Moralité, politique et déclin : liberté ou victimisation (2/2)

Par James Sale
5 juin 2023 16:50 Mis à jour: 5 juin 2023 16:50

(Suite de la 1ère partie)

Le libre arbitre est quelque chose que nous connaissons tous ; il est évident quand nous agissons en toute liberté ou lorsque nous sommes soumis à une forme de contrainte. Du moins, nous pouvons reconnaître la liberté jusqu’à ce que nous soyons tellement saturés par les courants de la contrainte que nous ne voyions plus notre propre état pitoyable et asservi.

Dans la première partie de cet article en deux volets, nous avons vu comment l’idée de moralité était devenue « inacceptable », pour reprendre un terme courant, et comment l’idée du mal, elle aussi, était progressivement abolie. De plus, nous avons pu observer de quelle façon la moralité était remplacée par la victimisation et la psychiatrie, ce qui sous-tendait une atteinte fondamentale à la liberté et en particulier au libre arbitre. Dans ce second volet, nous examinons de plus près la liberté et le libre arbitre.

La liberté, en fin de compte, est une expression de l’amour. Lorsque nous nous marions par amour, nous choisissons volontairement quelqu’un parmi des millions de choix possibles et nous nous engageons librement à nous restreindre parce que, étrangement, ce genre d’amour nous grandit. (Il est intéressant de noter que notre « plus proche parent » est toujours notre partenaire, pas nos enfants, pas nos parents ou d’autres membres de la famille avec lesquels nous avons des liens de sang ; non, mais l’étranger que nous avons choisi d’aimer ; c’est-à-dire d’aimer librement.)

La liberté contre l’asservissement à la victimisation 

Triomphe des vertus sur les vices, vers 1592, par Paolo Fiammingo. Huile sur toile. (Domaine public)

Dans Notre culture, ou ce qu’il en reste, l’auteur Theodore Dalrymple a observé que l’un des plus célèbres écrivains des années 20, Stefan Zweig, un pacifiste qui a fui l’Allemagne nazie, « aurait vu avec horreur la cacophonie des monomanies – sexuelles, raciales, sociales, égalitaires – qui caractérise la vie intellectuelle de nos sociétés, chaque monomaniaque exigeant une restriction législative de la liberté des autres au nom d’un supposé bien commun supérieur ». Ces revendications procèdent du même sentiment de victimisation, du même sentiment de déterminisme (je suis victime de pressions sociales, donc je ne suis pas responsable de mes actes) que nous avons noté plus haut, et qui est à l’opposé de la liberté vraie.

Ce que Dalrymple souligne, c’est précisément ce que l’auteur Kenneth LaFave évoque lorsqu’il affirme que « l’intérêt de placer la liberté au centre de notre civilisation est de pousser la politique à la périphérie ». Or, c’est l’inverse qui se produit aujourd’hui. Car c’est précisément dans ce domaine de la liberté personnelle que la politique « woke » exige allégeance. (Pour être clair, le terme « woke » est utilisé à la fois par les libéraux et les conservateurs pour décrire un certain nombre d’idéologies progressistes des plus radicales, notamment la théorie critique de la race, la justice sociale et la théorie du genre.)

La preuve la plus convaincante en est leur insistance frénétique à imposer leur volonté de changer même les pronoms que nous utilisons, et non seulement à les changer, mais aussi à déformer la réalité : une femme ou un homme ne sont plus un « elle » ou un « il » mais un « iel » (dans Le Robert numérique depuis 2021). Qu’est-ce qui pourrait porter plus atteinte à notre sentiment de liberté personnelle ? Comme l’a dit le critique littéraire canadien Northrop Frye, « la vraie liberté est quelque chose dont seul l’individu peut faire l’expérience ».

Une autre forme d’insistance est d’exiger des autres qu’ils « soient gentils » et nous laissent la liberté d’accepter nos vulnérabilités – notre statut de victime – et même de nous laisser commencer à les exhiber. Mais ceci n’est pas vraiment une position morale, car, paradoxalement, ce type de « liberté » a, bien sûr, une conséquence non intentionnelle qui est à l’opposé de l’effet recherché. A savoir, au lieu de nous libérer, il nous lie ; car, comme l’a sagement souligné le philosophe anglo-irlandais Edmund Burke : « Il est ordonné dans la constitution éternelle des choses, que les hommes d’esprit immodéré ne puissent être libres ».

« L’esprit immodéré » est ce que nous avons appelé précédemment la « cacophonie des monomanies ». En d’autres termes, nous devenons esclaves de notre statut de victime et des idoles mêmes que nous adorons avec tant d’attention et de dévotion ; et par idoles, j’entends les obsessions sexuelles, raciales, sociales et égalitaires évoquées plus haut.

La raison ne peut être notre fondement

Jeune homme entre le vice et la vertu, vers 1581, par Paolo Veronese. Huile sur toile. Musée du Prado, Madrid, Espagne. (Domaine public)

« La morale n’est pas un sous-système parmi d’autres, comme l’art, la science, la religion, les affaires, la politique, etc. Au contraire, la morale est le principe directeur de toutes les entreprises humaines », selon Mark William Roche, professeur à l’université de Notre Dame, dans Why Literature Matters (L’importance de la littérature).

Il est important de souligner que la moralité a toujours été le principe directeur de toutes les entreprises humaines – de, véritablement, toutes les entreprises humaines. Nous pouvons être en désaccord sur des questions aussi fondamentales que nos religions – il peut y avoir de profonds désaccords en matière de philosophie et de théologie – mais quant à la moralité dirigeant notre conduite et notre comportement, nous ne devrions pas être en désaccord sur l’essentiel. Je ne devrais pas te tuer, te voler, porter un faux témoignage contre toi ou tenter de coucher avec ton partenaire ; en effet, si je faisais l’une de ces choses (ou si tu les faisais), je renierais les principes centraux de ma religion. Toutes les grandes religions enseignent ces principes et je serais, de ce fait, une personne immorale.

Mais ce n’est pas ce que la quasi-totalité des hommes politiques occidentaux et leurs comités d’éthique d’aujourd’hui souhaitent entendre ; leur message est différent. Ils essaient d’établir la moralité par la raison, car s’il s’agit de raison, alors ce n’est pas une réalité donnée ou transcendante ; elle peut être débattue, elle peut être changée ; et elle permet aux politiciens de prendre le contrôle par le biais de n’importe quel programme politique pour lequel ils se sentent engagés.

La zizanie éclate, ou le diable pèse son aubaine, 1809, par Thomas Rowlandson. Gravure coloriée à la main. Metropolitan Museum of Art, New York. (Domaine public)

Pourtant, le classiciste américain Allan Bloom a été très clair : « La raison ne peut pas établir de valeurs, et croire qu’elle le peut est l’illusion la plus stupide et la plus pernicieuse ». Dans son ouvrage Religion, l’historien polonais des idées Leszek Kolakowski qualifie d’ « athéisme prométhéen » la confiance moderne dans la raison en tant que valeur :

« Le message invariable de l’athéisme prométhéen est le suivant : « l’auto-créativité humaine n’a pas de limites, le mal et la souffrance sont contingents, la vie est infiniment inventive, rien n’est valable – moralement ou intellectuellement – simplement parce qu’il est passé pour valable à travers l’histoire, il n’y a pas d’autorité dans la tradition, l’esprit humain n’a besoin d’aucune révélation ni d’aucun enseignement du dehors, Dieu n’est que l’homme qui s’opprime lui-même et étouffe sa raison. »

En substance, vous pouvez être tout ce que vous voulez et qu’aille au diable la morale conventionnelle. De nouveau, Theodore Dalrymple, « Qui est plus méprisé que celui qui s’accroche obstinément aux anciennes conceptions morales ? »

Il y a cent ans, l’écrivain et prophète G.K. Chesterton, dans une biographie écrite par l’écrivain catholique Joseph Pearce, prévoyait tout ceci lorsqu’il écrivait :

« … le travail du sceptique au cours des cent dernières années a en effet été très semblable à la fureur stérile d’un monstre primitif ; sans yeux, sans esprit, simplement destructeur et dévorant ; un ver géant dépérissant au travail qu’il ne pouvait même pas voir ; une vie aveugle et bestiale, inconsciente de sa propre cause et de ses propres conséquences. … Mais dire qu’il n’y a ni douleur, ni matière, ni mal, ni différence entre l’homme et la bête, ni d’ailleurs entre quoi que ce soit et quoi que ce soit d’autre, c’est un effort désespéré pour détruire toute expérience et tout sens de la réalité ; et les hommes s’en lasseront de plus en plus, lorsque cela aura cessé d’être à la dernière mode ; et chercheront à nouveau quelque chose qui donnera forme à un tel chaos et maintiendra les justes proportions de l’esprit de l’homme. »

Malheureusement, cent ans plus tard, notre culture ne s’est toujours pas lassée de l’athéisme prométhéen en Occident, et c’est là notre péril. Car, comme l’a dit le sociologue américain W.I. Thomas, « si les hommes définissent des situations comme réelles, elles sont réelles dans leurs conséquences ». Si nous abolissons le bien et le mal, si nous usurpons le sens commun de la majorité de la population, si nous passons notre temps à satisfaire nos désirs hédonistes sans aucun contrôle moral, alors l’Occident chutera.

La chute de l’empire romain en Occident face aux barbares au cinquième siècle n’a été possible que parce qu’il s’était d’abord corrompu lui-même et qu’il avait perdu sa boussole intérieure. Tel est le véritable danger qui guette aujourd’hui l’Amérique et ses alliés : Alors que nous nous affairons à redéfinir la morale, les feux de l’Est se rapprochent de plus en plus. Nous devons redécouvrir une fois de plus les véritables proportions de l’esprit de l’homme, et le plus essentiel, ses dimensions morales.

Allégorie du repentir ou Vanitas, vers 1650-1660, par un artiste inconnu. Huile sur toile. Pollok House, Glasgow. (Domaine public)
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