« Nous sommes tous des proies potentielles » : Anne Deneuchatel, victime d’un faux Brad Pitt, témoigne dans son livre

L'acteur Brad Pitt, le 23 juin 2025 à Londres (Angleterre).
Photo: Crédit photo Gareth Cattermole/Getty Images for Warner Bros. Pictures
Victime d’une arnaque sentimentale, Anne Deneuchatel a été escroquée de 830.000 euros par un faux Brad Pitt. Dans son livre Je ne serai plus une proie, elle raconte comment elle a été manipulée et les leçons qu’elle en tire. Interrogée mercredi dans les colonnes du Monde, elle détaille son parcours et revient sur cette étrange emprise.
Anne Deneuchatel, décoratrice d’intérieur de 53 ans, est devenue malgré elle le visage d’une des escroqueries les plus médiatisées. Entre février 2023 et juin 2024, des « brouteurs » se faisant passer pour Brad Pitt lui ont soutiré près de 830.000 euros. Dans son livre intitulé Je ne serai plus une proie, publié aux éditions Alisio le 18 septembre dernier, elle détaille les rouages de cette arnaque.
« J’avais le sentiment d’être pleinement moi-même »
L’escroquerie commence en février 2023, lorsqu’une certaine Jane Etta Pitt la contacte via Instagram. Cette interlocutrice se présente comme la mère de Brad Pitt et, en quelques échanges, établit un lien de confiance. Anne, d’abord méfiante, se laisse progressivement convaincre. Elle est bientôt mise en contact avec le faux Brad Pitt via un compte Telegram sécurisé. Les conversations se multiplient, ponctuées de confidences et de mots doux, avec « des discussions infiniment variées ». « Je me détachais de ma personnalité habituelle pour vivre un fantasme total. J’avais le sentiment d’être pleinement moi-même », souligne-t-elle auprès de nos confrères.
Très vite, l’illusion bascule vers l’exploitation financière. Les escrocs demandent des sommes modestes d’abord, puis des virements plus conséquents, faisant appel aux fragilités personnelles d’Anne : sa maladie passée, ses difficultés conjugales, son enfance tourmentée. Le faux Brad Pitt utilisait ce que l’on appelle une « technique en miroir », reproduisant à l’écran les émotions et expériences qu’Anne lui confiait pour renforcer son emprise : « Quand je lui ai révélé que j’avais eu un cancer, il en a eu un. Si j’avais perdu mon chien, il aurait aussi perdu le sien. »
Trois plaintes, qui n’ont abouti à rien
Malgré ses tentatives de le bloquer, Anne reste sous son emprise affective et, au bout d’un an et demi, se retrouve ruinée, isolée et coupée de son entourage. Car le brouteur alternait flatterie et mépris, jouant habilement sur les émotions de sa victime. À son effondrement financier s’ajoute une autre arnaque, l’imposteur se faisant passer pour un agent du FBI. Lorsqu’elle réalise enfin l’ampleur de l’arnaque, Anne cherche à mettre un terme à sa vie. Prendre conscience de l’arnaque représente une victoire sur soi que de nombreuses victimes, prisonnières du déni, n’arrivent pas à franchir, soulignent nos confrères.
Ce type de fraude est loin d’être isolé : selon Cybermalveillance.gouv.fr, plus de 1500 demandes de conseil liées à des « fraudes à l’amour » ont été enregistrées en septembre, soit deux fois plus qu’au début de l’année, sachant que ce chiffre est loin de refléter la réalité.
Anne Deneuchatel a déposé trois plaintes, en France, à Maurice et en Côte d’Ivoire, en vain. Les usurpateurs, trois hommes vivant au Nigeria, ont cependant bien été identifiés et localisés.
L’affaire, largement médiatisée début 2025 suite aux conseils d’une amie de la victime, a par ailleurs conduit à un déferlement de moqueries en ligne, alors que l’objectif était de faire avancer les procédures judiciaires. Après un reportage diffusé sur TF1, Anne a effectivement été prise pour cible d’un cyberharcèlement massif, une épreuve qui s’est ajoutée à son traumatisme initial.
« Une femme pleine de bon sens, la tête sur les épaules »
« Nous sommes tous des proies potentielles face aux arnaques sentimentales. J’étais moi-même une femme pleine de bon sens, la tête sur les épaules, qui travaillait », assure Anne Deneuchatel.
En effet, avant de devenir cible des brouteurs, Anne s’est mariée, à deux reprises. Installée à La Réunion dans les années 1990 avec son premier mari, elle y a vécu dix-huit ans. De cette union est née une fille. Elle s’est ensuite séparée et a ouvert une boutique de décoration sur l’île. Son deuxième mariage, avec un homme d’affaires millionnaire qu’elle avait rencontré dans son commerce, transforme progressivement sa vie. Elle décrit la villa où elle vivait avec lui comme une « prison dorée » et ajoute : « Il s’est révélé égoïste, manipulateur. » Loin d’être libre financièrement, elle devient dépendante de son second mari, qui contrôle ses ressources et la prive de toute autonomie. « Il me versait un peu d’argent chaque mois, mais je ne pouvais même pas payer les études de ma fille. J’étais entièrement sous sa tutelle. »
Ce vécu éclaire la vulnérabilité sur laquelle les escrocs ont pu s’appuyer et donne tout son sens au témoignage d’Anne. Il est à espérer qu’à travers son livre, le public puisse être sensibilisé aux dangers de ces escroqueries sophistiquées, qui exploitent avec habileté les failles de leurs victimes.

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