Moralité, politique et déclin : les fondements de la morale rationnelle (1/2)

Par James Sale
5 juin 2023 16:49 Mis à jour: 6 juin 2023 08:15

L’une des choses les plus déconcertantes dans notre société occidentale est la façon dont la moralité semble avoir disparu sous l’égide de la politique. Il semble, par exemple, plus important d’être démocrate ou républicain que d’avoir raison ou tort. D’ailleurs, avoir raison ou tort est devenu identique au fait d’être démocrate ou républicain ! En d’autres termes, nous sommes devenus tribaux plutôt que rationnels.

Cependant, comme l’a observé le moraliste et essayiste anglais Samuel Johnson, « Celui qui pense rationnellement pense moralement ». Penser de manière tribale – mon pays, mon parti, ma famille, mes idées, bonnes ou mauvaises – est une perversion de la raison. En fait, on peut dire que tout le poème de Dante, La Divine Comédie, traite de la perversion de la raison (l’intellect) qui mène à l’Enfer, à la damnation et à la misère sans fin qui caractérise une grande partie de la condition humaine, dans cette vie comme dans la suivante.

La moralité n’est plus acceptable

La moralité n’est pas vraiment un sujet populaire de nos jours ; elle est sans doute considérée comme trop opaque, trop controversée et, surtout, trop dans le jugement. Ai-je bien dit « dans le jugement » ? Comme l’a observé l’auteur Theodore Dalrymple, également appelé « l’Orwell de notre temps », « Lorsque les jeunes veulent se vanter d’eux-mêmes, ils se décrivent comme ‘non portés aux jugements’ ». Pour eux, la forme la plus élevée de moralité est l’amoralité ». Il n’est donc pas surprenant que le rédacteur du New York Times, David Brooks, dans son article ‘If it Feels Right… ‘ parle d’interviews menées à travers l’Amérique où « les deux tiers des jeunes ou n’ont pas pu répondre à la question [concernant leur vie au niveau de la moralité] ou ont exposé des problèmes qui ne sont pas du tout d’ordre moral ».

Et il n’y a pas que les jeunes. L’aspect clé de l’abolition du non-jugement est linguistique : malgré l’expérience quasi-quotidienne du bien et du mal que font beaucoup de gens, cela fait maintenant plus de 30 ans que les politiciens, les théologiens, les médias et les autres s’efforcent constamment de supprimer les mots « bien » et « mal » et de les remplacer par un baume de mots tels que « inacceptable ». Les comportements et les désirs ignobles ne sont plus vils ; ils sont inacceptables.

Ce changement, bien sûr, relègue la moralité d’un absolu à une norme sociale. Et comme l’a noté l’auteur et psychiatre Norman Doidge dans son avant-propos aux 12 Règles pour la Vie de Jordan B. Peterson : « L’idée que la vie humaine puisse être exempte de préoccupations morales est un fantasme ».

Le critique culturel, David Brooks explique plus en détail : « Lorsque la culture moderne tente de remplacer le péché par des idées telles qu’une simple erreur ou un manque de sensibilité, ou de bannir complètement des mots tels que « vertu », « personnalité », « caractère », « mal » et « vice », cela ne rend pas la vie moins morale ; cela signifie simplement que nous avons obscurci l’inéluctable noyau moral de la vie par un langage superficiel. … De plus, le concept de péché est nécessaire parce qu’il est rigoureusement vrai ».

Abolir le mal

Saint Michel et les anges en guerre contre le diable, 1448, par Domenico Ghirlandaio. Tempera sur panneau. Institut des arts de Détroit. (Domaine public)

Le problème avec l’abolition du mal – ou plutôt la tentative de prétendre qu’il n’existe pas et qu’il peut être redéfini – est qu’il s’agit d’un mal en soi, et cette pratique engendre davantage de mal. Ptahhotep, un vizir qui écrivait il y a plus de 4 000 ans, notait qu’au lieu d’essayer de redéfinir le mal, nous devions l’arrêter, car « l’acte d’arrêter le mal conduit à l’établissement durable de la vertu ».

Arrêter le mal, bien sûr, présuppose que nous sachions ce qu’il est. Lorsque la morale est fondée sur une réalité transcendante – l’illumination spirituelle (le bouddhisme), les dieux (le code d’Hammourabi) ou Dieu lui-même (les Dix Commandements) – nous pouvons comprendre le mal comme un opposé aux intentions transcendantes. Ces exemples de codes ou de lois montrent de très nombreux recoupements dans les domaines de la moralité fondamentale : l’adultère, le vol, le faux témoignage, le meurtre – pour prendre quatre exemples évidents – qui sont condamnés. Les spécificités (le contexte), les punitions et les conséquences peuvent varier, mais l’orientation générale est très claire.

Malheureusement, arrêter le mal n’est pas ce que les politiciens et beaucoup veulent aujourd’hui. Comme l’écrit Theodore Dalrymple dans son ouvrage, Notre culture, ce qu’il en reste, « Dans la vision psychothérapeutique du monde[…] il n’y a pas de mal, il n’y a que des victimes ».

Plus personne n’est responsable de ses actes ; tout le monde a potentiellement besoin d’une thérapie – problème résolu ! Cette idée remonte au siècle des Lumières et aux penseurs qu’il a engendrés : Marx en est un exemple classique, puisque des facteurs économiques, selon lui, sont à l’origine des maux sociaux, et non des personnes elles-mêmes. Ironie du sort et anecdote amusante, sa femme (ou peut-être sa mère) aurait dit : « J’aimerais que Karl passe un peu moins de temps à parler de capital et un peu plus à en accumuler ».

Nous pourrions ajouter Nietzsche et Freud à la liste des penseurs, chacun expliquant la nature humaine comme étant due à un autre facteur simpliste : changez l’économie, devenez le surhomme, comprenez vos rêves, et l’utopie sera là d’un jour à l’autre !

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Notre culture a adopté un modèle thérapeutique plutôt qu’un modèle fondé sur le bien et le mal. Extrait de la série de gravures en couleurs, Le médecin comme Dieu, ange, homme et diable, vers le début du XVIIe siècle, par Johann Gelle d’après Egbert van Panderen. (Wellcome Images/CC BY 4.0)

L’absurdité de tout cela devient manifeste si l’on considère ce que Dalrymple a également noté en commentant l’un des enterrements les plus célèbres de la fin du XXe siècle : « L’approche pathologique et thérapeutique de la vie est devenue si universellement acceptée que l’héritier apostolique de saint Augustin – c’est-à-dire l’actuel archevêque de Canterbury – a, lors des funérailles de la princesse Diana,  rendu grâce à Dieu pour sa vulnérabilité affective, comme si un rendez-vous avec un psychiatre était la plus haute aspiration morale et culturelle possible de l’homme ».

Si le commentaire de Dalrymple était perspicace à l’époque, il l’est dix fois plus aujourd’hui, puisque proclamer sa vulnérabilité et/ou son état mental fragile semble être la condition sine qua non de la vertu, comme le révèle n’importe quel examen superficiel des médias sociaux : à voir, par exemple, un article important de la BBC intitulé « How LinkedIn Is Changing and Why Some Are Not Happy » (Comment LinkedIn change et pourquoi certains ne sont pas heureux), qui s’interroge sur les raisons pour lesquelles, au cours des cinq dernières années, un site majeur pour les contacts professionnels, Linkedin, s’est transformé en un festival de sanglots pour les cœurs vulnérables.

Les fondements de la morale

La descente de Moïse du mont Sinaï avec les dix commandements, 1662, par Ferdinand Bol. Huile sur toile. Palais royal d’Amsterdam. (Domaine public)

Mais quelle est alors la vertu ou la moralité que nous souhaitons et devrions défendre ? J’ai mentionné sa source nécessairement transcendante pour qu’elle ait autorité. Gardez à l’esprit que la rationalité commence après que l’on ait établi les principes pertinents qui sont non-rationnels : La raison elle-même ne peut être prouvée par la raison. Nous devons en premier lieu présumer que la raison est rationnelle avant de l’invoquer.

Cela dit, la raison a des applications spécifiques dans quatre domaines de la vie : ne pas commettre d’adultère, ne pas voler (vol), ne pas mentir (faux témoignage) et ne pas tuer autrui (meurtre). Un indice de ce que nous pourrions défendre pourrait être trouvé en considérant ce que ces quatre crimes ont en commun. De toute évidence, chacun d’eux blesse un ou plusieurs autres êtres humains, mais comment ?

Je pense que la réponse à cette question – du point de vue occidental – est que chacune de ces activités limite la liberté d’autrui : dans l’ordre inverse, le meurtre prive autrui de la liberté de vivre ; le faux témoignage prive autrui de la liberté d’accéder à la vérité ; le vol prive autrui de la liberté d’accéder aux biens matériels et immatériels ; et l’adultère prive autrui de la liberté de faire confiance à la personne la plus importante de sa vie et d’avoir une relation intime avec elle. En d’autres termes, le principe moral clé – l’hypothèse même – que nous devrions défendre est la liberté, nos libertés individuelles et le respect que nous accordons à la liberté d’autrui.

L’écrivain et chroniqueur A.N. Wilson, dans son livre Dante in Love, a noté de la même manière que « l’histoire de la théologie chrétienne – et on pourrait dire, toute l’histoire de la pensée occidentale – a été une bataille éternelle entre le déterminisme et un certain effort pour affirmer une croyance en notre liberté de faire des choix moraux. Si nous ne sommes rien de plus que la somme de notre ADN, ou rien de plus que ce que les forces matérialistes de l’histoire ont fait de nous, ou rien de plus que le produit de notre environnement social, alors les tribunaux – sans parler de l’Enfer – sont de monstrueux moteurs d’injustice ; car comment quelqu’un peut-il être tenu responsable de son comportement si tout est prédestiné ? »

La liberté est ce pour quoi nous luttons, et plus précisément le libre arbitre.

Dans la deuxième partie de cet article, nous approfondirons un peu plus la notion de liberté et de libre arbitre, et la manière dont elle est aujourd’hui menacée.

(Suite : 2ème partie)

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