du quotidien qui n’est même pas rapportée. Un de mes confrères a été cambriolé, et plusieurs voitures de médecins garées dans une même rue ont été dégradées.
Par ailleurs, le soir, aussi bien les routes que les rues des villes sont vides. Il règne toujours un climat d’insécurité très fort partout sur le territoire.
Mayotte est toujours en proie à une forte crise migratoire. La loi de programmation adoptée en juillet prévoit plusieurs mesures pour lutter contre l’immigration clandestine : la suppression des titres de séjour territorialisés à partir du 1er janvier 2030, un délai de résidence régulière pour obtenir la carte de résident qui passe de 3 à 5 ans, des amendes plus lourdes contre les reconnaissances frauduleuses de paternité. Comment voyez-vous ces mesures ?
D’abord, contrairement à ce que nous pouvions espérer, les immigrés en situation irrégulière ne sont pas repartis après le passage du cyclone. Les bangas (habitations de fortune) où ils résident, ont littéralement été reconstruits du jour au lendemain.
Ensuite, plein de clandestins, profitant de la mobilisation des forces de l’ordre dans les secours et de la destruction des moyens de la gendarmerie et de la police des frontières par le cyclone, ont rejoint l’île.
Ainsi, cette année, le nombre d’expulsions a diminué : 21.000 contre 25.000 l’année dernière.
L’objectif annoncé des 30.000 expulsions annuelles est loin d’être atteint.
La crise migratoire n’est pas près d’être réglée aujourd’hui, bien au contraire. Par ailleurs, un autre indicateur le prouve : l’augmentation de la consommation d’eau. Malgré des restrictions, celle-ci augmente de 20 % par an.
Concernant les mesures que vous avez citées, elles sont utiles, mais cosmétiques voire contre-productives face à l’ampleur du problème.
Par exemple, la suppression des titres de séjour territorialisés est positive pour Mayotte, mais risque de reporter le problème sur La Réunion et la métropole.
Ensuite, l’allongement du délai de résidence régulière a peu de chances d’avoir des effets puisque les immigrés en situation irrégulière et certains Mahorais produisent de faux certificats. L’État n’a malheureusement pas les moyens de renforcer les contrôles étant donné qu’il est déjà débordé par tout le reste.
Pour ce qui est des amendes concernant les reconnaissances frauduleuses de paternité, je pense que nous allons dans le bon sens, mais il va falloir également s’attaquer aux fausses reconnaissances de maternité. Beaucoup de femmes en situation irrégulière payent des Mahoraises ou des Comoriennes en situation régulière et accouchent sous une identité qui n’est pas la leur.
Par conséquent, des enfants de clandestins obtiennent la nationalité française dès leur naissance…
À Mayotte, il y a des fraudes à tous les niveaux et l’État demeure impuissant. Ces mesures en sont la preuve.
Quelle politique devrait être mise en œuvre pour répondre à la crise migratoire ?
Il faudrait se montrer plus ferme avec les Comores. La France dispose de moyens de pression importants pour faire entendre sa voix, je pense notamment à l’aide au développement, aux transferts d’argent, mais visiblement, elle ne veut pas agir concrètement.
Par ailleurs, il faut sortir de l’interprétation que nous avons de l’inviolabilité du domicile et laisser les forces de l’ordre faire leur travail et éventuellement procéder à des arrestations dans les bidonvilles, là où résident la plupart des illégaux à Mayotte.
On nous dit que la Constitution française empêche la violabilité du domicile et que par conséquent, les policiers et gendarmes ne peuvent pas intervenir. Sauf que les bidonvilles ne sont pas des domiciles. Ils devraient donc, en théorie, être en mesure d’effectuer des contrôles.
La situation est devenue tellement ubuesque que les forces de l’ordre sont seulement autorisées à effectuer des contrôles routiers…
Paris doit aussi prendre des mesures en matière de santé et de scolarité. Il n’est pas normal que quasiment tout soit gratuit pour ceux qui rejoignent Mayotte illégalement.
En somme, la loi de programmation est utile, mais très insuffisante face à la situation dramatique que connaît l’île.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.